Ibn Rushd, dit Averroès était trop influencé par la philosophie, la logique et les mathématiques grecques pour toujours rester un parfait Musulman. Bref, il fait figure de progressiste. On en a même fait un héros de cinéma.
Mais un érudit musulman est dabord un juriste. Et un juriste musulman traite forcément du djihad. Ibn Rushd le fait dans son traité de droit intitulé Bidayat al-mudjtahid. Voici quelques extraits du premier des deux chapitres quil consacra au djihad. Cette traduction est basée sur celle, en anglais, de Rudolph Peters, parue dans Jihad in Mediaeval and Modern Islam: The Chapter on Jihad from Averroes et retranscrite dans The Legacy of Jihad, un recueil de textes musulmans sur le djihad édité par Andrew G. Bostom.
Qui est mieux placé pour donner du djihad une idée que nous autres Occidentaux peuvent considérer comme valable et légitime quAverroès, ce philosophe ami des Grecs, modéré et raffiné, et que les Musulmans aussi donnent volontiers en exemple?
Averroès traite le sujet en vrai juriste, se contenant dindiquer létat du débat juridique, sans impliquer sa propre interprétation. Mais il est clair que celle-ci compte parmi les plus pacifiques, à voir le nombre de solutions extrêmes quil choisit, visiblement, de ne pas évoquer [je prendrai soin dindiquer la principale omission dAverroès, toutefois, dans la 4e partie, en me basant sur le Kitab as-sunan dAbou Daoud]. Mais même ainsi, dans ce texte dun Musulman sadressant à dautres Musulmans, nous découvrons fort bien la réalité du djihad: une guerre de conquête, religieuse, qui ne sarrête jamais. Jamais.
Jai coupé la majeure partie des dissertations de détail pour éviter de trop lourdes répétitions, mais jai laissé quelques exemples complets qui témoignent de la réflexion des juristes musulmans et qui mettent bien en lumière le type de différences dinterprétation sur lesquelles saffrontent les différentes écoles juridiques islamiques.
LE DJIHAD
1ère partie: Les qualifications légales (hukm) de cette activité et les personnes obligées dy prendre part
Les savants saccordent à dire que le djihad est un devoir collectif et non personnel. ( ) De lavis de la majorité des savants, la nature obligatoire du djihad est fondée sur [le verset du Coran 2:216] : «Le combat vous a été prescrit alors quil vous est désagréable.» ( ) Lobligation de participer au djihad sapplique aux hommes adultes libres qui disposent des moyens de partir en guerre et qui sont en bonne santé. ( )
2e partie: Lennemi
Les savants saccordent sur le fait que tous les polythéistes doivent être combattus. Cela est fondé sur [le verset du Coran 8:39]: «Et combattez-les jusqu'à ce qu'il ne subsiste plus d'association, et que la religion soit entièrement à Allah.» Toutefois, il a été relaté à Malik quil ne serait pas permis dattaquer les Éthiopiens et les Turcs sur la base de la tradition du prophète: «Laissez les Éthiopiens en paix aussi longtemps quils vous laissent en paix.» Interrogé sur lauthenticité de ce hadith, Malik ne le reconnut pas, mais dit: «Les gens évitent toujours de les attaquer.»
[Ceci constitue bel et bien la totalité du texte définissant l«ennemi»]
3e partie: Les dommages pouvant être infligés aux différentes catégories dennemis
Les dommages infligés à lennemi peuvent consister en atteintes à sa propriété, à sa personne ou à ses libertés individuelles, cest-à-dire sa mise en esclavage et son appropriation. Conformément au consensus (idjma), cela peut être infligé à tous les polythéistes hommes, femmes, jeunes et vieux, important et communs. Les opinions ne varient quen ce qui concerne les moines. ( ).
La majorité des savants saccordent à dire que limam (le chef de lÉtat islamique, le calife) dispose de nombreux possibilités de traiter les captifs. Il peut leur pardonner, les tuer ou les libérer contre rançon ou sous forme de dhimmi, auquel cas le captif libéré est tenu de payer la taxe de capitation (jiziah).
Quelques savants, néanmoins, enseignent que les captifs ne doivent jamais être tués. Selon al-Hasan Ibn Muhammad al-Tamimi, cétait même la le consensus (idjma) de la Sahabah [les contemporains du prophète qui lont connu]. Cette controverse est apparue premièrement parce que les versets du Coran sont contradictoires à cet égard; deuxièmement parce que la pratique [du prophète et des premiers califes] était incohérente; et troisièmement parce que linterprétation évidente du [verset du Coran 47:4] «Lorsque vous rencontrez les incroyants, quils soient massacrés jusquà leur domination» est que limam na que le droit de pardonner aux captifs ou de les libérer, tandis que par ailleurs [le verset du Coran 8:67] «Un prophète ne devrait pas faire de prisonniers avant davoir mis les mécréants hors de combat sur la terre» de même que le contexte de la révélation de ce verset [les captifs de Badr] tendent à prouver quil vaut mieux tuer les captifs plutôt que de les mettre en esclavage.
