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La création de Kadima a rappelé l’initiative française pour sortir de la crise algérienne. Sharon, le tournant gaulliste
Par Abraham B. YEHOSHUA - Libération
Article mis en ligne le 11 janvier 2006

L’hémorragie soudaine dans le cerveau du Premier ministre d’Israël, Ariel Sharon, met un terme à sa carrière politique parvenue à son apogée. Il y a quelque chose de shakespearien dans cette rencontre. Et comme une métaphore politique sur la teneur de la maladie dont il souffre.

Si cet accident cérébral avait frappé Ariel Sharon il y a huit mois, avant même l’évacuation des colonies de Gaza et avant sa démission du Likoud et la création d’un parti nouveau qui poursuive, d’une manière ou d’une autre, le processus de paix, sa disparition de la scène politique n’aurait pas rencontré un tel écho. Certes, elle aurait provoqué une profonde tristesse parmi ses fidèles, ses compagnons d’armes, dans son parti et, sans doute, dans des cercles de droite du peuple, mais en aucun cas elle n’aurait bénéficié de l’aura nationale qui l’entoure aujourd’hui. Les hommes du camp de la paix, qui le considéraient comme l’un des plus grands architectes de la politique de colonisation et l’ennemi juré de toute possibilité de compromis et de réconciliation avec les Palestiniens, ne prendraient pas le deuil de sa retraite politique.

Cependant, le tournant significatif qu’il a pris l’an dernier et, surtout, sa capacité à démanteler des colonies, dont il était le bâtisseur le plus acharné, l’ont rendu acceptable aux yeux du camp de la paix, et c’est pourquoi la crainte est née que ses successeurs n’aient pas la même énergie à démanteler des colonies qui représentent l’obstacle principal (plus que le terrorisme palestinien) à un accord au Proche-Orient.

Le départ de Sharon du Likoud et la création de Kadima (En avant !) ne sont pas moins importants, et cette initiative ressemble, dans une certaine mesure, à la création d’une formation gaulliste par de Gaulle après la crise algérienne en France à la fin des années 50. Non seulement elle a permis de mobiliser le soutien massif du Parlement à la politique de décolonisation de l’Algérie, mais d’apporter aussi un changement à la Constitution française afin de guérir le régime de la maladie chronique qui frappait la IVe République.

En un certain sens, Kadima a vocation à incarner un parti gaulliste en Israël, et le soutien que lui prédisent les derniers sondages électoraux en vue du scrutin de mars, alors même que Sharon est sur son lit de souffrances, offre encore l’espoir que ce parti pourra jouer, avec l’aide de la gauche, un rôle essentiel non seulement pour quelque accord politique avec les Palestiniens, mais aussi pour des réformes constitutionnelles capitales pour la politique israélienne.

La désintégration du plus grand parti de droite qui, ces dernières années, affichait une politique extrémiste insolente, y compris dans le domaine social, est aussi à mettre au crédit d’Ariel Sharon, qui a réalisé l’impossible, en l’occurrence. Mais la différence essentielle avec la France d’il y a quarante ans est que le changement « gaulliste » doit s’accomplir en l’absence de « De Gaulle »...

(A ce point, je voudrais faire une digression : lorsque je compare Sharon à de Gaulle, il ne s’agit que d’un propos propre à faciliter une comparaison historique. En aucun cas je ne les mets sur le même plan : ni du point de vue éthique ni, bien évidemment, du point de vue de la sagesse et de la profondeur qui étaient l’apanage de De Gaulle. Sharon, lui, est un militaire de talent devenu un politicien chevronné, au charisme évident, qui a commis, dans ses diverses fonctions, de graves erreurs politiques et militaires, dont la plus grande est la guerre du Liban en 1982...)

Dès lors, voici la question la plus douloureuse qui se pose à Israël et au monde : est-ce que cette initiative « gaullienne » a une chance de se réaliser sans Sharon ? La réponse est complexe et non univoque mais, à mon sens, plutôt positive, et c’est pourquoi je ne suis pas pessimiste sur la poursuite d’un règlement avec les Palestiniens.

Quitte à reprendre la symbolique de la maladie du Premier ministre et le fait que son cerveau fait en ce moment l’objet d’examens approfondis, de nombreux experts politiques ont tenté de deviner ses intentions profondes au cours de son prochain mandat. Car, jusqu’à ce jour, il s’est montré nébuleux et contradictoire. D’un côté, il a réitéré qu’il n’y aurait pas d’autres évacuations et, de l’autre, qu’au cours de ce nouveau mandat les frontières définitives de l’Etat seraient fixées. Comment ? Avec qui ? Il prend soin en effet d’affirmer qu’il n’y a pas de partenaire dans le camp palestinien à cause de l’incapacité de l’Autorité palestinienne à désarmer les organisations du Hamas et du Djihad... Ce brouillard politique a séduit de nombreuses personnes qui expriment leur intention de voter pour un parti qui est non seulement bâti sur la personnalité d’un seul homme, mais alors même que nul ne sait ce qu’il s’apprête à faire.

Ariel Sharon est tenu pour quelqu’un qui, en aucun cas, n’aurait mis en danger la sécurité de son pays, bien qu’il ait essuyé de nombreux échecs militaires. Mais ses héritiers ne jouissent pas du même prestige guerrier. Pas plus que dans les autres partis, d’ailleurs. Alors, pourra-t-on poursuivre cette politique « gaullienne sans De Gaulle » ? Oui, mais à une condition : une intervention plus active des Etats-Unis et de l’Europe dans le conflit israélo-palestinien. Le remplaçant de Sharon, Ehud Olmert, hérite d’un grand parti fort, il a autour de lui des hommes expérimentés, et il n’affronte pas de choix cornélien. Il peut aussi déterminer la liste des candidats aux prochaines élections. Ce sont des avantages certains pour un futur Premier ministre. Son problème est de ne pas avoir encore mis à l’épreuve sa capacité à diriger et son manque de prestige dans l’opinion.

Ces deux inconvénients peuvent être compensés par une action énergique de la communauté internationale afin d’évacuer les territoires palestiniens et de démanteler les colonies et les avant-postes, tout en exerçant une pression financière massive sur les Palestiniens de Gaza afin qu’ils mettent fin à leurs tirs de roquettes sur Israël. Si la communauté internationale estime qu’il est vital que le retrait des territoires ne s’arrête pas avec la disparition de Sharon, elle doit faire désormais ce qu’elle n’a jamais fait. Renoncer à son apathie et exercer une plus grande pression sur Israël et sur les Palestiniens afin que la voie de l’évacuation demeure ouverte. La majorité du peuple israélien et des Palestiniens la remercieront dans le secret de leur coeur.


(Traduit de l’hébreu par Jean-Luc Allouche)

, Calmann-Lévy.

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