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Tensions croissantes au sujet du Nil
MEMRI
Article mis en ligne le 7 mars 2004

Le Nil est le plus long fleuve du monde. De sa principale source, le lac Victoria, qui forme un trait d’union entre les pays d’Afrique de l’Est, il est alimenté par deux affluents principaux : le Nil blanc qui traverse l’Ouganda jusqu’au Soudan, et le Nil bleu, rejoint par le Nil blanc à Khartoum ; le Nil bleu traverse les régions montagneuses d’Ethiopie. Le Nil parcourt près de 6700 kilomètres, de ses sources les plus éloignées du fleuve Kagera au Burundi et au Rwanda jusqu’à son delta en Egypte, sur la mer Méditerranée. (1)

Dix pays se partagent les eaux du Nil : le Burundi, la République démocratique du Congo, l’Egypte, l’Eritrée, l’Ethiopie, le Kenya, le Rwanda, le Soudan, la Tanzanie et l’Ouganda - qui réunis, ont une population de près de 300 millions d’habitants, dont 160 millions vivent dans les frontières du Bassin du Nil. Les populations les plus démunies du monde, avec un revenu annuel de moins de 250$ par habitant, appartiennent à certains de ces dix pays. (2)

Ces derniers mois, le conflit sur la question des eaux du Nil a pris de l’ampleur. En prévision du sommet des dirigeants des Etats d’Afrique, devant avoir lieu en Libye cette semaine, les ministres de l’Eau des pays riverains ont décidé d’intégrer le sujet du Pacte de 1929 sur les eaux du Nil au programme du sommet.

Le président Hosni Moubarak a présidé une réunion de cabinet au Caire sur le problème. Le communiqué publié après la réunion n’a pas précisé quelles décisions l’Egypte prendrait face à la demande persistante d’un nouveau partage des eaux, ni si le président Moubarak en personne assisterait à la réunion au sommet. Le communiqué contient de vagues références à l’assistance technique et à « l’aide au financement de projets qui profitent à tous les pays du Bassin » promises par l’Egypte dans le cadre de l’accord en cours. (3) Quelques jours plus tôt, le quotidien gouvernemental égyptien Al-Gomhouriya annonçait que le souhait de certains pays du Bassin du Nil d’un nouveau partage des eaux était une source de préoccupation pour l’Egypte, qui devrait intervenir rapidement pour endiguer toute initiative susceptible de réduire l’approvisionnement en eau de l’Egypte.

Voici un compte rendu des sujets de tension qui entourent le Nil :


Le pacte de 1929 sur les eaux du Nil

Le pacte de 1929 sur le partage des eaux du Nil entre l’Egypte et la Grande Bretagne - qui représentait l’Ouganda, le Kenya, la Tanganyika (actuelle Tanzanie) et le Soudan -, a été conclu au Caire le 7 novembre 1929 par un échange de courrier entre le Premier ministre égyptien et le Haut commissaire britannique en Egypte. L’accord attribuait 48 milliards de mètres cubes d’eau par an à l’Egypte, comme un droit lui étant acquis, et 4 milliards de mètres cubes d’eau par an au Soudan. Ces attributions respectives ont par la suite été accrues, jusqu’à atteindre 55.5 milliards de mètres cubes pour l’Egypte et 18 pour le Soudan, suite à un accord bilatéral entre ces deux pays ayant conduit à la construction du barrage d’Aswan. Le pacte sur les eaux du Nil a été conclu avant l’indépendance des pays du Bassin du Nil, l’Ethiopie mise à part.

Le pacte décrétait qu’aucune construction susceptible de réduire l’arrivée d’eau en Egypte ne serait entreprise sur le Nil, ses affluents ou le bassin du Lac. L’accord permettait en outre à l’Egypte « d’inspecter et d’enquêter » sur toute la longueur du Nil jusqu’aux sources éloignées de ses affluents dans le Bassin.

Ce droit « d’inspecter et d’enquêter », équivalant à un droit de veto de tout projet hydraulique ou électrique, a dernièrement été remis en question, toutes les anciennes colonies du Bassin du Nil étant désormais des nations indépendantes peu enclines à accepter que l’Egypte empiète sur leur souveraineté. De fait, certains de ces pays ont commis quelques entorses au pacte en initiant des projets hydrauliques qui menacent de réduire le volume d’eau disponible en Egypte. L’Egypte considère toute modification de l’accord comme un danger stratégique, et a plusieurs fois menacé de recourir à tous les moyens à sa disposition pour empêcher les infractions. Les autres pays d’Afrique appartenant au Bassin du Nil considèrent le pacte comme un vestige de l’époque coloniale, qui n’est plus représentatif des besoins et des aspirations des pays, et qui devrait en conséquence être annulé. Critiquant cet argument, Sherif Al-Moussa, responsable du programme sur le Moyen-Orient à l’université américain du Caire, estime que le pacte sur les eaux du Nil devrait être traité de la même façon que les frontières de la plupart des pays du Bassin du Nil, établies par les puissances coloniales et pourtant reconnues par la loi internationale. (5)


