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Interview de Bernard Kouchner
par Sefy Hendler, correspondant à Paris du Yedihot Aharonot
Article mis en ligne le 10 septembre 2007

En tournée au Proche-Orient, le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, répond aux questions de Yedioth Aharonot. Se positionnant pour la création de deux Etats côte à côte, il souhaite « demander aux dirigeants israéliens de « lever certains des barrages et de montrer qu’ils se trouvent aux côtés de ceux des Palestiniens qui veulent la paix ». Bernard Kouchner estime également qu’il est nécessaire de dialoguer avec le Hezbollah « sans quoi il est impossible de tenter de parvenir à la paix ».

Votre visite en Israël ?

« Je viens chez vous comme un ami d’Israël et vais en Palestine comme un ami de la Palestine. Je vous visite en tant que ministre des Affaires étrangères d’un pays de France qui a joué un rôle important dans la naissance de l’Etat d’Israël. La France possède une histoire, une influence, des amis, une responsabilité et des sentiments vis-à-vis de vous et du Proche-Orient. Je tente depuis longtemps de faire comprendre le besoin, la nécessité de deux Etats côte à côte (Israël et Palestine). Peut-être qu’enfin nous y parviendrons. C’est le moment. Tous les membres du gouvernement actuel, mais aussi M. Netanyahou, sont persuadés de la nécessité de deux Etats. Qu’attendons-nous ? Pourquoi Israël ne déclarerait-il pas unilatéralement qu’il est prêt à reconnaître immédiatement un Etat palestinien et n’aiderait-il pas une administration non corrompue à se mettre en place ? Ou même contribuerait à la naissance de l’Etat palestinien, ce qui serait un geste d’aide formidable. Aujourd’hui, il faut parler avec les Palestiniens, avec l’OLP, avec Abou Mazen et M. Fayad. Avec Abou Mazen, Fayad, Abed Rabo, il faut parler vraiment de paix et du statut final. Je souhaite demander aux dirigeants israéliens de lever certains des barrages et de montrer qu’ils se trouvent aux côtés de ceux des Palestiniens qui veulent la paix. En même temps, il n’est pas possible de laisser les habitants de Gaza dans leur enfer. Il faut les aider à survivre et leur montrer qu’il y a une autre voie que celle de la souffrance et des attentats. Si les choses progressent en Cisjordanie, cela prouvera que la paix entre Israéliens et Palestiniens est possible.

« Israël a évacué Gaza et le Liban. Je sais. Ce fut un beau geste, mais vous avez évacué sans concessions politiques, sans négociations. On rentre, on frappe, puis on sort. Ce n’est pas ainsi, à mon sens, qu’on mène une politique. Je sais qu’il est facile de critiquer de l’extérieur, mais, pardonnez-moi, je pense qu’il faut aussi prendre en compte la souffrance causée, les êtres humains et la manière dont on peut se rapprocher d’eux. Sans mépris, car ils sont aussi chez eux. Quand mon ami Barak s’est retiré du Liban, c’était, je crois, une erreur de ne pas accompagner cette démarche de négociations. Même chose pour Sharon : il fallait négocier. Il a eu raison et j’ai, moi aussi, soutenu le retrait. Mais, quand le retrait de Gaza s’est effectué, il a plus concerné la réalité interne en Israël que le dialogue avec les Palestiniens. On a eu l’impression qu’on ne les prenait pas assez en compte. A l’époque, moi aussi j’espérais. Mais, vous avez vu, ce n’était pas suffisant. A présent, les choses ont changé et, après tout, c’est peut-être le résultat de l’évacuation de Gaza. Les Israéliens savent qu’ils vivent un moment historique, qu’une occasion se présente. »

  • Peut-être est-ce l’échec de l’évacuation de Gaza et du retrait du Liban qui empêche aujourd’hui la réalisation de cette idée ?

