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Il n’y a pas « d’arc chiite »
Propos recueillis de Laurence Louër, chercheur au CERI par Fabrice Aubert pour LCI.fr
Article mis en ligne le 1er août 2006

La guerre entre le Hezbollah et Israël peut-elle renforcer les liens entre les différentes communautés chiites du monde musulman ? Laurence Louër estime que la constitution d’un axe chiite allant de l’Iran au Liban est loin d’être acquise ... L’anti-sionisme ne mange pas de pain et cette déclaration est logique. al-Zawahari et ben Laden ne pouvaient pas ne pas intervenir. Le facteur sunnite ne rentre pas en compte dans la situation actuelle. Les sunnites soutiennent le Hezbollah, puisqu’il combat Israël.

LCI.fr : Le conflit va-t-il renforcer la solidarité entre les chiites du Moyen-Orient ? ?

Laurence Louër : Non, car depuis la fin des années 80, la mouvance islamiste chiite, principal acteur de cette branche de l’islam, est divisée en deux. D’un côté, on trouve les mouvements pro-iraniens des Hezbollah. De l’autre, les groupes indépendants de Téhéran, voire ouvertement anti-iraniens, comme par exemple la mouvance Shiraziyya implantée dans les monarchies du Golfe et en Irak. Même s’ils sont chiites, ils ne reconnaissent pas les principes fondateurs de la République islamique d’Iran et dénie le rôle de son guide suprême, l’ayatollah Khamenei. Au Liban, le mouvement Amal est autonome par rapport à Téhéran, et son influence politique est importante malgré son absence de milice armée.

Or, ces deux mouvances pro et anti-iraniennes sont en concurrence, voire en conflit ouvert. Et la fracture s’est agrandie avec la crise actuelle. Les différents Hezbollah ont logiquement pris position pour leur homologue libanais, en contradiction avec les gouvernements de leur pays. A l’opposé, la Shiraziyya, qui ne peut aller contre la lutte contre Israël, se contente d’une position neutre.

LCI.fr : Plus globalement, le conflit peut-il radicaliser les plus extrémistes et servir de recrutement au Hezbollah ?

L.L. : C’est très difficile à évaluer. Pour l’instant, le Liban vit une unité nationale temporaire. Mais si la situation se prolonge, une grande partie de la population va se demander si enlever les deux soldats était une bonne stratégie. Dans les années 70, il faut se rappeler que les chiites critiquaient les attaques lancées par les Palestiniens qui utilisaient le pays comme base arrière contre Israël, car ils étaient victimes des représailles. Les divisions entre communautés sont profondes, et le jeu du Hezbollah est un vrai coup de poker.

« Un tournant dans les relations Arabie saoudite-Iran »

LCI.fr : L’Iran essaye-t-il de tirer profit de la situation pour renforcer son poids dans la région et apparaître comme l’interlocuteur indispensable ?

L.L. : Tout à fait. Téhéran cherche à reprendre la main sur les Hezbollah, qui se sont « autonomisés », pour ses intérêts nationaux dans la crise du nucléaire. Il est ainsi très intéressant de noter la réaction du Hezbollah saoudien, groupuscule qui n’avait plus fait parler de lui depuis plusieurs années. Après la déclaration du gouvernement saoudien qui avait condamné l’action du Hezbollah libanais et de ses « soutiens étrangers » (allusion claire à l’Iran et à la Syrie), la mouvance chiite a publié un communiqué très dur, qualifiant les Saoud de « traîtres ». Le Hezbollah saoudien étant implanté dans les zones pétrolières, l’Iran fait ainsi savoir aux Occidentaux sa capacité de nuisance contre leurs intérêts vitaux.

LCI.fr : Ce conflit est donc aussi un développement de la bataille pour le leadership du monde musulman entre l’Arabie sunnite et l’Iran chiite ?

L.L. : Oui, et c’est un même tournant. En 1979, Khomeiny a voulu exporter sa révolution dans les pays du Golfe où les chiites étaient considérés comme des citoyens de seconde zone. Après l’abandon de cette politique à la fin des années des 80, les relations entre les deux pays se sont améliorées. Les monarchies du Golfe ont d’ailleurs eu une position ambiguë sur le nucléaire iranien, en particulier l’Arabie saoudite qui a mis du temps à appeler Téhéran à accepter les propositions des négociateurs européens sur le dossier.

La crise libanaise vient de clarifier la position saoudienne : en condamnant le Hezbollah et ses soutiens, elle veut stopper la quête hégémonique de l’Iran sur le monde musulman. La vieille rivalité entre les deux pays, et plus globalement avec les régimes sunnites du Golfe, notamment Koweït et Bahreïn, qui craignent pour la stabilité de la région si l’Iran est trop puissante, est donc repartie.

« Le monde chiite n’est pas homogène »

LCI.fr : Après l’arrivée au pouvoir en Irak, peut-on parler de construction d’un « arc chiite », qui irait de l’Iran au Liban, pour reprendre l’expression du roi Abdallah de Jordanie ?

L.L. : La solidarité n’est pas liée à la géographie. Le monde chiite est diversifié politiquement et religieusement. Il n’est pas homogène et n’agit pas comme un seul homme. Il y a des réseaux chiites transnationaux pro-iraniens aussi bien qu’anti-iraniens. L’expression et la crainte du roi Abdallah ne me semblent pas fondées.

LCI.fr : Comment peut-on interpréter le soutien de al-Zawahari, le bras droit de ben Laden, alors que Al-Qaïda est surtout composée de sunnites extrémistes combattant les chiites ?

L.L. : L’anti-sionisme ne mange pas de pain et cette déclaration est logique. al-Zawahari et ben Laden ne pouvaient pas ne pas intervenir. Le facteur sunnite ne rentre pas en compte dans la situation actuelle. Les sunnites soutiennent le Hezbollah, puisqu’il combat Israël.


Laurence Louër est chercheur au Ceri-FNSP (Centre d’Etudes des Relations Internationales-Fondation nationale des sciences politiques), spécialiste du chiisme.



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