Pressions pour le changement

Les pressions exercées par la population, les fréquentes sécheresses et la salinité croissante du sol ont conduit à une intensification des réclamations des pays du Bassin du Nil pour que soit renégocié le pacte de 1929. Non découragés par le refus de l’Egypte, pas plus que par les menaces égyptiennes, et contraints de prendre les devants à cause de difficultés financières, certains de ces pays sont bien déterminés à mettre en œuvre des projets mobilisant les eaux du Nil.

L’accord de 1959 entre l’Egypte et le Soudan, qui a accru l’attribution des eaux à ces deux pays tout en ignorant complètement les intérêts des autres pays riverains tels que la Tanzanie, le Kenya et l’Ethiopie a, rétrospectivement, affaibli l’argument égyptien de l’inviolabilité du pacte de 1929.


L’initiative du Bassin du Nil

Afin de réduire les chances de conflit, et avec l’aide de la Banque mondiale, l’Initiative du Bassin du Nil a été lancée en 1999, comme un arrangement temporaire jusqu’à la mise en place d’un cadre permanent. Cet arrangement est motivé par l’objectif commun « d’un développement socio-économique durable grâce à une utilisation et un partage équitables des ressources en eau communes du Bassin du Nil. »

Malgré l’Initiative du Bassin du Nil, les pays membres continuent d’avoir leurs propres projets. La sécheresse est difficile à anticiper, même au début de la saison des récoltes. Les barrages construits pour économiser l’eau ressemblent à des comptes d’épargne bancaires, dans lesquels il est possible de puiser en cas de nécessité. Alors que l’Egypte a assuré la sécurité de son agriculture par la construction du barrage d’Aswan, elle a ne s’est pas montrée favorable à l’adoption de solutions similaires par les autres pays du Bassin du Nil.


L’Ethiopie affirme son droit aux eaux du Nil bleu

Le ministre éthiopien des Ressources en eau a annoncé l’intention de son pays de développer près de 200 000 hectares de terres par des projets d’irrigation et la construction de deux barrages dans le sous bassin du Nil bleu. Il a en outre déclaré que ce projet représentait le premier de 46 projets proposés par l’Ethiopie, et de dix projets proposés par l’Egypte et le Soudan. L’Ambassadeur d’Egypte en Ethiopie a confirmé.

L’engagement de l’Egypte est d’utiliser les eaux du Nil à l’avantage des pays riverains. Cet engagement était toutefois conditionnel : tous les projets doivent tenir compte des pays en amont et en aval du fleuve, à condition de ne pas entraîner une réduction des eaux qui arrivent en Egypte.

Le ministre éthiopien des Ressources en eau a répliqué que l’acceptation de participer à l’Initiative du Bassin du Nil préservait le droit des Ethiopiens de mettre en œuvre unilatéralement tout projet dans le sous bassin du Nil bleu, à quelque moment que ce soit. Il a souligné que l’accord de 1959 entre l’Egypte et le Soudan empêchait un développement durable dans le Bassin, et a appelé à son annulation. (6)

Pour l’Egypte, la diminution du volume d’eau lui parvenant pourrait avoir des effets catastrophiques. La grande majorité des Egyptiens vit dans une vallée qui représente près de 4% du territoire égyptien, et 95% des ressources en eau de l’Egypte proviennent du Nil.


La Tanzanie s’oppose à l’Egypte

Début février 2004, la Tanzanie a lancé le projet de puiser l’eau du lac Victoria afin de pourvoir aux besoins de la région de Shineyanga. Ce projet nécessite la construction d’un pipeline intérieur de plus de 100 km de long pour un coût initial de 27.6 millions de dollars, devant être construit par une société chinoise. Prévoyant de vives réactions de la part de l’Egypte, la Tanzanie a annoncé que la construction de ce pipeline avait pour but de fournir de l’eau potable à la population assoiffée et non d’irriguer les terres d’agriculture. Les 35 millions d’habitants de la Tanzanie ont souffert de fréquentes sécheresses, de désertification et d’érosion des sols. La Tanzanie a été le premier pays riverain à avoir déclaré nul le pacte de 1929, dès son indépendance, en 1961. (7)