Le prophète lui-même a tué certains captifs hors du champ de bataille, alors quil pardonna à dautres. Il réduisait toujours les femmes en esclavage. Abou Abayd a relaté que le prophète navait jamais réduit en esclavage des Arabes de sexe masculin. Après lui, le Sahabah réunit lunanimité autour de la règle voulant que les Gens du Livre, mâles et femelles, soient réduits en esclavage. Ceux qui soutiennent lopinion selon laquelle le verset qui interdit lexécution [47:4] abroge lexemple donné par le prophète maintiennent que les captifs ne doivent pas être tués, Dautres professent toutefois que ce verset ne concerne pas le massacre de captifs et donc navait pas pour intention de limiter le nombre de traitements pouvant être infligés aux captifs. Au contraire, disent-ils, le fait que le prophète ait eu pour habitude de tuer les captifs ajoute une règle au verset [47:4] en question et ainsi annule le cas de la plainte selon laquelle il aurait omis de tuer les captifs de Badr. Ceux-ci, donc, professent que le massacre de captifs est autorisé.
( )
En ce que concerne les atteintes portées à la personne, cest-à-dire le fait de tuer lennemi, les Musulmans saccordent à dire quen temps de guerre, tous les mâles adultes valides et incroyants doivent être tués [suit une longue discussion sur la question de savoir qui dautre peut aussi être tué, dans quels cas et selon quelles autorités basées sur quels actes du prophète, sur quels versets et quelles traditions, puis une autre, sur la question de savoir quels dommages peuvent être infligés à la propriété de lennemi, notamment lincendie de ses arbres].
4e partie: les conditions préalables de la guerre
Selon lensemble des savants, la condition pour lentrée en guerre est que lennemi ait entendu les appels à adopter lIslam. Cela implique quil nest pas autorisé dattaquer avant que lappel ne les ait atteints. ( ) Cependant, une controverse existe quant à la question de savoir si lappel doit être répété lorsque la guerre est reprise. Certains soutiennent que cela est obligatoire; dautres considèrent que cest seulement recommandé; un troisième groupe estime que ce nest ni obligatoire, ni recommandé. La source de cette controverse se trouve dans les paroles et les actes du prophète. Selon une tradition faisant autorité, le prophète, en lançant ses armées, disait à leur commandant
«Lorsque tu rencontreras tes ennemis polythéistes, appelle-les à trois choses. Accepte celle à laquelle ils consentiront et ne les attaque pas, alors. Appelle-les dabord à se convertir à lIslam. Sils acceptent, ne les attaque pas. Ensuite, appelle-les à quitter leur territoire pour adopter le foyer des émigrants (muhadjirun) [cest-à-dire Médine] et dis-leur que sils acceptent ils auront les mêmes droits et devoirs que les émigrants. Sils refusent et quils préfèrent restent sur leurs terres, annonce-leur quils seront comme les Bédouins convertis, qui sont sujets dAllah comme les autres croyants, mais nont pas droit à une part du butin, à moins quils ne rejoignent les Musulmans dans la guerre. Sils refusent cela, alors appelle-les à payer la taxe de capitation (jiziah). Sils acceptent cela, consens-y et ne les attaque pas. Mais sils refusent, invoque laide dAllah et attaque-les.»
[Abou Daoud ajoute ici, au même paragraphe, dans son Kitab as-sunan, qui servait très probablement de source à Averroès, la chose suivante:
«Si tu assièges les gens dune forteresse et quils désirent se rendre sans condition (ala hukm Allah), ny consens pas, mais fais-les se rendre quand tu le jugeras bon et fais deux ensuite ce que tu voudras.»]Malgré cela, il est établi de manière irréfutable que le prophète effectua plusieurs attaques surprises contre lennemi, la nuit ou à laube. Certains, donc, et ils sont la majorité, affirment que les actes du prophète ont abrogé ses paroles. ( )
5e partie: Le nombre maximum dennemis contre lesquels on est obligé de se défendre
Le nombre maximum dennemis contre lesquels on est obligé de se défendre est le double de celui de ses propres troupes. ( ) Ibn Madjishun affirme, sur lautorité de Malik, que la puissance effective, plutôt que le nombre, doit être considérée, et quil peut être admis quun homme fuie avant un autre si ce dernier possède une meilleure monture, de meilleurs armes et une force physique supérieure.
