et le prétexte israélien n’existera plus dans un mois, on se retrouvera strictement entre nous
Quon ne sy trompe pas, cependant, Gaza na jamais vécu de carnaval aussi sérieusement ordonné. Les metteurs en scène et les moniteurs sont tous des hommes de la Sécurité Préventive, les mieux entraînés de lAutorité Palestinienne, et les exécutants sont tous membres des Shabiba, le mouvement de jeunesse du Fatah de Mahmoud Abbas.
Et sil ny a pas de cortège unique et imposant, si on lui a préféré ces artistes de quartiers, cest afin dempêcher que ne se forme un trop gros rassemblement. Un habile prédicateur du Hamas suffirait à rendre la foule incontrôlable, cest en tous cas lappréhension du pouvoir.
Dailleurs, deux rues plus loin, dans un périmètre où les forces officielles de lAP ne saventurent toujours pas, les terroristes dEzzedine El Qassam défilent au pas cadencé, armes en bandoulière, scandant des slogans qui attribuent le départ des Israéliens aux actions du Hamas. Hier, les mêmes ont simulé lattaque dune implantation : cétait caricatural, grotesque. Jusquà maintenant les organisations terroristes palestiniennes se sont plus illustrées à éventrer des femmes enceintes quà conquérir la moindre niche de chien dans la moins bien gardée des implantations.
Il y a cette course à la revendication de la victoire que nous navons pas remportée, chacun tentant de démontrer pourtant, que cest grâce à lui et à ses méthodes que les Israéliens sen vont. La vérité est plus prosaïque : ils se sont rendus compte quils navaient rien à gagner dans notre bourbier, ils se retirent, non sans oublier de refermer un lourd couvercle sur une soupe de crabes venimeux et pinçants en pleine ébullition.
Et demain, demain sans Israéliens, ce sera pour les Azatis laube de tous les dangers. Les langues se délient. Loin des airs des cornemuses et des tambours, des habitants expriment leur peur, des vieux surtout. Ils commentent par dictons et proverbes ; pas pour éviter de possibles représailles mais parce que les phrases qui datent portent plus loin en arabe, puisquelles ont traversé sans encombres lusure des années.
Ils nétaient pas si terribles, ces juifs, entend-on ça et là ; avant, Moshé, Sarah ou Avraham était mon meilleur ami. "Ils ont construit plus décoles et dhôpitaux que tous les frères arabes réunis" dit une vielle femme qui fume la pipe. "Et il ny a pas une famille de Gaza dont lun des membres nait pas été soigné dans un hôpital israélien", renchérit sa copine.
Nostalgie de perdre ses voisins ? Un peu et malgré tout. Malgré le fait quils se sont imposés et quils nétaient pas les bienvenus. Mais il sagit dune réaction marginale, une réaction qui veut exprimer la peur terrible de léclatement dune guerre civile, du chaos total ; "de ce que ce soit infiniment pire que les pires choses que nous avons connues jusquà présent. Et tu sais quon a dégusté, nest-ce pas ibni ?" me dit un vieillard dans sa misérable demeure.
Pas loin doù nous nous trouvons a été installé le poste de coordination israélo-palestinien. En cas de coup dur, cest ici quon essayera de trouver une réponse commune et surtout rapide, pour éviter que cela ne dégénère pendant le retrait. Cest en fait la crainte la plus immédiate dAbbas et de Sharon, les deux leaders qui prient pour que le désengagement se passe sans trop de dommages.
Tôt ce matin, le pire a pourtant failli arriver, le Jihad Islamique a tiré deux obus de mortier en direction de limplantation de Gadid, pleine détudiants talmudiques venus rendre la vie impossible aux soldats. Vous imaginez si quelquun avait été tué ..? me demande le colonel palestinien en charge de nous représenter au bureau de coordination.
Abbas a bien disposé presque 8'000 hommes, en accord avec les Israéliens, autour des implantations juives, avec ordre de les protéger. Sur le papier, il sagit de la plus imposante opération jamais montée par les forces de lAutorité Palestinienne ; sur le terrain, cependant, ces unités ont toutes les apparences dun troupeau délabré et très peu motivé. Les officiers crient des ordres et ces soldats nentendent ou ne comprennent pas décidément, au-delà de laspect symbolique et, dans une moindre mesure, de leffet dissuasif (surtout de par leur nombre) quils peuvent avoir sur le Hamas et le Jihad, ces hologrammes de militaires ne serviront strictement à rien.
Cest laprès désengagement qui nous inquiète. Les chefs locaux du Hamas ont déjà avisé quils ne se départiraient pas de leurs armes mais contre qui les tourneront-ils, une fois les Israéliens hors de portée ? . Le doute nest pas permis, ce qui fait dire à Abou Mazen quil ne tolèrera pas que des forces hors les forces de sécurité de lAP ne disposent de fusils.
Le ton monte, de plus en plus précis. Avec toutes ces milices armées, aucune chance de faire régner lordre ; et le prétexte israélien nexistera plus dans un mois, on se retrouvera strictement entre nous.
Des commandos égyptiens sont arrivés cette semaine à Gaza, toujours avec laccord de Sharon. Ils logent dans les bases de la Sécurité Préventive. Ces deux unités dorment le doigt sur la gâchette : 2'500 soldats, pour linstant, sur les épaules desquels dépend lavenir de Gaza. La présence des Egyptiens a dailleurs fâché les commandants du Jihad, qui ont fait publiquement état de leur mécontentement.
Laprès occupation ? Si nous parvenons à juguler les organisations terroristes, Sharon et Bush nous prendront au sérieux et nous obtiendrons notre Etat. Sinon, inutile même den parler, ces terroristes auront détruit la Palestine avant quon ne reparle de la Carte Routière.