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Le crépuscule des Idoles
Par Emmanuel Navon, www.navon.com | Adaptation française de Sentinelle 5771 ©
Article mis en ligne le 15 juin 2011

Les intellectuels sont préoccupés. La Sainte Trinité israélienne (Amos Oz, A.B. Yehoshoua, et David Grossman) vieillit. Le Panthéon de l’Université Hébraïque (Martin Buber, Yehuda Magnes, et Yeshohoua Leibowitz) appartient à l’Histoire. Avraham Burg essaie d’imiter Leibowitz, mais il est difficile d’hériter de la ‘grosse tête lithuanienne’ quand vous n’avez pas fini le collège. De même pour Schlomo Sand, Moshe Zuckermann et Ilan Pappe, seuls des néo-marxistes européens veulent bien assister à leurs conférences et publier leurs livres.

“Il était d’usage… qu’ils m’appellent à la Radio de l’armée” se plaint Moshe Zuckermann à Ofer Aderet du journal ‘Ha’aretz’ (« la peau de chagrin de l’esprit israélien », 07 juin 2011). Alors, qu’est-il arrivé ? « Les gens ont été réduits au silence. Ils ont essayé de les étrangler – et ils ont réussi » dit-il. Zuckermann ne précise pas à qui il se réfère par « ils » mais Daniel Gutwein blâme les « forces du marché ». Voyez-vous, explique Gutweinn « Le marché… assure qu’il n’y a pas de discussion intellectuelle ». Comme Schlomo Sand, il blâme les universités elles-mêmes : « pour devenir un professeur, dit-il, il faut être prudent ».

Une seule personne doit surveiller le maquillage politique des facultés de Sciences Sociales d’Israël pour se demander (ou plutôt, pour comprendre) ce que Sand signifie par « prudent ». De même que « les forces du marché » sont l’ennemi de la discussion intellectuelle, je parie que Bernard Henri Levy prierait pour être différent : il vole dans un jet privé et a encore une grande audience aussi bien en France qu’à l’étranger (y compris Israël). Il est presque pardonné pour sa bouffonnerie parce que, au bout du compte, il est documenté, écrit bien, et continue de renouveler son stock.

La plupart des intellectuels israéliens, à l’opposé, sont provinciaux et fossilisés. Nulle part ailleurs qu’en Israël je n’ai vu des universitaires et des journalistes qui pensent encore que mentionner Foucault et Derrida, c’est ‘cool’. Ces gens-là ont vécu sur les mêmes mantras fatigués depuis des décennies : l’occupation est la source de tout mal ; la religion est pour les attardés ; la survenue de la paix dépend seulement d’Israël. Ce n’est pas que les Israéliens soient devenus des « anti-intellectuels » ou qu’ils aient été « étranglés ». C’est juste qu’ils sont fatigués d’entendre l’absurdité des conformistes hypocrites.

Une exception remarquable, c’est Yehuda Shenhav. Professeur de sociologie à l’université de Tel-Aviv, Shenhav exprime des opinions peu orthodoxes, et n’a aucun scrupule à être un dissident. Son dernier livre « Liés par la ligne verte » (éditions ‘Am Oved’, 2010), montre l’hypocrisie intellectuelle de l’establishment ashkénaze d’Israël. En blâmant « l’occupation » pour les problèmes d’Israël argumente Shenhav, la Gauche sioniste se ment à elle-même. Shenhav va plus loin : l’obsession de la Gauche israélienne sur « l’occupation » a moins à voir avec le libéralisme qu’avec la nostalgie d’Israël laïc et ashkénaze d’avant 1967. Mais pour les Palestiniens (et de fait pour Shenhav lui-même), le « pêché originel » n’est pas 1967. C’est 1948.

