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Père P.Desbois : « Nous avons aussi nos ennemis »
Par Caroll Azoulay pour Guysen International News
Article mis en ligne le 2 juin 2009

De passage à Jérusalem « où il se sent chez lui », Patrick Desbois qui accompagnait le voyage du Pape en Israël a pris le temps d’accorder une interview à Guysen, « média qu’il affectionne tout particulièrement ». Récompensé par l’université Bar Ilan de Tel Aviv, puis prochainement par l’université hébraïque de Jérusalem, le prêtre évoque son travail, le voyage du pape, ses priorités et ses rapports, parfois complexe avec un monde toujours aussi étonné de constater qu’il existe encore quelques hommes extraordinaires…Rencontre.

C’est à travers son remarquable ouvrage ‘Porteur de mémoires. Sur les traces de la Shoah par balles’ qu’il est peut être possible de cerner la personnalité de ce prêtre, encore inconnu du grand public voila 10 ans. Un homme obstiné, fuyant la lumière des projecteurs, clairvoyant et dont la destinée est désormais irrémédiablement liée à celle du peuple juif. De nombreuses fois récompensé, aux Etats-Unis ou encore en France pour son travail, ce sont les tribunes les plus renommées d’Israël qui s’arrachent à présent Patrick Desbois pour lui décerner des prix bien mérités.

Après le Doctorat Honoris Causa remis par l’Université Bar Ilan de Tel Aviv le 12 Mai dernier, l’université hébraïque de Jérusalem, décernera à son tour le même prix au Père Desbois le 7 juin prochain.

Des honneurs que le prêtre apprécie à leur juste mesure mais qui ne sont pas prêts de le déconcentrer de sa mission : poursuivre la localisation des fosses communes dans lesquelles des milliers de juifs furent jetés dans le plus grand secret. « Le temps presse » explique P.Desbois que l’on sent déjà en partance pour un nouveau voyage vers l’est, vers l’enfer de la shoah par balle…

C’est à travers l’association ‘Yahad-In Unum’ que vous poursuivez vos recherches. Celles-ci vont-elles se poursuivre encore longtemps ?

Au début on travaillait sur une région, l’Ouest de l’Ukraine, puis sur toute l’Ukraine. Aujourd’hui, du fait des changements politiques qui se sont opérés dans l’est, il nous est désormais possible d’avoir accès à des zones géographiques qui étaient jusqu’à présent fermées, et qui, nous le savons ont été aussi le théâtre d’assassinats de juifs en masse.
Des fosses communes dans lesquelles ont été enfouis les corps des juifs ont ainsi été repérées en Biélorussie et en Russie, et s’étendent même jusqu’en Ossétie (nord de la Géorgie).

Ce qui est important de signaler c’est que nombreuses de ces exécutions n’ont pas été signalées par les allemands à leur hiérarchie. Souvent, on ne trouve rien dans les archives allemandes, parce que Himler avait établi une concurrence pour déclarer le plus vite possible la ville ‘judenfrei’ (libre de juif). Les allemands établissaient donc des fausses déclarations dans ce sens, puis les SS retournaient sur les lieux pour tuer les juifs sans mentionner le nombre exact d’assassinats.

Donc pour une exécution officielle, il y avait parfois 10 exécutions non déclarées.

Dans ces régions, il est intéressant de noter la diversité de la population juive qui comprenait des laics ayant participé à la Révolution russe, mais aussi des gens extrêmement religieux qui formaient les noyaux durs des centres spirituels du courant hassidique ou encore ces juifs des Montagnes, vivant en terre d’Islam, et dont une bonne partie repose aujourd’hui dans des fosses communes encore non localisées dans ces pays de l’Est. C’est donc tout un pan de l’histoire juive et de la Shoah qui est peut être connu des historiens, mais absolument pas par la population locale.
Car les morts n’ont pas pu parler.
Seuls quelques témoins des exécutions connaissent la réalité, et le temps nous est donc compté si l’on veut receuillir leur témoignages. Ces personnes connaissaient les juifs travaillaient chez eux, ou ont été contraints par les nazis à les aider dans leur sale besogne.

« Donc pour une exécution officielle, il y avait parfois 10 exécutions non déclarées ».