L’Egypte a exprimé son mécontentement face au projet tanzanien, affirmant avoir le droit, en vertu du pacte de 1929, de poser son veto a tout projet (d’agriculture, d’industrie et d’électricité) susceptible de menacer ses intérêts vitaux. Si l’Egypte traite le problème au niveau diplomatique, des responsables égyptiens ont toutefois tenu à souligner que « le dialogue diplomatique ne signifie pas que le Caire n’envisage par d’autres solutions, si cela s’avère nécessaire. » (8) En langage diplomatique, ces « autres solutions » n’excluent pas le recours à la force. La Tanzanie n’a pas bronché. Le vice-secrétaire permanent au ministère tanzanien du Développement du bétail et de l’eau, Dr C. Nyamurunda, a rappelé que les sentiments tanzaniens sur la prétendue légalité du pacte sur l’eau étaient bien connus. Il a souligné que « d’autres pays considèrent également les traités sur l’eau comme étant illégaux. » (9)


Un autre défi pour le Kenya

Réagissant également à la menace du Kenya de se retirer du pacte de 1929, le ministre égyptien de l’Irrigation et des ressources en eau, Mahmoud Abou Zaid, a dit : « L’Egypte considère le retrait du Kenya comme équivalant à une déclaration officielle de guerre, comme menaçant ses intérêts vitaux et sa sécurité nationale. » Un hebdomadaire a en outre cité le ministre égyptien déclarant à Addis Abada que le Kenya pourrait être sujet à des sanctions de la part de l’Egypte et des huit autres membres de l’Accord sur le Bassin du Nil. Il a ajouté que la position du Kenya enfreignait la loi internationale et que « nous ne nous y soumettrons pas » (10)

M. Watangola, vice-ministre kenyan des Affaires étrangères, a réitéré la demande de son pays de revoir l’accord passé, le Kenya n’ayant pas été consulté avant sa signature. Il a précisé que huit fleuves kenyans tombaient dans le Lac Victoria, lequel constitue la principale source des eaux du Nil. (11)


Eau contre pétrole

Un haut parlementaire kenyan a lancé l’idée de vendre les eaux du Nil à l’Egypte et au Soudan contre du pétrole. Il a affirmé que le temps était venu de remplacer l’accord du Nil par un nouvel accord permettant aux membres de bénéficier des eaux du Nil. Il a ajouté : « Nous avons mis gratuitement nos ressources naturelles à la disposition de l’Egypte et du Soudan sans rien recevoir en échange. Nous avons besoin de leur vendre nos ressources comme ils nous vendent les leurs. » Les Egyptiens ont qualifié l’idée de « stupide » en vertu des droits acquis sur cette eau dont bénéficient ces deux pays, droits qui ne justifiaient en aucune façon l’achat de l’eau. (12)

L’Egypte accuse des acteurs cachés

En plus de la Tanzanie et du Kenya, l’Ethiopie et l’Ouganda ont aussi demandé l’abrogation du pacte de 1929 et une plus grande part des eaux du Nil. L’Egypte a accusé des « acteurs cachés connus de l’Egypte d’inciter ouvertement les alliés traditionnels de l’Egypte dans le Bassin du Nil à annuler l’accord, affirmant que ce dernier est incompatible avec [les besoins de] la population et les développements politiques de ces 75 dernières années. » (13) Le haut responsable égyptien ayant évoqué, sous couvert d’anonymat, des « doigts cachés », a souligné qu’aucune modification du pacte n’était concevable et a averti que « la moindre violation de cet accord laisserait entendre que les pays africains ne respectent pas leurs obligations régionales. » (14)


Les options de l’Egypte

Pour contrer la menace qui pèse sur son vital approvisionnement en eau, l’Egypte a quatre options possibles. Le choix de l’une d’entre elles n’exclut pas le recours aux autres :


Réduction du gaspillage grâce à un meilleur système d’irrigation
Fixation du prix de l’eau au cours du marché
Maintien du statu quo aussi longtemps que possible
Recours la force


Réduire le gaspillage grâce à un meilleur système d’irrigation

Selon une étude de la Banque mondiale, 96.44 % de la population économiquement active en Egypte est engagée dans l’agriculture. C’est le pourcentage le plus élevé du Moyen-Orient, le Maroc étant en seconde place avec 92.61 % de sa population active travaillant dans l’agriculture. En revanche, les proportions pour la Tunisie et le Liban sont de 60.87 et de 10.35% respectivement. Par conséquent, une grande quantité de l’eau va à l’agriculture, secteur qui ne contribue proportionnellement qu’à un petit pourcentage du PIB. En Egypte, 88% de l’eau va à l’agriculture, qui ne contribue qu’à 14% du PIB, alors que les 8% d’eau utilisés dans le secteur industriel contribuent à 34 % du PIB. Le rapport suggère que « d’un point de vue strictement macroéconomique, le raisonnement justifiant une plus grande allocation d’eau à l’agriculture qu’à l’industrie ou à d’autres secteurs ne tient pas. » (15)

