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L’antisémitisme n’est pas une question juive
Par Patrick KLUGMAN
Article mis en ligne le 14 mai 2004

Débusquer le fléau derrière les alibis favoriserait, entre autres, l’émancipation de jeunes Français issus de l’immigration.

Tombes profanées, synagogues taguées, écoles incendiées, individus agressés, la France connaît une nouvelle vague d’actes antisémites qui nous afflige particulièrement. Mais ce qui nous afflige plus encore, c’est le débat entre ceux qui ont compris la charge, la nocivité, la dangerosité du phénomène et ceux qui pensent qu’il ne s’agit là que d’une affaire juive. Voilà la nouvelle ligne de démarcation qui a fait exploser l’antiracisme en France.

Alors, cette question divise. D’un côté, on connaît assez ce fléau, son passé de droite à gauche, de l’Europe à l’Orient pour savoir que les juifs ne servent dans cette histoire que d’alibi, qu’ils sont les victimes premières mais qu’il y en a d’autres plus nombreuses que l’on endort avec une vision rétrécie du monde. De l’autre, on entend des « oui, mais », des « si Israël », ou des « il faut bien comprendre que ». Les premiers pensent que c’est une question de principe qui va bien au-delà des juifs, les seconds que, quand on le dénonce, on « stigmatise » les Arabes.

Sur le racisme antimusulman rampant nous sommes, hélas, tous d’accord, sur le danger encore vif de l’extrême droite, nos divergences sont à peine perceptibles. Mais, il faut bien admettre que quelque chose nous gêne quand l’antijudaïsme est d’origine arabo-musulmane ; que nous sommes pris d’un effroi supplémentaire quand il embrasse des minorités elles aussi victimes du racisme. De ce qui était une évidence, nous sommes arrivés à une caricature inouïe : dire antisémite, ce serait déjà avoir pris parti « pour les juifs ».

Nous voulons en finir avec ce curieux discours qui vise, au nom de l’antiracisme, à choisir les racismes que l’on combat. Il faut répéter inlassablement que refuser de parler d’antisémitisme quand il vient du mauvais côté, c’est égarer ceux que l’on veut protéger. L’Intifada a trop servi. Il faut faire la différence entre ceux, dont nous sommes, qui veulent construire un Etat palestinien à côté de l’Etat d’Israël, et ceux qui veulent mettre à bas « l’Etat des juifs ». Il faut démasquer ceux qui veulent ériger en concurrence les souffrances. Quand nous combattons l’antisémitisme, nous devons dénoncer le racisme antimusulman qui sévit encore violemment, ou les discriminations dont les jeunes beurs sont victimes. Mais, dire à des jeunes issus de l’immigration, quelle que soit leur motivation, qu’ils sont antisémites quand ils s’en prennent à des juifs est une question de dignité et de pragmatisme.

Car, à la fin, qu’est-ce que l’antisémitisme ? C’est l’explication de tout et de son contraire par le juif. Qu’on en veuille à sa terre ou qu’on le traite d’apatride, qu’on y voie le valet du grand capital ou l’orchestrateur du complot bolchevique, l’antisémitisme réussit la synthèse des contraires. Ce n’est pas un nouveau totalitarisme, mais la dégénérescence de tous. La rencontre glauque et improbable entre les orphelins du grand soir et les adeptes des fous de Dieu. Un « socialisme des imbéciles » tel qu’il a été prophétiquement baptisé un jour. Voilà le sésame par lequel on fait croire aux jeunes de nos banlieues « qu’ils n’ont rien, parce que les juifs ont tout », le dérivatif qui permet dans certains pays d’en appeler à la guerre sainte... et de ne pas parler de démocratie.

Ne nous trompons pas sur l’ampleur du mal. Lorsque l’on diffuse le Protocole des sages de Sion, ce faux grossier, dans les librairies, sur le satellite et l’Internet, lorsque Yehud (juif en arabe) est une insulte dans la langue courante de vingt-sept pays, lorsque le mot « sioniste » embrase les foules du sommet antiraciste de Durban ou des cortèges antiguerre d’Irak, c’est que l’antisémitisme sert. Qu’il est une folie bien sûr mais une doctrine surtout. Une doctrine qui fait deux victimes, ceux qu’elle vise et qu’il faut protéger et ceux qui se laissent endoctriner et qu’il faut faire évoluer.

Le comprendre, c’est démasquer derrière ce que l’on croit être naturel ou héréditaire, une arme régressive qui grandit à l’ombre de l’acculturation, de la maltraitance des femmes, de l’analphabétisme. L’antisémitisme n’est pas éternel, c’est un enjeu politique. Le combattre c’est choisir Malek Boutih contre Latrèche, la démocratie contre le totalitarisme, Massoud contre Ben Laden, Fadéla Amara contre Ramadan. C’est aussi soutenir l’islam doux contre l’islam dur.

Aujourd’hui, on use de cette haine à des degrés divers un peu partout, de Sarcelles au Caire, de Saint-Denis à Kiev et de Kuala Lumpur à Montreuil. Pour Le Caire, Kuala Lumpur ou Kiev nous ne pouvons rien. Mais pour Montreuil, Saint-Denis ou Sarcelles, il en va autrement. Si nous traitons ce problème, non comme une question ethnique mais comme une question d’éducation nationale, si nous choisissons la fermeté contre le silence ou l’excuse, si nous savons débusquer le fléau derrière ses alibis ou ses cache-sexe, alors nous aurons fait de la lutte contre l’antisémitisme un levier d’émancipation pour des jeunes Français issus de l’immigration.

Car l’époque l’a voulu ainsi : il y a dans la question juive, comme dans le statut de la femme, un point de basculement entre l’ombre et les lumières, les préjugés et la conscience. La haine des juifs ne vise pas que les juifs, loin s’en faut. Libérer la banlieue de l’antisémitisme, ce n’est jamais pour la France, les musulmans et la démocratie, que se sauver soi-même.



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