En ce moment même, une de mes équipes se trouve en Ukraine pour continuer les recherches. Nous luttons contre le temps, car les morts que l’on ne retrouve pas maintenant, on ne les retrouvera jamais.

Les archives sont importantes, mais sont insuffisantes, car les allemands ont essayés de se montrer comme des automates aux yeux de Berlin, mais ils n’étaient en fait que des assassins.
On sait par exemple que dans tous les villages, des femmes juives étaient gardées comme des esclaves sexuelles ou des ouvrières forcées. Comme il s’agissait d’une pratique interdite à Berlin, les allemands ne déclaraient pas ces femmes, et les tuaient juste avant de partir. Dans tous les villages, il existe ainsi une fosse commune des femmes que l’on met beaucoup de temps à trouver parce que personne ne veut en parler.

Nous avons également retrouvé la trace de petits ‘camps de travail’, dans l’enceinte desquels, lors du départ des SS, des fosses étaient creusées pour y enterrer la ‘main d’œuvre’ juive. Des exécutions massives que personne ou presque ne soupçonnait sauf certains habitants utilisés par les nazis pour travailler eux aussi dans le camp et que nous tentons de retrouver aujourdhui.

C’est important travail d’investigation qui nécessite des fonds, est-il suffisamment soutenu selon vous ?

Nous sommes énormément soutenus par différentes organisations, la Fondation pour la mémoire de la Shoah notamment, et Madame Veil qui nous a fait connaitre dans les médias, ainsi que d’autres fondation, et des personnalités, du monde chrétien également. Mais nous devons cependant nous activer pour pouvoir boucler notre budget, car de ce budget dépendra que l’on trouve ou pas les morts. On est donc obligé de déployer toute une recherche de fonds pour y parvenir, sachant que toute l’organisation est entièrement transparente.

Est-ce tabou de parler d’argent dans le monde catholique ?

Oui il s’agit du tabou suprême bien que notre action en particulier bénéficie d’un fort soutien. Il n’en demeure pas moins que nous avons aussi des ennemis…

Qui peut être l’ennemi d’une telle cause ?

Nos ennemis appartiennent à 4 catégories : l’extrême droite qui ne veut surtout pas que l’on s’attarde sur la Shoah, l’extrême gauche pour qui la Shoah ne fait que « servir le projet sioniste au détriment des palestiniens », une minorité musulmane qui commence à comprendre que notre travail est susceptible de modifier le nombre actuel des victimes et pour laquelle ce dossier commence véritablement à être encombrant. Enfin il existe aussi certains intellectuels, qui ne vont jamais sur le terrain mais se targuent de connaitre déjà la Shoah par balles, en disant que « le père Desbois n’a rien découvert ». Une chose est sure, quand il fait moins vingt en Ukraine je n’ai plus de conflit avec personne !

Vous avez été récompensé par différents pays pour votre travail, en quoi le doctora honoris causa qui vous a été décerné par l’université Bar Ilan de Tel Aviv était particulier à vos yeux ?

Tout d’abord il s’agissait du premier prix qui m’était remis en Israël, ce qui n’est pas anodin. Ensuite, le fait qu’il me soit décerné par Bar Ilan qui est une université religieuse, m’a beaucoup surpris et touché. Ce d’autant que lors de la même cérémonie, le Rabbin Lam, que je connais personnellement a lui aussi été distingué. En même temps je dois dire que notre lien avec les religieux devient de plus en plus profond, en partie parce que nous nous occupons des corps. Notre travail consiste en effet à faire en sorte que les corps des juifs assassinés soient protégés. La plupart des fosses communes sont aujourd’hui ouvertes par les voisins qui cherchent l’or des dents et sortent à cette fin, tous les os des défunts dehors. C’est affreux. Ce lien religieux est assez mystérieux pour moi mais assez encourageant d’autant plus que je sais que dans le judaïsme, les morts de la Shoa sont des Tsadikim (justes NDLR). Pour moi ce lien est un soutien de fond, parce que je sais que beaucoup de juifs prient pour notre travail.

Qu’entendez-vous par lien mystérieux ?

