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Entretien avec Serge et Beate Klarsfeld à propos de « La traque des nazis » sur FR2
Article mis en ligne le 16 janvier 2007

Plus de 60 ans après, le film revient sur les abominations des crimes commis par les nazis, sur la justice internationale et sur le relais pris par Simon Wiesenthal et le couple Klarsfeld pour traquer, inexorablement, les criminels nazis quiétaient passés entre les mailles du filet et les amener devant les tribunaux.

Ce film, qui entre dans un processus de conservation de mémoire, ne s’adresse-t-il pas avant tout aux jeunes générations ?

Effectivement, plus de 60 ans après les faits, il est temps de faire des synthèses qui s’adressent aux jeunes générations et leur expliquent le problème. Ce film montre que, dans la plupart des pays occidentaux, il n’y a plus de prescription pour les crimes contre l’humanité ; que, pour la première fois dans l’Histoire, on peut juger des crimes jusqu’à la fin physique de la vie des criminels. On ne sait d’ailleurs pas quand cela s’arrêtera puisqu’on ne peut pas tirer un trait avant la mort du dernier des criminels.

Ces images sont effectivement impressionnantes car elles montrent les crimes commis contre des innocents. Elles montrent aussi la mise à mort des coupables, expression de la volonté, au sortir de la guerre, de voir punir, dans la violence, ceux qui leur ont fait subir d’aussi grands malheurs.

Simon Wiesenthal disait devoir consacrer sa vie à la justice et non à la vengeance. Est-il humainement facile d’évacuer de son esprit et de son coeur le désir de vengeance ?

Dans la justice, il y a toujours un côté vengeance et dans la vengeance un aspect justice. L’une ne va pas sans l’autre, mais c’est la proportion qui compte, celle que chacun fait des deux.

Wiesenthal a soulevé des centaines de cas individuels, nous, nous avons soulevé des cas de principe. Que Kiesinger, par exemple, ait été élu chancelier de la République Fédérale d’Allemagne ne l’intéressait pas. Il cherchait la justice pour les criminels à la base du crime, ceux qui avaient sévi dans les camps. Or, si un homme de bonne éducation comme Kiesinger, qui fut l’un des dirigeants de la propagande allemande, n’était pas puni pourquoi punir les criminels de la base. Si des hommes comme Lischka, devenus respectables, n’avaient pas été jugés en Allemagne, cela signifiait que tous ceux qui avaient agi en France, déporté les juifs de France, n’étaient pas coupables. Pour nous, c’était inadmissible. Il était important de faire condamner par l’Allemagne contemporaine les crimes de l’Allemagne nazie*.

Même chose lors du procès Papon : un acquittement aurait signifié que tous les exécutants des crimes commis contre les juifs de France, du préfet au moindre gendarme,avaient les mains propres, que seuls Pétain et Laval étaient coupables. Notre passion a toujours été une passion de justice et jamais de vengeance.

A la fin du film, vous dites cette phrase magnifique : « On a été efficace parce que l’on était heureux. On ne peut pas faire ce que l’on a fait en étant malheureux. » Le malheur inhiberait l’action ?...

Le malheur paralyse. A quoi bon agir si l’on est malheureux ? Qu’il s’agisse d’action négative ou positive.

Nous, nous étions décontractés et donc capables de nous concentrer sur le but à obtenir. Si Beate rentrait le samedi d’une mission où elle avait été arrêtée, où elle avait eu beaucoup de problèmes, le dimanche matin elle faisait le marché et personne ne se doutait de ce qu’elle venait de faire.

C’était la même chose pour les criminels : ils se concentraient sur les crimes à commettre, les missions confiées, puis ils revenaient à leur vie personnelle et passaient facilement d’un univers à l’autre. Je crois que la plupart des criminels nazis de haut rang étaient équilibrés et heureux.

A quel moment avez-vous su que votre engagement allait devenir celui d’une vie ?

Peut-être après le procès de Cologne*. Nous nous sommes rendu compte que nous étions compétents et sans doute irremplaçables, du fait de la formation particulière acquise par une dizaine d’années de lutte, formation que peu de gens pouvaient posséder, sauf peut-être une institution, mais il n’y avait pas d’institution.

Si vous n’aviez pas été ce couple très soudé, vous n’auriez jamais pu faire ce que vous avez fait ?

Non, c’est vrai pour Beate comme pour moi. L’alchimie de la rencontre entre une Allemande non juive et un juif français nous a portés. Moi, il fallait que je sois historien, doué d’une intelligence classique et d’un caractère passionné. Beate, en plus de posséder un sentiment national allemand, ne devait pas être paralysée par la culpabilité et devait avoir le désir d’agir pour changer l’Allemagne sans la condamner.

Comment voyez-vous évoluer ce devoir si précieux de mémoire ? Quel rôle auront à jouer les générations suivantes ?

Témoins et acteurs ayant aujourd’hui disparu, ou êtant en passe de disparaître, le devoir de mémoire entre dans l’Histoire. C’est donc aux institutions, tels les grands centres historiques créés à Washington, New York, Paris ou Berlin, de prendre le relais des individus, puisque ce sont elles qui contiennent la mémoire. Je suis donc très confiant. Aux nouvelles générations de maintenir cette mémoire.

Dans la vigilance, voire la lutte, pour que jamais de quelconques extrémismes ne risquent, là et ailleurs, de la mutiler ou de la détruire. La démocratie doit en être la garante. Le combat est perpétuel et, aucune génération ne sachant ce qui se passera plus tard, c’est donc dans l’incertitude qu’il faut lutter, comme des myopes.

Questions à Beate Klarsfeld

Vous dites, dans le film, que votre cause était celle de « la rédemption de l’Allemagne » . Pensez-vous l’avoir gagnée, cette cause ?

Oui. C’est en tant qu’Allemande - non coupable, puisque née en 1939, mais responsable - que j’ai mené toutes ces actions. Très tôt, je me suis engagée pour une Allemagne réunifiée, me sentant solidaire des deux parties, de l’Ouest comme de l’Est.

J’ai eu la satisfaction de voir mon travail reconnu partout comme une réussite, le travail d’une Allemande qui, un jour, a décidé d’assumer historiquement et moralement ses responsabilités dans de nombreux domaines : la gifle donnée à Kiesinger ; la lutte pour amener devant les tribunaux d’anciens nazis ayant eu des postes importants et le procès Lischka ; mon engagement pour le peuple juif et contre l’antisémitisme ; ma solidarité aux juifs en détresse et à
l’Etat juif dont j’ai toujours épousé la cause.

Vous avez été très médiatisée, Hollywood a fait un film de votre vie... Cette célébrité vous a été utile...

D’autant plus utile que les documentaires et les films sur nous étaient positifs. Le succès d’une action a beaucoup plus d’importance si on parle de vous dans les journaux et la médiatisation aide à faire connaître une cause.


* En 1979, après 10 ans de combat acharné des Klarsfeld, le Protocole de Paris (seule la France peut juger les Allemands ayant commis des crimes sur son territoire, ils ne peuvent ni être jugés en Allemagne ni extradés) est annulé : les anciens SS ayant agi en France pourront désormais être jugés en Allemagne. A Cologne, en 1979, s’ouvre le procès de trois hauts responsables de la déportation juive en France : Lischka, Hagen, Heinrichsohn.

Serge Klarsfeld a recueilliles preuves irréfutables de leur culpabilité.



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