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Haïfa dix mois après la guerre
Par Nathalie Szerman pour @ Israël Magazine
Article mis en ligne le 5 mai 2007

Que devient Haïfa, troisième métropole d’Israël et première ville du Nord, située à 50 km de la frontière libanaise, Haïfa la laïque, où Juifs et Arabes israéliens cohabitent en bonne harmonie ? Haïfa, dont personne n’imaginait qu’elle deviendrait la cible des Katiouchas un an à peine après le démantèlement des implantations du Goush Katif, forçant la population à vivre confinée dans les abris ?

Les gens ne savaient pas s’ils craignaient plus de retrouver leurs appartements cambriolés par les voleurs ou démolis par les Katiouchas.

Rappel des faits : Le 12 juillet, le Hezbollah attaque des postes frontières israéliens et revendique l’enlèvement de deux soldats. La riposte israélienne ne se fait pas attendre. Le 16 juillet, journée particulièrement meurtrière pour Israël, des Katiouchas tombent dans le secteur de la gare ferroviaire de Haïfa à une heure de grande affluence, faisant plusieurs morts. Les magasins sont fermés, les trottoirs vides. Des tanks, des camions militaires, des transports de fusées Patriote se dirigent tous dans la même direction : la frontière. Les stations services sont bondées de soldats qui attendent et font le plein... de cigarettes. « On sait quand on part, mais on ne sait pas quand on rentre », nous confiait l’un d’eux.

Les villes du Nord n’ont pas eu le temps de s’organiser ; les mairies sont prises au dépourvu. Dans les bunkers à l’air confiné, bébés et animaux domestiques cohabitent avec des immigrants russes et de jeunes sabras, mais rarement avec des personnes âgées, qui ne peuvent descendre la multitude d’escaliers menant aux abris. Face au désarroi général, des organisations de bienfaisance ont pris le relais, se mettant en contact avec les mairies qui recensent les besoins et centralisent les efforts. Pour sa part, le ministère français des Affaires étrangères met en place un numéro vert afin de recueillir des dons pour le Nord.

La guerre a ouvert la voie aux pillages en tous genres. Sans roulement ou gardien pour ouvrir l’Å“il pendant la nuit, les clés des appartements et les porte-monnaie disparaissent. Les abrités ne savent pas s’ils craignent plus de retrouver leurs appartements cambriolés par les voleurs ou démolis par les katiouchas.

Ce tableau apocalyptique, c’est le nord d’Israël tel qu’il nous était apparu lors d’une visite de solidarité fin juillet 2006.

A Haïfa, la vie était toutefois mieux organisée que dans les villes frontalières. Assez vite, les magasins avaient rouvert et les gens pouvaient rentrer chez eux : « Une Katioucha met 120 secondes à arriver jusqu’à Haïfa. C’est assez pour déclencher la sirène et courir s’abriter », nous avait expliqué la police. La vie avait donc repris - au ralenti.

Avril 2007 : on pourrait croire qu’il ne s’est jamais rien passé.

Avril 2007, nous sommes retournés à Haïfa. Aucune trace de la guerre. On pourrait croire qu’il ne s’est jamais rien passé. Il est vrai que dix mois se sont écoulés, et qu’Israël s’est remis sur pied de plus d’une catastrophe à une vitesse confondante, tous les efforts étant mobilisés à la reconstruction et au rétablissement.

Quelques jours seulement après le cessez-le-feu, « Eugène », le blogger qui avait acquis une renommée en alimentant son blog depuis un bunker, relatait, en retournant à Haïfa, que la vie avait déjà repris son cours normal, qu’après des semaines passées dans les bunkers, ceux-ci étaient déjà verrouillés, que les traces de dégâts avaient été oblitérées et que la population vivait normalement, sans prendre de précautions particulières. Dans ces conditions, sept mois semblent assez pour tout oublier.

« Tout peut recommencer demain, sans qu’on s’y attende. C’est ce qui nous fait le plus peur. »

Les choses sont toutefois un peu différentes, ce dont nous nous apercevons en discutant avec les habitants de la ville : Eleonora et Boris Savranski vivent ici depuis 1990. Lui est électricien et elle professeur de mathématiques. Un couple de cinquantenaires laïques assez typique de Haïfa, peuplée de nombreux immigrants russes - comme eux. Leur fille unique est allée poursuivre ses études en France. La conversation dévie vite sur la guerre : « Notre fille est venue nous rendre visite pendant le conflit. Elle est descendue avec nous dans les bunkers. Cette guerre, nous ne sommes pas prêts de l’oublier. Une Katioucha est tombée tout près d’ici, à côté de l’immeuble, là-bas. Et quand nous regardions du côté de la mer, nous voyions de la fumée s’élever vers le ciel... » Une cousine, qui vit dans l’immeuble voisin, « s’est enfuie à Ashkelon avec son nouveau né, où une famille d’Israéliens qu’elle ne connaissait pas l’a accueillie pendant trois semaines. Certains Israéliens sont d’une hospitalité qu’on n’imagine pas ».

Malgré la tension, eux-mêmes n’ont jamais songé quitter Haïfa. Leurs opinions politiques n’ont pas changé : ils seraient plutôt de droite, « mais pas pour Lieberman », tiennent-ils à préciser. Eugène le blogger évoquait un virement général à droite de l’opinion à Haïfa, traditionnellement à gauche.

Ce qui surprend toutefois, c’est que ce couple d’immigrants russes calmes et souriants se prépare à une reprise des hostilités avec le Hezbollah : « Tout peut recommencer demain, sans qu’on s’y attende. C’est ce qui nous fait le plus peur. »

Pour les représentants de la communauté Bahai, dont le centre mondial se trouve à Haïfa, la guerre a été l’occasion de se rapprocher des habitants de la ville et de se sentir un peu Israéliens. Un groupe de 150 pèlerins est arrivé de l’étranger la veille du déclenchement des hostilités et n’a pas précipité son retour pour autant, visitant les lieux saints lors des accalmies et partageant les abris avec la population locale. Aucun immeuble Bahai n’a été endommagé ; seuls deux arbres des jardins d’Acre ont été touchés.

Visite au centre culturel arabe et juif Beth-ha-gefen

Nous avons également rencontré Abed Abdi, Palestinien né en 1942 à Haïfa. Ce peintre et sculpteur d’origine musulmane, « mais athée », de son propre aveu, enseigne les arts plastiques à Beth-ha-gefen, le Centre culturel arabe et juif de Haïfa, créé pour promouvoir des activités communes entre les populations juives et arabes de la ville. Il ne tient pas à aborder le sujet de la guerre. Abdi est tout à ses activités d’artiste. Il nous fait visiter sa galerie personnelle de tableaux, située juste en face du Centre culturel : des représentations originales de portes, de fenêtres, faisant usage de divers matériaux... Il a exposé en Israël et à l’étranger et entend continuer sur sa lancée.

Dans sa classe, tous les enfants sont Arabes chrétiens. Aucun Juif ni musulman. Une petite Arabe francophone revenue de Montréal nous parle d’elle dans un bon français : « Ma mère et canadienne et mon père palestinien. Ma mère voudrait repartir mais mon père préfère rester. » Son petit frère a l’arabe pour première langue. Dans l’ambiance sereine du centre, les enfants dessinent « une chose et son contraire », sujet imposé par Abed Abdi : nous voyons un cÅ“ur et l’envers du coeur, une fleur et sa tige, une maison et le jardin de la maison. Personne n’a pensé à dessiner Haïfa pendant la guerre et après, et c’est certainement très bien ainsi.



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