Parce que nous sommes deux religions sœurs, mais totalement asymétriques jusque dans l’au delà. Et pourtant assez paradoxalement on se rejoint dans l’ici bas. J’ai ainsi rencontré de nombreux responsables rabbiniques afin que tous les problèmes liés aux règles prévues par la Loi juive sur l’enterrement des corps soient aplanis.

Au début de votre travail, vous aviez effectivement rencontré quelques oppositions au sein du monde orthodoxe…

C’est exact, mais la question est désormais résolue. Nous n’ouvrons plus les fosses. On se contente de délimiter la zone afin que qu’elle soit assimilée à un cimetière et qu’elle ne puisse plus être profanée. Quand c’est possible, nous inscrivons le nom des victimes et la date de leur mort, afin qu’un Kadish soit prononcé par la communauté juive locale. Grace aux sources du village, aux registres tenus par les soviétiques après la guerre et les chiffres, parfois fiables, des allemands nous réussissons à établir un chiffre relativement précis des victimes qui sont enfouies dans les différentes fosses. Enfin nous retrouvons aussi très souvent des bijoux et des alliances que les femmes juives enterraient sous la terre, non loin de la fosse, avant d’être fusillées. Le dernier geste de refus de ces femmes et la preuve de la Shoah par balle, crime par crime.

Comment votre travail est-il perçu par votre hiérarchie ?

Des le début nous avons été soutenu par Benoit XVI et dans la réunion du saint Siège avec les Juifs qui s’est déroulée à Budapest, voilà un an environ, pour la première fois on m’a donné 40 minutes pour exposer mon travail devant tous les cardinaux, et ça a beaucoup changé l’ambiance. Au Etats-Unis également notre travail est désormais bien connu de l’Eglise, et cette reconnaissance représente un changement important pour nous.


« Mahmoud Ahmadinedjad est vraiment insensé, on l’a vu à Genève, et aujourd’hui le danger c’est lui ».



Pensez-vous que ce travail vous vaudra prochainement une promotion au sein de l’Eglise ?

Ce n’est pas ce que je recherche. Plus je serais simple et plus je pourrais allez loin dans mon travail. C’est une chose d’être décoré et d’apparaitre dans les amphithéâtres, mais ce qui est important c’est d’aller dans les petits villages, avec de la boue, des oies et des chiens qui aboient et des gens très miséreux, pour receuillir des témoignages et faire ainsi savoir ce que les juifs ont subis dans ces endroits.

Vous vous rendez toujours autant sur le terrain ?

Oui absolument, je suis sur le terrain environ 5 mois par an. Je viens de finir un voyage en Bielorussie, j’y retourne en aout et en octobre prochain.

Un mot sur le pape et sa visite en Israël ?

Tout d’abord le pape Benoit XVI n’est pas le pape Jean-Paul II. Ceci dit, le pape a mis dès son arrivée à l’aéroport plusieurs points essentiels sur la table et qu’il a répété à plusieurs reprises : On se souvient de la Shoah et des six millions de victimes, le négationnisme n’a rien à faire avec nous dans l’Eglise, l’antisémitisme est « dégoutant » et enfin, deux Etats pour deux peuples. Le 5 e point fort de son voyage a été l’accent mis sur le dialogue inter-religieux entre juifs catholiques et musulmans, ce qui a énormément surpris son entourage.

Un autre aspect intéressant de son voyage a été le message de paix qu’il a voulu transmettre de la même façon aux politiques palestiniens et israéliens. Une démarche d’un genre un peu nouveau pour l’Eglise qui n’a jamais tenu spécialement à s’investir à ce niveau. Aller dans un camp de réfugiés palestiniens et dire que la paix ne pourra se réaliser tant que la paix inter religieuse ne se fera pas et tant qu’il n’y aura pas de réconciliation, c’est un évènement.

D’une façon générale, êtes-vous optimiste ou pessimiste pour l’avenir de la région ?

Je suis plutôt optimiste, ce qui fait réèllement peur c’est Tehéran, qui, s’il acquiert la bombe atomique, mettra en péril la paix mondiale. Mahmoud Ahmadinedjad est vraiment insensé, on l’a vu à Genève, et aujourd’hui le danger c’est lui.



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