« Peut-être. S’il y a des obstacles, il faut les surmonter. La France, par la voix du Président Sarkozy, a proposé son soutien et une aide pour que des négociations aient lieu à Paris, et cette proposition est toujours d’actualité. (Lors des négociations à Genève entre) mon ami Abed Rabo et mon ami Yossi Beilin, on a bien réussi à surmonter la plupart des obstacles. Cela a déjà été fait, alors qu’attend-on ? Faut-il à chaque fois recommencer tout le processus ? C’est dommage. Je ne veux pas faire le malin, je suis l’ami d’Israël, je ne fais que suggérer. J’espère vivre assez longtemps pour voir le moment où la paix viendra. J’ai la chance d’être ministre des Affaires étrangères et je serais heureux si je le peux, à ma place, en ami, d’ajouter une petite goutte d’eau claire à cette mer de tourmente et de brutalité ».

  • Certains pourraient vous traiter de naïf.

« Je suis naïf et utopiste et militant. Mais je suis aussi réaliste. J’ai vu plus de guerres que toute ma génération réunie. Je sais d’où tout cela vient mais je reste naïf ».

  • Serez-vous en Israël l’émissaire d’une nouvelle politique étrangère ? La ‘politique arabe’ de la France n’existe-t-elle plus ? Chez nous, on a pour habitude de traduire ces termes par ‘la politique pro-arabe de la France’...

« C’est une erreur. Il y a une politique arabe de la France mais j’espère qu’elle ne sera pas exactement la même. Il ne s’agit pas d’une politique pro-arabe. C’est une politique qui considère le monde arabe, les pays arabes, comme des pays importants avec lesquels il faut travailler, bien qu’ils soient différents de nous, dès lors même qu’ils sont différents de nous. Nous ne portons pas sur eux un regard orientaliste, un regard de conquérants, de colonialistes, ne serait-ce que sur le plan intellectuel. Ils sont chez eux et décident pour eux. Nous agissons, nous suggérons, nous écoutons là aussi. Il y a des moments dans lesquels il faut trancher. Quand le processus de paix est dans l’impasse, chacun doit assumer ses responsabilités. Nous n’en sommes pas encore là. Nous avons une politique de fraternité avec Israël, nous nous souvenons des raisons de sa création et de son existence mais nous pensons pouvoir être fraternels aussi avec le monde arabe. C’est le résultat d’un processus politique et aussi le fruit d’une pensée stratégique ».

Sur le Hezbollah

« Je comprends que vous en soyez mécontents. Méfions-nous des premiers réflexes. Mes amis les plus proches en Israël ont compris qu’il fallait dialoguer avec eux, sans quoi il est impossible de tenter de parvenir à la paix. Les Européens n’ont pas inscrit le Hezbollah sur la liste des organisations terroristes. Il constitue une partie de la population libanaise qui, politiquement, joue un rôle très important. Je connais depuis longtemps le peuple chiite que l’on a, pendant des années, considéré (au Liban) comme la lie de la terre et qui s’est trouvé dans une situation de blocage. Pour certains, que je condamne, l’extrémisme était la solution. Je suis, bien sûr, partisan du dialogue politique. Je ne regrette pas d’avoir parlé avec le Hezbollah. Je demande pardon à ceux qui ont été des victimes de la dernière guerre ou d’autres attentats, mais je pense qu’il fallait le faire. Je suis d’avis qu’il est toujours plus facile de parler avec ses amis qu’avec ses ennemis, mais pour faire la paix, il faut parler avec ceux qui font la guerre ».

  • Avez-vous des informations concernant les soldats israéliens enlevés par le Hezbollah ?

    « J’ai demandé des informations. A chaque fois, je transmets le message et demande une réponse. Je ne veux pas revenir sur ce que j’ai compris et qui se base uniquement sur mon sentiment [S.H. : que les soldats sont en vie]. Je ne veux pas créer de faux espoirs. »
  • Il y a tout de même eu un agresseur et un agressé dans cette guerre ?