Shenhav n’est pas un partisan de Droite essayant de démontrer l’absurdité du paradigme d’Oslo. Il rejette ce paradigme précisément parce qu’il déclare qu’Israël était violent et raciste avant 1967. Alors que les tenants de la « cosmologie d’avant 1967 » voudraient nous faire croire que la Guerre des Six Jours a transformé Israël de « la Petite Maison dans la Prairie » en « Terminator », Shenhav argumente que « le modèle créé en 1948 a transformé Israël en toutes intentions et objectifs, en un Etat racial ». Ainsi, il appelle à un retour à un Israël « d’avant 1948 », dans une acceptation du « droit de retour » palestinien, et à l’établissement d’une fédération juive et arabe.

J’ai trouvé le diagnostic et le pronostic de Shenhav épouvantables. Israël d’avant1967 n’était pas un Etat “racial”. Il était (et est encore) un Etat-nation qui accorde une préférence culturelle à la nation dominante tout en garantissant des droits civils égaux aux minorités, exactement comme d’autres Etat-nations comme la France, le Japon ou la Suède.

Et appeler à une fraternité pastorale entre une minorité juive et une majorité arabe dans une fédération aux contours mal définis ignore tout simplement l’histoire. Les Juifs ont été persécutés et maltraités en tant que citoyens de seconde zone dans les pays arabes. La plupart des mouvements nationaux arabes avant la Seconde Guerre Mondiale étaient fascistes. Le premier dirigeant palestinien, Hadj Amin el Husseini, était un collaborateur nazi qui fut personnellement responsable des pogromes antijuifs en Palestine en 1929 et 1936.

La naissance d’Israël en 1948 a été davantage le résultat plutôt que la cause de l’animosité et de la violence arabes. Le fait que ‘les Protocoles des Sages de Sion’ et ‘Mein Kampf’ soient les meilleurs tirages de librairie dans les capitales arabes et que les media et les prêcheurs palestiniens décrivent les Juifs comme des « fils de porcs et de singes » est de mauvais augure pour des Juifs sans Etat dans le Dar el Islam.

Mais Shenhav a le mérite de reconnaître que « l’occupation » est une excuse illusoire pour l’absence de paix, et que c’est le Sionisme lui-même que les Arabes rejettent.

Aussi le choix ne se situe pas entre l’occupation et la paix mais entre le Sionisme et la paix. Beaucoup d’anciens croyants de la « cosmologie d’avant 1967 » réalisent cela. Certains sont tellement attachés à la paix qu’ils sont devenus post-sionistes. D’autres sont si attachés au Sionisme qu’ils ont opté pour la ténacité.

Avi Shlaim et Benny Morris en sont de parfaits exemples. Tous deux autoproclamés « nouveaux historiens » ont publié séparément une histoire du conflit arabo-israélien peu avant l’implosion du processus d’Oslo. (‘Le Mur d’acier’ et ‘Victimes légitimes’). Les deux auteurs ont fait bon accueil à l’élection d’Ehud Barak en 1999, prédisant qu’il prouverait bientôt le bien-fondé de leur théorie. C’est le contraire qui arriva. Shlaim réagit en rejetant le Sionisme, Morris en rejetant le paradigme d’Oslo. Alors, que Shlaim dit maintenant que « le Sionisme est le véritable ennemi des Juifs », Morris déclare que « nous sommes condamnés à vivre par l’épée ».

Morris se compare même à Albert Camus. « Il était considéré comme un personnalité de haute moralité, mais quand il traitait du problème algérien, il plaçait sa mère au-dessus de la morale » déclara Morris à Avi Shavit dans son fameux entretien de 2004. Ainsi, Morris déclare : « Préserver mon Peuple est plus important que les concepts moraux universels ». Boaz Neumann, un professeur d’histoire à l’Université de Tel Aviv, a utilisé la même métaphore et fait la même mise au point.

“Le crépuscule des Idoles” n’est pas seulement un livre fameux de Friedrich Nietzsche. C’est aussi un dogme central du judaïsme. L’idolâtrie est une abomination parce que le fidèle sait qu’il se ment à lui-même. Que certains Israéliens soient dégrisés est un signe d’espoir. Qui sait : même la Sainte Trinité israélienne pourrait finalement reconnaître Le Saint Unique.

Emmanuel Navon, 14 June 2011.



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