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Le magazine “l’Express” criminalise les Juifs de France
Shmuel Trigano Professeur des Universités
Article mis en ligne le 14 août 2014

On ressort terrassé de la lecture de l’éditorial de la livraison du 6 août de L’Express qui titre en Une : « Juifs de France : ont-ils raison d’avoir peur ? » Les sous titres donnent le ton :« antisémitisme », « angoisse », « schizophrénie », « Front national ». C’est déjà tout un programme que de planter un tel décor alors que viennent de se dérouler de violentes manifestations antisémites qui ont rassemblé des islamistes, des communautaristes musulmans et, sur les marges, des partis sans base réelle (réputés d’extrême « gauche ») qui vont chercher du côté des activistes de l’islam le soutien social qu’ils ne trouvent pas dans la société française. On s’attendrait plutôt, en effet, à des études sur la haine religieuse, l’extrême gauche irresponsable, le scandale que ces événements devraient susciter chez les « Républicains » que ce dossier de l’Express invoque toutes les dix lignes. http://www.jforum.fr/forum/france/a...

Comme il y a 14 ans
Eh bien non, contre toute attente (en fait une demi surprise, car ce à quoi nous assistons en France depuis 14 ans nous a appris à nous faire une idée plus précise de la réalité), dans ce dossier, c’est la communauté juive qui est sur la sellette de l’accusée, au nom de la République courroucée par sa trahison. « Angoisse » et « peur » sont là pour annuler la réalité qu’il faudrait affronter et pouvoir accuser les Juifs d’aberration, de « schizophrénie », de double allégeance au profit d’un Israël forcément coupable, sans oublier l’inévitable invocation magique de la pensée unique qui l’aide à déligitimer ses cibles : « Front national ».

En fait, nous avons là un remake de la couverture que les magazines avaient faite de la première vague d’agressions antisémites, il y a exactement 13 ans. J’y avais consacré un long article et montré que leur scénario dominant avait choisi de présenter les Juifs de France comme égarés, angoissés, comme si il n’y avait pas parmi eux de pensée, dont toute trace fut d’ailleurs systématiquement éradiquée dans leurs colonnes pendant 14 ans , accréditant ainsi leur image de tourbe tribale, prisonnière d’émotions et de sentiments troubles, sans rapport avec la réalité : à l’époque comme aujourd’hui l’antisémitisme, pourtant manifeste, était l’objet d’un déni.

14 ans après, nous en sommes au même degré de cécité, sinon pire car il s’en est passé des choses depuis, de la part des faiseurs de l’opinion publique, au point que, oui, les Juifs doivent tirer des conclusions drastiques quant à leur avenir. Le constat que démontre ce dossier est très simple : les victimes d’agression sont fustigées et les agresseurs exemptés de toute critique, même pas l’ombre d’une critique. On n’y trouve de façon stupéfiante aucun article sur la furie islamique ni sur les dessous de manifestations organisées simultanément dans plusieurs villes de France, ce qui suppose une vraie stratégie.

C’est au fond un trait classique de l’antisémitisme. Au Moyen âge les Juifs étaient assassinés parce qu’ils pratiquaient le « meurtre rituel ». Sous le nazisme ils étaient pourchassés parce qu’ils étaient « responsables de la guerre », etc. Les Juifs sont responsables des agressions dont ils sont l’objet. Ils ont effectivement le tort d’exister. Et c’est ce que nous voyons de façon encore plus magistrale avec l’Opération « Bordure protectrice » quand la légitime défense contre une entité fasciste (je pèse ce mot) est qualifiée de « crime de guerre ».

Avant et après Christophe Barbier
Mais dans ce dossier de L’Express, l’éditorial du rédacteur en chef Christophe Barbier est sans doute à marquer d’une pierre blanche, par la violence et le mépris condescendant qu’il manifeste envers les Juifs de France. C’est un tournant dans le discours public sur les Juifs : il y aura un avant et un après. Désormais, l’éditorialiste d’un grand magazine s’estime fondé à traîner les Juifs dans la boue, dans leurs sentiments, leurs comportements, leur identité.

Dans une France et un milieu journalistique qui pratiquent avec zèle la censure du politiquement correct, c’est un événement considérable. Désormais, le politiquement correct protège tout le monde sauf les Juifs. Qu’on se le dise !