6e partie: La trêve
La conclusion dune trêve est considérée par certains comme étant permise demblée et sans occasion particulière, à condition que limam considère quelle est dans lintérêt des Musulmans. Dautres soutiennent que cela nest admissible que lorsque les Musulmans en sont réduits à la plus extrême nécessité, comme en cas de guerre civile. ( )
Shafii affirme quune trêve ne devrait jamais être conclue pour une durée dépassant celle de la trêve conclue par le prophète avec les incroyants lannée de Hudaybiyyah. La controverse sur la question de savoir si la trêve peut être admise sans une raison impérieuse se fonde sur le fait que linterprétation évidente du [verset du Coran 9:5] «tuez les polythéistes où que vous les trouviez» et [du verset du Coran 9:29] «Combattez ceux qui ne croient ni en Allah ni au Jour dernier» contredit celle [du verset du Coran 8:61] «s'ils inclinent à la paix, incline vers celle-ci (toi aussi) et place ta confiance en Allah».
Certains affirment que le verset ordonnant aux Musulmans de combattre les polythéistes jusquà quils se convertissent ou quils paient la taxe de capitation (jiziah) [C 9:29] abroge le verset pacifique [C 8:61]. En conséquence, ils soutiennent que la trêve nest admissible quen cas de nécessité. Dautres sont davis que le verset pacifique [C 8:61] complémente les deux autres versets et ils considèrent donc que la trêve est admise dès lors que limam le juge judicieux. Ils ajoutent, pour soutenir leur thèse, que le prophète a agi de la sorte, car la trêve de Hudaybiyyah navait pas été conclue par pure nécessité.
Selon Shafii, le principe est que les polythéistes doivent être combattus jusquà quils acceptent de se convertir ou de payer la jiziah. Les actes du prophète durant lannée de Hudaybiyyah constituent une exception à cette règle. Donc, poursuit Shafii, une trêve ne doit jamais excéder la période pour laquelle le prophète a conclu la trêve dans le cas de Hudaybiyyah. Il reste cependant une controverse quant à la durée de cette période. Les uns disent quil sagit de quatre ans, mais dautres parlent de trois ans ou de dix ans. ( )
7e partie: Les objectifs de la guerre
Les Musulmans saccordent à dire que lobjectif de la guerre contre les Gens du Livre, à lexception de ceux appartenant à la tribu des Koraïchites et des Chrétiens arabes, est de deux ordres: soit la conversion à lIslam, soit le paiement de la taxe de capitation (jiziah). Ceci est basé sur [le verset du Coran 9:29]: «Combattez ceux qui ne croient ni en Allah ni au Jour dernier, qui n'interdisent pas ce qu'Allah et Son messager ont interdit et qui ne professent pas la religion de la vérité, parmi ceux qui ont reçu le Livre, jusqu'à ce qu'ils versent la capitation par leurs propres mains, après s'être humiliés.»
La plupart des juristes admettent que la jiziah peut aussi être collectée auprès des Zoroastriens (madjus) sur la base des paroles du prophète «Traitez-les comme les Gens du Livre». Il y a controverse, toutefois quant aux polythéistes qui ne sont pas des Gens du Livre: est-il admis de prélever la jiziah parmi eux également? Certains, comme Malik, enseignent que la jiziah peut être exigée de nimporte quel polythéiste. Dautres font une exception pour les polythéistes arabes. Shafii, Abu Thawr et quelques autres soutiennent que la jiziah ne peut être acceptée que de la part des Gens du Livre et des Zoroastriens.
La controverse est ici également générée par le fait quune règle générale soppose à une règle particulière. La règle générale est dérivée des [versets du Coran 2:193 et 8:39 (ces deux versets partagent ce même contenu)]: «Combattez-les jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'association et que la religion soit entièrement à Allah seul» et de la tradition «&Mac220;Il ny a pas dautre dieu quAllah&Mac221; Sils disent cela, leur vie et leurs biens sont inviolables pour moi, excepté si la loi de lIslam lautorise. Il sont alors redevables devant Allah.»
La règle particulière est fondée sur la tradition mentionnée plus haut, soit que Mahomet avait pour habitude de dire au commandant des troupes quil envoyait contre les polythéistes arabes: «Lorsque tu rencontreras tes ennemis polythéistes, appelle-les à trois choses, etc.» Dans cette tradition, la jiziah est également mentionnée. Maintenant, certains savants affirment quune règle générale annule une règle particulière si la règle générale a été révélée à une date ultérieure. ( ) Dautres, toutefois, avancent que les règles générales devraient toujours être interprétées en association avec les règles particulières, peu importe que cela soit inconnu. ( )
Une question fameuse reste à traiter dans ce chapitre: sil est interdit de pénétrer en territoire ennemi en portant un exemplaire du Coran. ( )