Nasrallah a appelé la « oumma » (le nation) des fidèles (musulmans) à saisir cette opportunité historique pour s’unir autour de l’islam contre les impies (l’Occident) dont l’entité sioniste n’est qu’un poste avancé
Pour Walid El-Omari, correspondant de la même chaîne en Israël, lEtat hébreu souffrirait dun déséquilibre institutionnel où le gouvernement serait soumis à lArmée. Une analyse partagée par une grande partie de lintelligentsia arabe, qui pense que le Premier ministre Ehoud Olmert et son ministre de la Défense Amir Peretz, tous deux des civils, chercheraient à renforcer leur image au sein de lestablishment militaire et à conquérir la confiance de la rue. Toujours selon cette analyse, si Ariel Sharon avait été à la tête du gouvernement, il ny aurait pas eu dintervention au Liban !
A Beyrouth, où son homologue français a fait une escale spectaculaire lundi, le Premier ministre libanais Fouad Siniora (musulman sunnite) a déclaré que le gouvernement de son pays navait pas approuvé lattaque du Hezbollah contre Israël. « Le gouvernement nétait pas au courant et nendosse pas la responsabilité de ce qui sest passé du côté de la frontière internationale », a déclaré Siniora, à lissue dune réunion urgente de son cabinet. Il a condamne les représailles israéliennes tente de sensibiliser lopinion internationale sur la soi-disant nécessité urgente dun cessez-le-feu.
Le Président de la République libanaise, Emile Lahoud (chrétien maronite), très impopulaire et généralement considéré comme le pantin du régime des Al-Assad, accuse le Conseil de sécurité de lONU de fermer les yeux et appelle à un cessez-le-feu, alors quil ne jouit daucun pouvoir sur la milice chiite pro-iranienne !
De son côté, le président du parlement, Nabi Berri (musulman chiite), a accusé lONU de comploter avec l« ennemi sioniste ». Pour M. Berri, « tout le monde sait (une preuve tangible !) quIsraël utilise au Liban des armes non-conventionnelles » ! Quant au ministre de lInformation, Ghazi El-Aridi, il sest confié à Al-Jazeera en déclarant quIsraël commettait rien moins quun « génocide » au Liban ! Sur les chaînes arabes, les mots restent gratuits.
Finalement, le Secrétaire général du Hezbollah, devenu un personnage-clef de la vie politique libanaise, sest adressé aux Libanais sur la chaîne de télévision de la milice chiite Al-Manar et sur la chaîne libanaise LBC, cinq jours après le déclenchement de loffensive israélienne ayant visé notamment son quartier général à Beyrouth. Clairement affaibli, le cheikh Hassan Nasrallah a notamment menacé dutiliser « tous les moyens » dans la confrontation avec Israël, affirmant quil ny avait plus de « ligne rouge ». Il a expliqué que lessentiel de son arsenal était en sécurité et quà lheure voulue, le Hezbollah dévoilerait ses armes secrètes ! Une rhétorique qui ressemble étrangement à celle de lancien dictateur irakien. Tout comme Saddam Hussein quelques jours avant la chute de Bagdad, Nasrallah a appelé la « oumma » (le nation) des fidèles (musulmans) à saisir cette opportunité historique pour sunir autour de lislam contre les impies (lOccident) dont lentité sioniste nest quun poste avancé. Si la rhétorique de Nasrallah na pas changé, il est à souligner que cest la première fois quil sexprime en tant que représentant de la « oumma », ce qui ne peut que déplaire aux dignitaires de lislam sunnite, majoritaire dans le monde musulman (85%).
Malgré les apparences dunité, le Liban est vraisemblablement en voie déclatement. Chez les chefs politiques, la logique communautaire est encore plus forte que toutes les considérations nationales. Si lintervention israélienne a été formellement condamnée, à lunanimité, par la classe politique, cela ne veut pas pour autant dire que tout le monde est en accord avec la politique du Hezbollah. Le leader druze Walid Joumblatt, na pas tardé à accuser Damas et Téhéran dinstrumentaliser le Hezbollah, de même que le Mouvement national libre (El-Tayar El-Watani El-Hor) du général chrétien maronite anti-syrien Michel Aoun, qui a refusé dapporter son soutien au cheikh Nasrallah.
