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Le Président George Bush,Israël et la Communauté juive
By Elias Levy - Canadian Jewish News
Article mis en ligne le 14 janvier 2004

Une interwiew du journaliste Éric Laurent, grand reporter au quotidien Le Figaro -où il a travaillé pendant 15 ans- et aujourd’hui à l’hebdomadaire Le Point, c’est un des meilleurs spécialistes français de la politique étrangère des États-Unis, notamment au Moyen-Orient.

Il est l’auteur de plusieurs essais remarqués, dont La Guerre des Bush (Éditions Plon, 2003) et Le monde secret de Bush. La religion, les affaires, les réseaux occultes (Plon, 2003). Deux livres, traduits dans 23 langues, qui ont connu un succès international retentissant.
De passage récemment à Montréal, Éric Laurent a livréau Canadian Jewish News ses analyses sur la position de l’administration Bush face au conflit israélo-palestinien et les enjeux de l’après-guerre en Irak.

Canadian Jewish News : À un an des élections présidentielles américaines, l’administration Bush pourrait-elle se permettre d’exercer des pressions sur les gouvernements israélien et palestinien pour qu’ils renouent les pourparlers de paix ?

Éric Laurent : L’administration Bush est moins engagée que ne l’a été l’administration Clinton dans la volonté de résoudre le conflit israélo-palestinien. Par ailleurs, jamais les relations entre un Premier ministre israélien et un Président américain n’ont été aussi étroites que celles existant aujourd’hui entre Ariel Sharon et George W. Bush. Autant l’administration de Bush père avait été assez critique envers la politique israélienne -avec la volonté de faire ployer le gouvernement de Yitzhak Shamir en lui imposant la Conférence de Madrid de 1991 et en subordonnant l’octroi d’un crédit de 10 milliards de dollars à l’avancement des négociations de paix. Avec Bush fils, les relations israélo-américaines sont à leur zénith.

C.J.N. : Pour l’administration Bush, la « feuille de route » n’est-elle pas désormais un projet bel et bien mort ?

Éric Laurent : La « feuille de route » était condamnée sans appel dès sa naissance pour une raison évidente : l’électorat américain n’est pas du tout préparé à admettre des concessions territoriales ou autres de la part d’Israël aux Palestiniens. Il y a aujourd’hui tout un pan de l’électorat américain qui est un électorat d’extrême droite, chrétien et fanatique, mais qui, en même temps, est assez proche d’Israël. Celui-ci soutient inconditionnellement l’idée du Grand Israël pour des raisons purement bibliques et idéologiques. Ces radicaux de droite constituent le maillon fort de la réélection de George W. Bush en 2004.

On dit toujours que les élections dans les démocraties se gagnent au centre, cela a toujours été le cas aux États-Unis. Mais, pendant les élections de l’an 2000, le grand coup de génie de Carl Rove, le principal stratège électoral de Bush, c’est d’avoir dit : « l’élection cette fois-ci se gagnera avec les voix de l’extrême droite », c’est-à-dire avec les voix de 18 millions d’Américains qui ont toujours été tenus à la marge du Parti républicain et qui n’ont qu’un seul pouvoir : un pouvoir de nuisance, c’est-à-dire la capacité de faire battre des candidats à la présidence ou des présidents sortants.

C.J.N. : Donc, à un an des élections présidentielles, il est hors de question que l’administration Bush exerce des pressions lancinantes sur le gouvernement d’Ariel Sharon.

Éric Laurent : Sur le plan du fonctionnement, un an avant les élections, toute administration américaine cesse d’exister, personne ne prend plus des décisions majeures, aussi bien au Département d’État qu’au Pentagone, tout fonctionne en roue libre. Pour assurer sa réélection, il est évident que Bush ne fera d’aucune manière pression -il n’a d’ailleurs jamais eu envie de le faire- sur le gouvernement israélien et sur Ariel Sharon. Les derniers sondages sont très éloquents à ce sujet : Bush, qui était plutôt impopulaire en l’an 2000 dans l’électorat juif américain -la majorité des électeurs juifs s’étaient alors portés sur le candidat démocrate Al Gore- voit aujourd’hui sa cote considérablement augmenter auprès de cet électorat. Il y a aussi tous ces chrétiens fanatiques qui constituent l’espèce de différentiel qui lui permettra de gagner les prochaines élections. Ces chrétiens maximalistes soutiennent vigoureusement Israël et n’accepteront jamais que l’on exerce la moindre pression sur l’État hébreu.

C.J.N. : L’administration Bush et le gouvernement d’Ariel Sharon tablent énormément sur le nouveau Premier ministre palestinien pour réinstaurer un climat plus serein dans les relations, très tendues, israélo-palestiniennes.

Éric Laurent : Les relations entre le nouveau Premier ministre palestinien, Ahmed Queria -Abu Ala-, et les Israéliens ont toujours été excellentes. Ahmed Queria est considéré comme un pragmatique. C’est lui qui avait été le facteur déclencheur des accords d’oslo. On considérait à l’époque qu’il était le leader palestinien le plus réaliste. Mais, c’est vrai qu’en même temps, sur l’autre versant, Arafat est considéré par Ariel Sharon et les Américains comme quelqu’un ayant un pouvoir de nuisance sans limites.