« Bien sûr. Mais il y a eu aussi des enfants libanais et palestiniens qui sont morts. (Leurs) familles aussi ont le droit de chercher à comprendre ce qui se passe. Vous savez, pour un homme ou une femme qui perd ses enfants, son père ou sa mère, la douleur est la même que l’on soit du côté de l’agresseur ou de l’agressé. Cela ne signifie pas que je sois un pacifiste et, d’un point de vue personnel, j’ai l’habitude des scènes de souffrance. Je suis aussi réaliste quant aux résultats. Je sais qu’il faut parfois faire la guerre. Le moins possible et quand les tentatives de paix ont échoué. Et ces guerres finissent toujours par des paix La sécurité d’Israël m’importe terriblement. La paix et l’intégrité du Liban aussi. ».

  • Cette conviction vous vient, par exemple, de l’époque où vous étiez aux côtés des Palestiniens lors du « septembre noir » en Jordanie ?

« Oui, et aussi du Liban et de Gaza, où j’ai travaillé à l’hôpital Shifa. C’est toujours très dangereux. Quand on se place dans un camp, on risque d’adopter une approche un peu simpliste, un peu pacifiste ou neutre. Je hais la neutralité et j’aime l’impartialité. Je ne suis jamais neutre. J’ai appris, en travaillant dans l’humanitaire, qu’on ne peut être neutre, mais qu’on peut être impartial, offrir le même traitement aux deux populations. C’est une approche très pratique, car la souffrance se trouve des deux côtés, même si elle n’est pas identique. Malheureusement, les souffrances des uns et des autres ne se neutralisent pas mais s’accumulent, cette souffrance-ci et puis cette souffrance-là... Et comme les douleurs se ressemblent de part et d’autre d’une frontière ! ».

Iran

  • L’Iran est-il devenu un élément incontournable de l’instabilité régionale ?

« Et aussi de sa stabilité. L’Iran est un élément-clé au Moyen-Orient, notamment pour ce qui concerne son projet nucléaire, un danger potentiel auquel nous attachons une très grande importance. L’Iran est un grand pays, les Perses sont une population civilisée et ancienne qui a joué un rôle majeur entre l’Asie et le Proche-Orient. Ils veulent occuper à nouveau leur place. Je suis un ami d’Israël et je pense que personne n’a le droit de remettre en cause l’importance de la sécurité d’Israël. Mais Israël ne peut vivre dans l’insécurité et dans une bataille qui ne finit jamais ».

  • Quand Begin a bombardé le réacteur nucléaire en Irak, tout le monde l’a condamné...

« Mais il avait raison ! Cela ne l’a pas empêché d’être un homme de paix. Il a bombardé mais il voulait aussi la paix et savait qu’il n’y a pas de solution militaire ».

  • Mais peut-être que sur la question iranienne le choix sera, comme l’a dit le président Sarkozy, « la bombe ou le bombardement ». Peut-être n’y aura-t-il pas d’autre solution ?

« J’espère que nous n’en arriverons pas jamais là. Il y a encore de nombreuses autres solutions à envisager, de voies à explorer, des pourparlers de paix à mener. Ce sera l’honneur de la diplomatie que de se montrer obstinée. Ecoutons, écoutons, négocions, négocions toujours et préparons-nous au pire ».

  • Vous comprenez que votre point de vue français n’est pas celui de l’Israélien qui ne cesse d’entendre Ahmedinejad appeler à la destruction d’Israël ?

« Bien sûr. Mais quand le président iranien tient ces propos, il a immédiatement face à lui une réaction déterminée de la part de la France qui fait savoir son désaccord et son effarement. Je sais que le point de vue israélien, la situation israélienne, la vie en Israël, l’espoir israélien, le futur israélien, ne sont pas identiques à ce que l’on vit en France. Mais croyez vos amis. Les amis doivent toujours dire la vérité, bonne ou mauvaise. Personne ne peut me soupçonner, ne serait-ce qu’un instant, d’avoir un regard négatif sur Israël. Je fais partie de ceux qui, dans mon pays, savent encore d’où vient Israël, pourquoi il a été créé conformément à une décision des Nations-Unies, qu’il ne s’agit pas d’une conquête coloniale malfaisante mais d’une conséquence de l’antisémitisme chronique et de la Shoah. Je pense que le sionisme a été le mouvement de libération nationale du peuple juif. Maintenant, cela s’est fait, la mission a été accomplie, à présent Israël est un Etat qui doit mener une politique comme les autres membres de la famille des nations, même s’il doit protéger davantage sa sécurité que ne le font d’autres Etats. Et qui doit donc vivre en paix avec ses voisins, seul moyen d’être en sécurité ».