Le prétexte invoqué est, comme pour Libération , l’interdiction supposée et exigée de la Ligue de défense juive. « La Ligue de défense juive croit protéger la tribu (je souligne) mais ne fait que motiver ses ennemis : sa dissolution sera salutaire ». Il est intéressant de constater que ce prétexte, entièrement fabriqué et surdimensionné pour l’occasion, a pu donner libre cours dans la presse française à tous ces « passages à la parole » de conceptions qui jusqu’alors ne se disaient qu’indirectement et dans l’ambivalence. Il donne enfin l’occasion de fustiger le « terrorisme » juif, ce qui permet de sauvegarder le bluff des « tensions inter-communautaires », un terme destiné à occulter l’antisémitisme réel et de faire pendant aux agressions venant des milieux musulmans. L’« équilibre » est ainsi au moins rétabli et sauve le discours politiquement correct. Ce que le nom de ce groupuscule suggère (auto-défense, défense) draîne sans doute avec lui un ensemble de connotations qui ne correspondent pas à ce que des Juifs acceptables « devraient être » (« des moutons à l’abattoir » ?) et que l’Etat d’Israël enfreint quotidiennement en mettant en œuvre la légitime défense devant les agressions de l’islamisme palestinien.

En trois mouvements
Venons-en maintenant à l’analyse textuelle de Christophe Barbier.

Son propos se décline en 3 mouvements :

1) La peinture de la « communauté juive de France, confrontée à la tension importée de Gaza et à la nouvelle fièvre antisémite » (une série de mensonges car la tension n’est pas importée de Gaza. Elle n’est pas nouvelle mais là depuis 14 ans et ses acteurs sont français comme Fofanna, Merah et Nemmouche, etc). Barbier l’enjoint, de façon comminatoire, à choisir entre « l’appel exigeant aux forces de l’ordre républicaines », le « contrat républicain », la « foule républicaine » et, de l’autre côté, « peur », « faiblesse », « panique », « défaite » - en somme les « mauvais choix » qui conduisent à « auto-défense », « esprit de milice », « déchéance », « nervis », « violence », « gangs communautaires », « bunkériser sur place sa religion », « communautarisme », « féodaliser la France », « futur ghetto ».

2)Derrière cette avalanche ahurissante d’insultes, il s’agit de montrer que les Juifs ne doivent plus réagir à l’antisémitisme comme Juifs -voire ne plus réagit tout simplement - ce qui serait céder à « la tentation du communautarisme » et donc se condamner eux mêmes à « l’asphyxie », à « installer un néon sur le ghetto ». Ils doivent cesser d’être et de s’affirmer comme Juifs pour se faire oublier dans « la foule républicaine, d’où n’émerge aucun obédience, le plus sûr bouclier contre l’antisémite toujours acharné à identifier ses cibles ». Cessez d’exister et vous serez sauvé ! Drôle de morale et de politique, il faut avouer. Bien sûr, si les Juifs n’existaient pas, les djihadistes n’auraient aucune raison de les attaquer ! Bon sang, mais c’est bien sûr ! En somme c’est l’existence d’une communauté juive qui explique pourquoi il y a de l’antisémitisme ! Quant à « bunkeriser la religion » c’est effectivement, depuis 14 ans, l’incapacité de la sécurité nationale à éliminer les terroristes djihadistes qui a transformé les synagogues (et les écoles et les institutions) en « bunkers ». Il vaudrait mieux donc - pour la paix publique (!) disait déjà Jospin quand il a imposé en 2002 un black out total sur 450 actes antisémites - ne plus fréquenter ces lieux.

3)Mais l’alternative à laquelle Barbier soumet les Juifs est plus complexe car il s’en prend à une troisième voie, « l’autre impasse », qu’il criminalise de façon hallucinante : « l’alya », « trop souvent empruntée ». C’est à nouveau un déchaînement verbal que ses phrases ont du mal à contenir tant il déborde de fureur : « fuite »,« désertion », « imposture », « lacheté », « déshonneur », « dévoiement de l’appartenance à la nation (française) », « nationalisme (juif) ».

Celà nous donne l’occasion de voir ce qu’il pense d’Israël : « un ailleurs qui n’est nulle part », « soutenir Nétanyahou », « colonisations excessives », « options militaires contestables », « alliances radicales »... En vertu d’une théorie aberrante sur l’alya (« une alya laïque a pu se justifier quand il s’agissait de bâtir l’Etat d’Israël »), il met en conflit la religion juive et l’appartenance à la nation française en accusant les Juifs français de « quitter leur nation au nom de leur religion », de choisir « le nationalisme (israélien) » (« la guerre pour la guerre ») contre le « patriotisme » (« la guerre pour assurer la paix »).