Sur le plan régional aussi, les réactions des capitales arabes sont très divergentes en fonction des rapports quentretiennent ces pays avec Israël, la Syrie, et dans une moindre mesure lIran. Ainsi, le Yémen et le Soudan ont été les plus virulents, appelant à couper tout contact avec Israël. Ils faisaient directement allusion aux quelques pays qui entretiennent des relations avec Jérusalem, à savoir la Turquie, lEgypte et la Jordanie. Quant aux autres pays, cest soit la dénonciation du bout des lèvres, comme pour lArabie saoudite, qui prévaut, soit le silence, à limage des émirats du Golfe, connus pour leur aversion du régime de Téhéran et leur positions traditionnellement anti-syriennes.
A Téhéran, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a comparé lintervention israélienne aux opérations de la Wehrmacht durant la Seconde Guerre mondiale : « Tout comme Hitler a envahi sans raison dautres pays, lentité sioniste veut envahir sans raison les pays des musulmans ».
A Ankara, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré qu « il ny a rien dhumain et de compréhensible dans le fait de châtier le Liban pour un acte commis par le Hezbollah ».
Au Caire, où le président égyptien Hosni Moubarak a fermement condamné lintervention israélienne au Liban tout en appelant la « résistance libanaise » a faire preuve de pragmatisme et de responsabilité, un sommet arabe durgence a été convoqué par lEgypte, lAlgérie, le Soudan, le Yémen et le Qatar. Le Secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa (Egyptien pro-syrien), a affirmé dimanche que le processus de paix était mort. Dans leurs discours, certains des amis de Damas parlent de la « sixième guerre arabo-israélienne ». La télévision égyptienne a donné la parole à des généraux égyptiens, lesquels ont expliqué pourquoi la victoire du Hezbollah était possible. Cest ainsi que le général Galal Mazloum a affirmé que le Hezbollah disposait de 15 000 missiles dune portée de 150 Km et que la milice chiite avait un grand potentiel (sic).
Curieusement, seule lArabie saoudite sest permise de sattaquer au Hezbollah en dénonçant son « attitude irresponsable », tandis que les pays du Golfe se sont contentés de quelques timides déclarations tardives dordre esthétique. Cest le cas du Qatar, qui sest joint aux pays organisateurs du sommet arabe et du président des Emirats Arabes Unis, qui a exprimé son inquiétude lors de son entretien dimanche avec son homologue égyptien.
Les clivages de lIslam comme obstacle à la solidarité musulmane
Avec les déclarations des principaux pays du Moyen-Orient, on reviendrait, en filigrane, au clivage séculaire chiite / sunnite, dont le politologue François Thual semble être convaincu dans létude quil a consacrée récemment à la géopolitique du chiisme [1]. Les clivages ethniques, religieux et nationaux, du monde musulman se révèlent plus forts que tous les appels à la solidarité islamiste.
En réalité, ce nest pas tant lopposition théologique que la concurrence politique des mouvements islamistes des deux camps qui fondent cette opposition. Lislamisme aussi bien sunnite que chiite nie lopposition entre les deux écoles de lislam, en mettant de côté des différences théologiques et doctrinales. En revanche, lopposition sur le plan politique demeure.
Quant à la méthode, lislamisme chiite préconise lislamisation par le haut, au moyen dune révolution sur le modèle iranien, imposant la charia par la coercition étatique. Du côté sunnite, ceux qui recommandent une islamisation par le bas sont majoritaires. Depuis la révolution iranienne de 1979, la communauté chiite ne parvient pas à sortir de son isolement.
