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Instantanés d’un carnaval mortel
Par nos envoyés spéciaux Sami El Soudi à Gaza et Jean Tsadik à Karni © Metula News Agency
Article mis en ligne le 16 juillet 2005

Gaza : on pourrait appeler cela la Semaine de tous les dangers !

Les journalistes présents dans notre région du monde ont déjà épuisé tous les superlatifs pour parler des milliers d’affrontements, d’actes de terrorisme et de situations de tension qui secouent régulièrement notre paysage. Rarement cependant, avons-nous observé des conditions aussi complexes et menaçantes que celles qui prévalent ces jours dans et aux alentours de la bande de Gaza.

 

Nous ne dénombrons pas moins de cinq entités, dans ce minuscule territoire, impliquées dans des oppositions violentes, qui vont des manifestations acharnées aux raids aériens. Encore que tout le monde ne tire pas sur tout le monde, ce qui constitue un maigre sujet de satisfaction, nous l’admettons volontiers.

 

Afin de permettre aux abonnés de la Ména de comprendre les actes et les enjeux de ces bras de fer – et de ne pas employer des termes généralistes et creux, du genre "cycle de violence", qui satisfont nombre de nos confrères mais qui ne font qu’ajouter à l’incompréhension des consommateurs de l’information – la Ména a dépêché sur place, depuis jeudi, deux des meilleurs analystes du Proche-Orient. Il s’agit de Jean Tsadik, qui observe les événements côté israélien et de Sami El Soudi, qui se trouvait ce matin dans les quartiers sensibles de Gaza.

 

Les organisations terroristes palestiniennes contre les civils israéliens,

Tsahal contre les organisations terroristes

 

Le rapport que Tsadik nous a fait parvenir du passage de Karni (voir carte) est pour le moins inquiétant. Comme tout autour de la bande, on y assiste depuis trois jours à un déploiement impressionnant de forces israéliennes (1ère entité), puissamment armées, qui attendent le feu vert de leur gouvernement pour déclencher une opération de très grande envergure en territoire palestinien. En préparation de l’attaque, la bande de Gaza a été hermétiquement fragmentée en trois zones longitudinales, que personne ne traverse, hormis les cas humanitaires graves. Cette fermeture a pour but de prévenir le transport d’armes par les terroristes palestiniens (2ème entité) et, en cas de déclenchement de l’invasion, de leur couper toutes les voies de retraite. Cette mesure de fractionnement vient s’ajouter au bouclage non moins étanche de la bande elle-même. La seule exception que l’armée concède étant celle qui permet aux habitants des implantations (3ème entité) – après un contrôle très appuyé de leur identité – de rejoindre leur domicile ou de le quitter. Cette dérogation revêt un caractère dramatique presque palpable, dans le présent contexte où l’on sait que ces personnes devront avoir abandonné habitations, domaines agricoles et commerces d’ici à un mois. Et si certaines de ces personnes ont déjà quitté leurs foyers et que d’autres se préparent à le faire, une majorité d’entre elles s’efforce de continuer à vivre comme si de rien n’était, refusant obstinément de croire à leur déplacement.

 

En cas de déclenchement de l’opération militaire, qui semble ici inéluctable, les soldats israéliens qui y participeront auront à accomplir deux tâches principales : faire stopper les tirs de Qassam et de mortiers par les terroristes et prendre les mesures militaires afin que le désengagement ne se déroule pas sous leur feu.

 

C’est que la situation que nous décrivons se déroule sous les tirs incessants des missiles artisanaux et des obus. Nous en avons compté plus d’une cinquantaine durant les dernières 24 heures et dix, uniquement ce matin, sur la localité de Sdérot, située dans le Néguev occidental israélien. Nos reporters notent que les organisations terroristes, Hamas, Jihad [1] et des composantes du Fatah, ont rompu unilatéralement la trêve décrétée le 8 février dernier en Egypte. En fait, ces organisations ne l’avaient jamais réellement respectée mais l’assassinat collectif de Netanya cette semaine, faisant cinq morts, ainsi que le décès de Dana Glakowitz jeudi, dans le village de Netiv Ha-Assara (voir carte), situé en Israël, des suites d’un tir de Qassam, ont modifié le dispositif israélien. Tsahal, constatant que la trêve n’était plus du tout respectée, a repris cette semaine les frappes ciblées qu’elle avait interrompues au moins de septembre de l’année dernière. Ces trois derniers jours, dans la région de Gaza, les hélicoptères d’assaut, mais aussi des drones télécommandés tireurs de missiles et même la marine, s’en sont pris à des ateliers servant à fabriquer les Qassam et ont intercepté des groupes de lanceurs en voie de commettre leurs méfaits. Tôt ce matin, Sami a assisté de visu à l’attaque aérienne de l’une de ces formations de tireurs, qui étaient en train d’assembler leurs rampes de lancement de Qassam dans le cimetière du camp de Shati, dans la banlieue de Gaza.