Il y a un an, quand j’ai interviewé Ariel Sharon à Jérusalem, juste avant que le poste de Premier ministre de l’Autorité Palestinienne soit dévolu à Ahmed Queria, il m’a laissé comprendre que le poste de Premier ministre palestinien était très important pour lui et pour les Américains. « Je veux qu’un Premier ministre palestinien soit nommé pour qu’il empêche Arafat d’être un facteur de nuisance à l’avenir », m’a dit alors Sharon. La création de ce poste de Premier ministre au sein de l’Autorité Palestinienne était une revendication avant tout israélienne et américaine. Force est de rappeler que la nomination d’un Premier ministre n’est pas du tout un facteur de démocratisation accrue au sein de l’Autorité Palestinienne.

C.J.N. : D’après vous, l’après-guerre en Irak est « un énorme fiasco ».

Éric Laurent : Je pense que l’après-guerre en Irak n’a pas été bien préparée. Il y a eu une grande naïveté de la part de l’administration Bush, notamment de la part de ses théoriciens les plus faucons. Le principal architecte de cette nouvelle pensée politique, Paul Wolfowitz, ministre adjoint à la Défense, me fait penser à Robert McNamara, ancien ministre de la Défense dans l’administration Kennedy durant la guerre du Vietnam. McNamara, que j’ai rencontré lorsqu’il est devenu ensuite président de la Banque Mondiale, était lui aussi un intellectuel qui est passé par la grande entreprise. Il a été président de Ford Motor.

Lors de notre entretien, il m’a dit que lorsqu’il était arrivé au ministère de la Défense, il avait appréhendé le problème du Sud-Vietnam comme celui d’une entreprise en difficulté confrontée à une grave crise de management. Il fallait changer les hommes à la tête de l’entreprise et restructurer celle-ci en profondeur. L’administration Bush et Paul Wolfowitz ont appréhendé aussi l’Irak de la même manière, comme un pays qui fonctionnait très mal. Ils étaient résolument persuadés qu’en renversant ce tyran sanguinaire qu’a été Saddam Hussein et en le remplaçant par un régime plus démocratique, le problème irakien serait définitivement résolu. On change le personnel ! D’après eux, le peuple irakien devant cette merveilleuse libération serait tout acquis aux idées de la démocratie américaine. Les choses se feraient ensuite naturellement. C’est d’une naïveté totale !

C.J.N. : La recrudescence des actes terroristes en Irak n’est-elle pas en train de changer les donnes sur le terrain ?

Éric Laurent : La stratégie américaine est en train d’engendrer des résultats totalement contraires à ceux escomptés. Il y a eu une cristallisation autour de la lutte contre les Américains de toutes les organisations terroristes de la région. Aujourd’hui, on s’aperçoit que tout ce que les Américains voulaient éviter s’est produit. Désormais, toutes les organisations terroristes sont sur le territoire irakien et ont fait de l’Irak l’épicentre de la lutte contre les États-Unis. On a vécu, il y a 20 ans, un phénomène semblable lorsque les principales organisations terroristes arabes avaient établi leurs pénates au Liban pour attaquer les Américains et les Européens présents alors au pays des Cèdres -350 marines américains avaient été tués d’un coup. La volonté d’humilier à tout prix et de défaire les États-Unis est quelque chose qui, à mon avis, continuera sans relâche. Les Américains doivent s’attendre à s’enliser davantage en Irak. Nous assistons actuellement à une « vietnamisation » rampante du conflit irakien.

C.J.N. : Si la situation continue à se détériorer en Irak, cela pourrait-il coûter sa réélection à George Bush ?

Éric Laurent : Je pense que George W. Bush a encore une marge pour se faire réélire. La réélection de Bush se jouera en grande partie sur les questions économiques, sur la reprise économique qui semble s’amorcer. Il est évident que si le dossier irakien gagne encore en intensité dramatique, c’est-à-dire si le nombre de victimes augmente et si les mobilisation contre cette guerre devient plus importante aux États-Unis, là Bush risque d’avoir un sérieux problème.

Si Bush est battu par un candidat démocrate, justement à propos d’un Irak devenu un problème majeur pour la politique américaine, son successeur pourrait prendre alors des décisions radicales. Ce dernier pourrait dire : « On a 150000 soldats en Irak, mais devant les pertes importantes que nous essuyons quotidiennement, nous sommes obligés de les rapatrier tous ».

Bush a déclaré que les États-Unis souhaitaient débloquer 100 ou 120 milliards de dollars pour la reconstruction de l’économie irakienne. Un éventuel président démocrate pourrait tourner casaque et dire : « Pas question ! Nous allons injecter ces sommes mirobolantes pour reconstruire l’Irak dans l’économie américaine qui en a grandement besoin ».

On se retrouvera alors avec à un Irak qui ressemblera à la Somalie de 1993, c’est-à-dire un pays totalement fragmenté en clans ethniques qui abritera les seigneurs de la guerre et une kyrielle d’organisations terroristes qui se serviront de l’Irak comme base-arrière pour tenter de déstabiliser les pays de la région.

La deuxième hypothèse, Bush est réélu. Les hommes qui sont autour de lui, qui sont des idéologues et des doctrinaires ayant un projet politique bien précis, décident d’aller plus loin pour que dans les quatre années à venir les choses deviennent véritablement irréversibles. Pour que dans cinq ans l’administration qui les succédera ne puisse plus défaire ce qu’ils ont fait. Là, ils risquent fort, pour tenter de remodeler le paysage politique moyen-oriental de façon plus décisive, de se lancer dans de nouvelles aventures périlleuses. Bush expliquant toujours que la démocratie est un impératif pour le Moyen-Orient.



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