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« Le mythe romantique juif continue »
par Philippe Boukara*. Propos recueillis par Chiara Penzo © Le Nouvel Observateur
Article mis en ligne le 31 juillet 2005

Ce n’est pas la première fois qu’un Premier ministre israélien appelle les juifs d’autres pays à venir s’installer sur son territoire. Cet appel s’inscrit-il dans le mouvement sioniste moderne ?

- Oui, il me semble. Bien sûr, pour ceux qui ne connaissent pas Israël et le sionisme, cela peut paraître surprenant qu'un dirigeant en visite dans un pays étranger appelle une communauté à venir vivre chez lui. Mais c'est la définition même du sionisme: un mouvement qui incite les juifs à émigrer. Israël est un pays qui s'est construit autour d'un renouveau de la vie juive et qui a ensuite pris la forme d'un Etat en 1948. Cet Etat a conservé un lien très fort avec la diaspora qui se traduit par un appel constant à l'immigration des juifs.
L'idée est très ancienne, elle remonte à la Bible. Le mot hébreu "Alyah", qui signifie littéralement "la montée vers la ville de Jérusalem", y est employé pour désigner le pays d'Israël tout entier.
Moralement, Israël se trouve au-dessus des autres pays pour les juifs. Le fait d'y vivre a une valeur morale très forte. C'est le seul Etat qui entretient un lien spirituel avec ses habitants.
Le mouvement sioniste moderne n'a fait que reprendre cette notion très ancienne, qu'on retrouve également chez les Grecs anciens ou les Phéniciens. A savoir, l'idée d'une population qui vit loin de son pays d'origine mais qui garde un lien étroit avec ce dernier.

La communauté juive de France intéresse-t-elle Israël de manière spécifique ? Ariel Sharon a-t-il récemment lancé des appels similaires dans d'autres pays ?

- C'est ce qu'il dit. Les hommes politiques israéliens ont toujours tenu ce discours, cela fait partie de leur langage officiel à chaque fois qu'ils se déplacent à l'étranger.
Il est vrai qu'en France le potentiel d'immigration est plus fort qu'ailleurs, non pas en raison des incidents antisémites dont on a parlé ces dernières années, mais plutôt du fait du vieillissement de la société française. La France offre aujourd'hui peu de perspectives d'avenir à ses habitants.
A l'opposé, la société israélienne apparaît davantage tournée vers l'avenir au niveau économique, elle plus fluide, plus ouverte à l'innovation que la France. En matière de recherche scientifique et technologique, Israël se situe parmi les pays les plus dynamiques au monde. Malgré la distance géographique, Israël entretient une proximité très concrète avec les entreprises californiennes, ce qui rend le pays très attractif pour les juifs. A cela s'ajoute un terrain spirituel profond qui incite beaucoup de juifs français à venir s'installer en Israël.

Ces appels à l'immigration trouvent-ils un écho dans la société israélienne ? Ont-ils un impact sur le conflit israélo-palestinien ?

- Il faut savoir que la moitié des Israéliens sont des immigrants, l'autre moitié des descendants d'immigrants. L'immigration fait partie des "règles du jeu" dans le pays, elle est considérée tout à fait légitime par ses habitants. Les nouveaux arrivants sont perçus de façon très positive par la population et sont en général très bien accueillis.
En outre, la "loi du retour" facilite considérablement l'arrivée de familles d'immigrants. Selon cette loi, il suffit en effet d'avoir un grand-parent juif pour être naturalisé israélien et avoir le droit de s'installer avec toute sa famille.
En ce qui concerne le conflit avec les Palestiniens, le fait d'avoir une immigration juive dynamique joue certainement un rôle en faveur de la paix. S'ils étaient plus nombreux, les Israéliens se sentiraient plus forts, plus confiants et cette situation faciliterait les concessions lors des négociations.
Il suffit en effet de regarder dans le passé. Les accords diplomatiques d'Oslo ont été signés en 1993 par Rabin juste après la grosse vague d'immigration en provenance de l'URSS. Cette percée diplomatique avec les pays arabes a coïncidé avec un fort accroissement de la population israélienne.
D'autre part, les juifs qui émigrent ne vont quasiment jamais s'installer dans les colonies des territoires occupés, ils ne créent donc pas de tension supplémentaire avec les Palestiniens. Ils préfèrent aller vivre à l'intérieur des frontières d'Israël, dans les villes.
Les appels à émigrer font donc partie du mythe romantique du peuple juif. Avant 1948, ils servaient à construire et à peupler l'Etat d'Israël. Aujourd'hui, quand les Israéliens voient arriver de nouveaux immigrants, ils ont l'impression que le mythe continue. Cette "tradition" nourrit la dynamique collective.


  • Philippe Boukara, historien spécialiste de l’histoire juive contemporaine, enseignant à l’IEP de Paris


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