 





Carte de la bande de Gaza

Encadrés en jaune, les lieux cités dans l’article,

en vert, les régions d’où sont tirés les Qassam et les obus de mortier

 

Les activités de l’armée israélienne se déroulent également en Cisjordanie. Cette nuit, ses commandos ont procédé à l’arrestation de 26 terroristes, dont 24 membres du Hamas. Seize d’entre eux faisaient partie d’une cellule de Hébron et six de Bethlehem. Et puis hier, lors d’une opération combinée aérienne et terrestre, Tsahal a donné la chasse à quatre terroristes de la même organisation, près de la localité de Salfit, à l’ouest de la ville d’implantation d’Ariel. Les Israéliens étaient sur les traces d’un chef terroriste important du nom de Hussam Fahmi. Dans un premier temps, le groupe de fuyards avait trouvé refuge dans une grotte. Repérés, ils ont été soumis à une intense attaque d’hélicoptères, qui se solda par le décès d’un terroriste et des blessures infligées à un deuxième. Fahmi et le quatrième homme réussirent à quitter leur abri pour se réfugier dans une autre caverne des environs, où les deux individus ont finalement été abattus suite à une traque terrestre. A noter qu’un commando israélien est venu récupérer le terroriste blessé, qui avait été transféré dans un hôpital palestinien de la région. Les soldats l’ont transporté en ambulance vers le centre de Tel Hashomer où il sera soigné et ensuite interrogé.

 

L’Autorité Palestinienne contre les organisations terroristes     

 

D’autre part, l’AP, après avoir subi des pressions extrêmement consistantes de la part des Etats-Unis mais également de l’Union Européenne afin qu’elle agisse immédiatement pour mettre fin aux attaques contre Israël, a croisé le fer avec les terroristes islamistes à Gaza.

 

Condoleezza Rice s’est longuement entretenue au téléphone avec Mahmoud Abbas jeudi soir. Selon nos sources à la Moukata de Ramallah, "la Secrétaire d’Etat s’est montrée précise comme jamais auparavant, allant jusqu’à menacer notre président de le laisser tomber, s’il ne prenait pas ses responsabilités". Peu avant, Madame Rice avait délégué son assistant, David Welsh, à Ramallah pour préciser ses attentes à M. Abbas de façon orale. De plus en plus, les Américains se rallient à la lecture israélienne de la situation, pour rejeter l’explication d’Abou Mazen, selon laquelle il serait trop faible pour faire face aux terroristes. Madame Rice a indiqué à son interlocuteur qu’elle savait qu’il disposait de 35'000 hommes armés, dont d’importantes unités d’élite bien équipées, "qui n’ont participé à aucune opération anti-terroriste depuis que le raïs a remplacé Yasser Arafat l’année dernière".

 

Pour être certaine d’être bien comprise, et pour montrer la préoccupation très sérieuse de l’Administration U.S, Condoleezza Rice se rendra personnellement dans la région au début de la semaine prochaine. Les Etats-Unis favoriseraient un plan militaire pour Gaza, selon lequel les forces de l’AP interviendraient dans le sillage de l’opération israélienne attendue, dans le but d’occuper le terrain et d’empêcher que les islamistes imposent leur loi dans le territoire de Gaza après le retrait de Tsahal. Intervenant dans le même sens, un responsable de la CIA présent à Gaza même, a confié ce matin à El Soudi, que "les forces et les moyens dont dispose l’AP sur place surpassent largement ceux des islamistes et qu’ils suffiraient à eux seul pour faire régner l’ordre".

 

Sur le terrain, justement, les combats entre la police de l’AP (4ème entité) et les terroristes du Hamas et du Jihad se multiplient. Hier, dans le quartier de Zeitoun, on a assisté à des scènes de guerre entre les protagonistes palestiniens. Une trentaine de combattants ont été blessés, alors que deux civils, qui assistaient à la bataille, ont été tués par des balles perdues.     

 

Dans la même journée de vendredi, les hommes du Hamas attaquaient des postes de l’AP au missile antichar et mettaient le feu à trois jeeps et à un blindé des forces nationales. Ces actes font suite aux déclarations du ministre de l’Intérieur Nasser Youssouf en charge des forces de sécurité, qui a affirmé avoir reçu des instructions claires de la part de Mahmoud Abbas "d’user de toutes les mesures nécessaires, y compris la force, pour empêcher les tirs de roquettes et de mortiers (contre les agglomérations israéliennes)".

 

Tôt dans la matinée de vendredi, les hommes de l’AP avaient effectivement intercepté une camionnette du Hamas en route pour tirer des Qassam sur des agglomérations israéliennes. Lors de l’incident, six membres du Hamas ont été blessés, dont deux étaient dans un état critique.