Les chiites, quon trouve en Iran, au sud de lIrak et dans une partie du sous-continent indien, ne constituent que quelques minorités disséminées au Proche-Orient. Les différentes tentatives dexportation de la révolution iranienne au moyen de groupes islamistes terroristes ont échoué. LIran na jamais réussi à rallier que des groupuscules sunnites nayant guère dimpact dans leur pays.
Les conséquences de la guerre irakienne et de laffrontement Israël-Hezbollah constituent, sans aucun doute, un nouveau levier pour lIran qui, en outre, sest lancé dans le parrainage de certains groupes rejetés par Riad après la guerre du Golfe (FIS, Annahda), qui pourrait lui permettre deffectuer une percée en milieu sunnite.
Il ne faut pas oublier que lorganisation, à Téhéran, le 19 octobre 1991, dune « conférence de solidarité avec le peuple musulman de Palestine », condamnant le processus de paix, a permis à lIran de se placer en fédérateur de mouvements islamistes sunnites délaissés par leurs Etats, à lexception du Soudan. Cependant, cette relative sortie de son isolement ne signifie pas pour autant la fin du clivage durable entre chiites et sunnites.
La prédominance de la stratégie étatique sur celle de lunion internationale
Lhistoire contemporaine du Moyen-Orient montre bien que les différentes tentatives de création dune Internationale islamiste, quelle fût sunnite ou chiite, modérée ou radicale, se sont toujours effectuées à linstigation dun Etat. Lopposition Arabie saoudite / Iran a été la principale motivation de création de réseaux islamistes internationaux. Le but étant dinstrumentaliser ceux-ci au profit dobjectifs diplomatiques nationaux de domination politique dune aire géographique.
Il est également à noter quil existe, à lheure actuelle, une réappropriation de lislamisme par les Etats musulmans au moyen dune double attitude :
- La répression contre les groupes islamistes radicaux contestant la légitimité étatique. Les mouvements de répression depuis le début des années 80 sont multiples : répression des Frères musulmans et de la Gamaa Islamiya en Egypte après lassassinat du président Sadate, en 1981, répression du soulèvement de la ville de Hama en Syrie (1982) ainsi que des chiites du sud de lIrak en 1991.
- Une réislamisation par le haut afin de désamorcer la contestation islamiste et se donner une légitimité religieuse. Cela peut se limiter à une intégration au jeu politique des partis islamistes modérés (Jordanie, Koweït, Turquie), celle-ci peut se doubler dune réislamisation menée par lEtat (Pakistan, Egypte, Soudan), enfin, des concessions idéologiques peuvent être accordées tout en bloquant la participation politique des islamistes (Afrique du Nord). Si cette pratique peut présenter certains dangers (perte de contrôle du mouvement initié par les Etats), elle se montre, dans lensemble, assez efficace pour éviter que ne se développent des réseaux islamistes trop puissants.
Finalement, les conflits entre Etats du Moyen-Orient sont assez révélateurs de la prédominance de lappartenance étatique sur lappartenance religieuse : la guerre Iran-Irak a démontré que les chiites irakiens, malgré leur statut de majorité opprimée, nont, dans lensemble, pas été solidaires de lIran mais de lIrak. Lexemple de la guerre du Golfe est aussi révélateur de la même prédominance. En effet, lors de ce conflit, les Frères Musulmans égyptiens, syriens et jordaniens, les Wahhabites saoudiens et les Mawdoudites pakistanais se sont alignés sur les positions de leurs pays respectifs.
Aujourdhui, ce nest plus un tabou que daffirmer que les racines du Hezbollah sont à Téhéran. La milice, qui agit pour le compte dEtats étrangers, ne parviendra pas à sintégrer dans le paysage politique libanais, même au prix dune nouvelle guerre civile. Sa confrontation avec Israël, sans doute voulue par Téhéran, ne dupera pas les Arabes. Même si les régimes arabes sauront instrumentaliser ces événements, chacun pour son compte, lIran finira par payer la facture de cette catastrophe.
Note :
[1] Thual François, Géopolitique du chiisme, Seuil, Paris, 2002.