Irak

  • Il y a des ministres qui effectuent une visite de trois heures à Bagdad, vous y êtes resté trois jours, sans gilet pare-balles. Vous n’aviez pas peur ?

« Non. J’ai voulu éviter ces visites superficielles et parfois provocantes de trois heures et, croyez-moi, j’y retournerai, et pas seulement à Bagdad. Car Bagdad, ce n’est pas seulement la zone verte [S.H. : zone protégée], de laquelle je suis d’ailleurs sorti lors de cette visite ».

  • En dehors de Bagdad on a déjà essayé de vous tuer, quand vous étiez au Kurdistan avec Danielle Mitterrand ?

« Et ils ont effectivement tués dix-huit personnes. C’était un attentat de Saddam Hussein. Nous, Danielle et moi, nous avons eu de la chance, pas les autres, hélas ».

Soudan

« Attention aux fausses évidences sur le Darfour, c’est un dossier complexe. On a exagéré parfois, même si l’on a bien fait d’attirer l’attention sur un massacre inacceptable, sur les réfugiés en masse et les personnes déplacées, record du monde des malheurs »

  • Israël doit-il accueillir les réfugiés du Soudan ou les expulser ?

« Je n’ai pas à décider pour les Israéliens mais je pense que c’est un devoir de les accepter. Bien sûr. Ce serait la négation de la générosité naturelle et fondatrice de l’Etat d’Israël. Bien sûr qu’il faut les accueillir, exactement comme vous avez accueilli les Juifs d’Ethiopie - et j’y ai participé avant même l’Opération Moïse -et les Boat People du Vietnam.

Sur son histoire personnelle

  • Vous êtes né dans une Europe qui ne voulait pas des Juifs qui y vivaient. Les premières années de votre vie se sont déroulées en zone libre, mais dans une France occupée.

« J’étais un enfant à l’époque. Toute ma famille, hélas, n’a pas survécu à la guerre : mon grand-père et ma grand-mère sont morts à Auschwitz. Fort heureusement, mes parents n’ont pas été arrêtés. Mon père était membre de la Résistance et persistait à vivre à Paris. Parfois, il vivait à la campagne. Il y a eu beaucoup plus de Français qui ont protégé des Juifs que ce qu’on a l’habitude de penser, et c’est important de le dire. Nous étions dans la campagne poitevine et de nombreux amis nous ont protégés ».

  • Dans l’un de vos livres , vous utilisez la définition de Sartre selon lequel le Juif est défini par le regard de l’autre qui le voit comme juif. D’un point de vue religieux, vous n’êtes pas juif, mais pensez-vous qu’à ce poste de ministre des Affaires étrangères, certains vous regardent en tant que juif ?

« Ce serait un honneur ! La réponse est probablement oui. J’en reviens à la formule que j’utilise dans le livre. Je suis juif quand je veux ! Cela dépend de mon interlocuteur. C’est là toute la difficulté et le choix auquel nous devons faire face. Je suis à moitié juif. Je suis juif lorsque je le veux , lorsque l’antisémitisme menace. On peut décider de ne pas s’en préoccuper, mais la réalité, l’histoire et le racisme sont des choses qui vous poursuivent toujours et qui, en fin de compte, vous rattrapent. On peut prétendre ne pas avoir un nom juif. J’espère pour ceux qui se conduisent ainsi que cela les protège ».

  • Vous n’avez donc jamais pensé à changer votre nom ?

« Jamais. Certains l’ont fait, mais ce n’est pas le cas dans ma famille ».



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