Quelle guerre, au fait ? La « guerre civile » française (« raisonner contre une partie des Français (mais lesquels ? sans doute les musulmans puisque, dans cette phrase, il est question de la proximité supposée des Juifs au FN) c’est préparer une guerre civile, cette guerre dont même les vainqueurs sortent perdants ». Mais, Christophe Barbier, la guerre civile n’est-elle pas déjà là depuis 14 ans ? L’éditorialiste enchaîne en effet l’alya et le « leurre » des Juifs de France qui « se rallient au FN pour contrer la progression de l’islam dans notre société », ce qui, aux yeux de la classe médiatique, constitue le comble de la diabolisation. Elle croie avoir tout dit quand elle a évoqué le FN... Ce faisant C. Barbier identifie les Juifs désormais « communautaires » (à distinguer des « Républicains » que les premiers « abandonneraient » avec « lâcheté » en partant pour Israël !) au Front national, lui même mis en réseau avec l’alya et Israël. En somme avec l’ennemi de la « République ».

Les Juifs adeptes de Belzébuth, c’est à dire Satan...
Cette diabolisation trouve justement à se cristalliser dans le titre même et la fin de l’éditorial, sous le signe de « Baal Zebub » (« Les nouveaux Baal-Zebub »), qualifié ailleurs de « démon ». On touche ici au plus grand comique, à la fois dans l’orthographe pseudo-scientifique de cette figure qui se dit simplement en français « Belzébuth », soit le personnage du diable. Sans doute C. Barbier a-t-il lu un livre savant, qu’il a mal assimilé, sur l’origine de ce nom : Baal Zevuv, le « Seigneur des mouches », un dieu cananéen que la Bible évoque. Mais qui sont donc les nouveaux diables ? Qui invoque ce dieu païen ? Les Juifs français qui n’écoutent pas « ceux qui conseillent aux Juifs de France d’emprunter une autre direction (et qui) leur font courir de grands périls », « ceux qui consultent les nouveaux Baal Zebub pour apaiser leur crainte »... Voilà C. Barbier qui se prend pour une prophète !

Quels sont ces « grands périls » ? Y-a-t-il là une menace qu’il formule envers les Juifs ? Je reviens sur la remarque que j’avais faite dans un précédent blog ( à propos d’Alain Gresh du Monde diplomatique suggérant de comparer les Juifs qui font leur alya aux apprentis djihadistes qui partent en Syrie) : ces expressions sont caractéristiques des sociétés arabes des années 1950-1960 qui interdisaient aux Juifs de quitter les pays (alors qu’ils les dépouillaient de leur nationalité et les spoliaient de leurs biens) en les « accusant » de « sionisme ». Rien que cette comparaison est très significative de ce que la société française est devenue. La France n’est plus la France. Ces expressions ne peuvent que précipiter le départ des Juifs vers des cieux plus cléments au cas où on leur interdirait de quitter la France.

On aimerait savoir si C. Barbier dénonce avec la même véhémence les légions de Français non juifs qui quittent la France pour l’Angleterre, les Etats Unis, l’Australie ? Dans un sondage réalisé par Viavoice du 20 au 27 février 2013 auprès d’un échantillon de 1002 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas appliquée aux critères : sexe, âge, profession, région et type d’agglomération, à la question : « Si vous le pouviez, aimeriez-vous quitter la France pour vivre dans un autre pays ? », 38% de l’ensemble de la population répond par la positive. Ce type de réponse s’avère encore plus fort au sein des 18-49 ans. 50 % des 18-24 ans le souhaitent, 51% des 25-34 ans, 41 % des 35-49 ans. En quoi le pourcentage des Juifs français partant est-il différent de celui de tous les Français ? Et M. Barbier les stigmatise-t-il ?

Au fait, M. Barbier révisez vos connaissances ! Il n’y a pas en France 600 000 Juifs mais entre 350 000 et 400 000, selon le plus important démographe du onde juif, Sergio della Pergola (Université Hébraïque de Jérusalem). On se demande d’ailleurs comment C. Barbier a pu décompter les Juifs puisqu’ils sont censés ne pas exister en tant que tels dans la République... Encore un chiffre mythique.