Fixer le prix de l’eau au prix du marché

Alors que la région reste l’une des plus pauvres au monde en eau, le coût de l’eau destinée à l’irrigation est fixé en dessous du niveau de récupération des coûts. L’agriculture égyptienne dépend entièrement des terres irriguées. Les subventions annuelles pour l’irrigation sont estimées à 5 milliards de dollars. En Egypte, ces subventions sont souvent justifiées comme étant un moyen de contrebalancer les prix de l’agriculture, lesquels sont contrôlés pour que les denrées alimentaires demeurent à bas prix sur le marché urbain. (16) La fixation du coût de l’eau et les subventions mènent au gaspillage dans le secteur de l’agriculture et n’encouragent pas la mise en place de techniques de conservation.

Maintenir le statu quo

La troisième option de l’Égypte est de chercher à maintenir le statu quo en tolérant quelques modifications marginales. Pour cela, l’Egypte doit maintenir une orientation pro-américaine et pro-occidentale susceptible de décourager les Etats-Unis en particulier et l’Occident en général, et les organisations qui en dépendent, telle la Banque mondiale, de financer des projets coûteux tels que des barrages ou des projets hydroélectriques dans les pays riverains, projets qu’eux-mêmes ne sont pas en mesure de financer.


Le recours à la force

La dernière option, et la plus improbable, est le recours à la force pour défendre le droit de l’Egypte d’exercer son pouvoir de veto sur les activités qui menacent ses intérêts nationaux. Les propos belliqueux de l’Égypte ne doivent toutefois pas être pris trop sérieusement, en tous cas pas par les pays africains. En effet, comme l’indique un quotidien égyptien, « il est possible que le langage ferme adopté par Abou Zeid (...) ne porte pas de fruits (...) » (17) L’Egypte n’a non seulement pas la capacité militaire de frapper des pays situés à plus de deux milles km de ses frontières, mais il aurait également le plus grand mal à justifier une action militaire visant à faire appliquer un pacte vieux de 75 ans, conclu pour satisfaire les intérêts colonialistes, et allant à l’encontre des besoins des pays en amont. Un Kenyan, père de deux enfants, propriétaire de huit étangs de poissons, a été cité en ces termes : « Si les Egyptiens essaient d’envahir le Kenya pour son eau, nous serons prêts à mourir pour défendre nos droits. Le Kenya doit oublier l’accord du Nil et reprendre la consommation des eaux du Lac de Victoria à des fins commerciales. » (18)

* Nimrod Raphaeli est analyste en chef à MEMRI.

Notes :
(1) Le Secrétariat du Nil, Entebbe, Ouganda.
(2) La Banque mondiale, Initiative du Bassin du Nil : aperçu général (bon datée).
(3) Al-Ahram (Egypte), le 23 février 2004.
(4) Al-Gomhouriya (Egypte), le 21fevrier 2004.
(5) Al-Sharq Al-Awsat (Londres), le 5 février 2004.
(6) Addis Tribune (Ethiopie), le 6 janvier 2004.
(7) Al-Sharq Al-Awsat (Londres), le 5 février 2004.
(8) Al-Sharq Al-Awsat (Londres), le 12 février 2004.
(9) Allafrica.com (Isle Maurice), le 11 février 2004.
(10) Al-Sharq Al-Awsat (Londres), le 17 décembre 2003.
(11) Al-Sharq Al-Awsat (Londres), le 17 décembre 2003.
(12) Al-Sharq Al-Awsat (Londres), le 17 décembre 2003.
(13) Al-Sharq Al-Awsat (Londres), le 8 février 2004.
(14) Idem.
(15) « L’eau, la sécurité alimentaire et la politique agricole au Moyen-Orient et dans la région d’Afrique du Nord », papier préparé pour le Troisième forum mondial de l’Eau, Kyoto, Japon, mars 2003.
(16) « L’eau, la sécurité alimentaire et la politique agricole au Moyen-Orient et dans la région d’Afrique du Nord », papier préparé pour le Troisième forum mondial de l’Eau, Kyoto, Japon, mars 2003 (1ère version).
(17) Cairo Times (Egypte), le 24 février 2004.
(18) Al-Sharq Al-Awsat (Londres), le 5 février 2004.


The Middle East Media Research Institute (MEMRI),

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