L’éditorial se clôt sur la « morale de l’histoire » : « S’ils (ceux qui invoquent »Baal Zebub« ) pensent qu’être français est un problème pour être juif, ils donnent raison à ceux qui estiment qu’être juif est un problème pour être français ». Ce sont pourtant ces derniers que l’éditorial de C. Barbier confirme. D’autant qu’il est particulièrement déplacé de soulever la controverse sur la double allégeance des Juifs à l’heure ou 5 millions de musulmans français sont des double-nationaux des Etats d’Afrique du Nord, votent ouvertement sur tout le territoire à chaque élection, et notamment, pour les Tunisiens, en faveur parti islamiste Ennahda... Au fait j’avais entendu M. Barbier se réjouir des manifestations, drapeaux algériens en tête, lors de la coupe du monde de football. Il y voyait une preuve d’intégration festive exceptionnelle... CQFD.

PS : je n’ai pas évoqué le reste du dossier de L’Express, plutôt insipide. Un premier article mi-figue mi-raisin se termine par la traditionnelle ritournelle sur la République et les professions de foi républicaines de personnalités juives. Effectivement, les Juifs sont parmi les rares Français à invoquer encore la République et la nation, l’identité nationale : c’est exactement elles qui ont été en défaut à leur égard depuis 14 ans ! Comment L’Express peut-il soutenir ce discours et se vouloir adepte de l’Union Européenne ? Elle rend en effet impossible la République : l’Etat y a perdu sa souveraineté et, pire, il y est soumis aux directives européennes qui ont pour objectif très clair d’instaurer en France un régime multiculturaliste et donc d’y rendre impossible la laïcité et la République !

Michel Wiewiorka, interviewé comme sociologue, module quant à lui l’accusation permanente de « communautarisme » qu’il lance aux Juifs de France, enfin certains d’entre eux, depuis déjà longtemps... Ici, elle se voit déclinée sur le ton de la « schizophrénie » juive, partagée entre « la défense d’Israël et celle d’un modèle républicain aujourd’hui en panne ». Que dirait-il lui aussi des double nationaux maghrébins et des résidents français de l’Union Européenne ? Schizophrénie ? C’est à croire qu’il n’a rien compris à la nature de l’antisémitisme actuel ( l’antisémitisme antisioniste) et à la réalité de la société française contemporaine, même si il évoque la crise du modèle républicain. De fait, dans un de ses livres, il minorait la réalité de l’antisémitisme et, par contre, ciblait le « communautarisme » juif. Avec une telle anlyse on voit à quoi on arrive... La perspicacité du sociologue est ici quelque peu obscurcie par l’idéologie conventionnelle, celle qui ouvre l’accès aux plateaux médiatiques.

L’autre interview est celui de l’ancien ambassadeur israélien Elie Barnavi dont on souligne qu’il est « membre de la Paix maintenant » et donc très « crédible » puisque forcément « anti-Nétanyahou »... On se souvient que, lui aussi, au terme de ses fonctions en France, après avoir connu une série de célébrations dans les « banquets républicains » oragnisés à son intention dans les communautés juives, il avait écrit un livre où il appelait les Juifs de France à être moins « sionistes » et plus « républicains », ce qui est a priori un argument fort étrange pour un étranger, de surcroît ambassadeur de son pays. Lui, évoque dans cet interview le « vivre ensemble », c’est à dire l’exact contraire de la République. Le « vivre ensemble » c’est le multiculturalisme, une coexistence tolérante de gens qui s’ignorent, alors que « l’être ensemble » relèverait, lui, de la République et de la laïcité. Nous sommes avec toutes ces figures rhétoriques creuses dans un méli-mélo idéologique qui ne correspond plus à rien.

Avec ces deux personnalités juives, L’Express croit avoir bouclé honorablement son dossier et exciper de toute critique. C’est ce modèle qui est à l’œuvre depuis 14 ans excluant toute voix critique, les porte parole authentiques de la vie juive, qui ne sont plus forcément les institutions (là aussi un piège qui annule la diversité des opinions de la communauté juive) et qui n’en sont pas moins des personnages respectables, universitaires, intellectuels, républicains. Etc.

Il faut signaler un ignoble dessin de Plantu au milieu de ce dossier sur « Les tunnels de Gaza ». On y voit des tunnels avec une famille (enfant, femme, nourrisson) de pauvres Palestiniens qui meurent de faim et tentent d’en sortir mais qui buttent contre un mur, un membre du Hamas qui creuse ardemment avec ses missiles, un Palestinien désarmé sortant d’un tunnel avec le drapeau de Palestine sur le point d’être écrasé sous un char israélien ou trône un soldat qui rit parce qu’il reçoit des munitions dans une enveloppe cadeau des Américains qui sortent aussi de plusieurs tunnels et notamment l’oncle Sam qui lui apporte un missile enrubané.
Pauvre France !



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