 

Lors d’une conférence de presse tenue peu après, des représentants cagoulés du Hamas ont appelé à la démission de Youssouf, déclarant qu’il "mettait en danger l’unité du peuple palestinien et que les évènements de Gaza constituaient un crime contre le peuple palestinien".

 

Ce samedi, la situation entre les islamistes et l’Autorité est au bord de l’explosion générale. Chacun des deux camps protagonistes – les loyalistes et les islamistes – invitent leurs partisans à se montrer dans les rues, dans un exercice d’intimidation très… palestinien. A noter que les hommes des forces de l’ordre qui participent à cette démonstration de force ont le visage masqué, de crainte de représailles contre leur personne ou contre leur familles.

 

L’AP a déclaré l’état d’urgence dans l’ensemble de la bande de Gaza. La détérioration de la situation est à mettre sur le compte du non-respect de l’accord passé la semaine dernière à Damas entre Mahmoud Abbas et Khaled Mashal, l’un des chefs du Hamas, d’une part, et Ramadan Shalakh, un dirigeant du Jihad de l’autre. Aux termes de cet accord, les deux organisations terroristes s’engageaient à respecter la trêve, en échange de la constitution de "comités nationaux de surveillance du désengagement israélien", dans lesquels les organisations terroristes auraient siégé aux côtés de l’AP. Dans les faits, le Jihad avait rompu ses engagements avant même le retour d’Abou Mazen en Palestine et les Qassam pleuvaient sur les Israéliens, tant dans les implantations en voie d’abandon, que dans les agglomérations situées en territoire israélien.

 

Le non respect de l’entente de Damas a amené le président de l’AP à se soustraire également à ses propres engagements. Dimanche soir, une rencontre dite de la "dernière chance" devrait réunir à Gaza M. Abbas et les représentants des groupements islamiques armés. On s’attend à ce que le président de l’AP exige cette fois la soumission des terroristes, sous la menace d’intervenir militairement contre eux en cas de refus.

 

Le ministre israélien de la Défense, Shaoul Mofaz, a promis de donner à M. Abbas l’opportunité de prendre le contrôle des organisations terroristes par ses propres moyens. Cela semble signifier que le gouvernement de Jérusalem attendra de constater les mesures opérationnelles prises par le chef de l’AP à la suite de sa réunion avec les terroristes.

 

Manifestants édennistes du Grand Israël contre Tsahal, la police et les gardes-frontières

 

Retour au point de passage de Karni pour conclure cet instantané de la situation à Gaza. Pour y décrire cette étrange perspective visuelle, constatée par Jean Tsadik durant les journées de jeudi et vendredi : présentant leur dos à leurs camarades qui fourbissent leurs machines de guerre en préparation d’une intervention à Gaza, d’autres soldats et policiers, non armés, subissent les quolibets, les insultes et les provocations de centaines de manifestants. Des hommes, des femmes et de très jeunes enfants du courant juif religieux, venus pour la plupart des implantations de Cisjordanie (5ème entité) font face à la troupe.

 

Une femme, un bonnet en tricot sur la tête, avec une longue jupe noire qui lui descend jusqu’aux sandales, bouscule un jeune soldat en le traitant de "nazi". Tandis qu’il la repousse pour ne pas perdre pied, la manifestante se met à hurler, comme prise d’hystérie : "ne me touche pas, tu n’as pas le droit de toucher une femme !". Un peu plus loin, un étudiant hilkhatique présente à Jean Tsadik son avant-bras, sur lequel il a écrit son numéro d’identité à l’encre orange (la couleur du mouvement anti-désengagement). "Ils (les soldats) nous traitent comme les Allemands traitaient les Juifs", ose l’adolescent, ignorant tout de ce qui s’est passé à Auschwitz et à Maidanek.

 





Une scène du même genre de celle décrite par Jean Tsadik

 

Encore un peu plus loin, un colonel, venu inspecter les troupes en vue de l’intervention à Gaza, est littéralement agressé par la foule démente. Pendant qu’il tente de parlementer poliment avec ses assaillants, ils le "collent" à son véhicule et le molestent, pendant que d’autres lui poignardent ses quatre pneus. Un groupe de gardes-frontières qui a heureusement observé la scène, intervient fermement afin de secourir l’officier.

 

Ces altercations durent toute la journée ; "ils veulent nous user", affirme un jeune appelé, Moshé, qui porte lui aussi la kippa, "c’est très dur d’être insulté de la sorte, sans arrêt". "La décision de Sharon de fermer la bande les rend ivres de colère", poursuit-il, "ils comptaient avoir le temps de s’installer par dizaines de milliers dans les implantations, pour nous empêcher de déloger les habitants. Sharon les a pris de vitesse et ça les fait dire et faire n’importe quoi".

 

Tsadik fait remarquer au jeune soldat sa kippa et lui demande quels sont ses sentiments personnels. "Dès que je revêts mon uniforme, je n’ai plus de sentiments personnels, ou plutôt, il ne m’en reste plus qu’un seul : des soldats israéliens qui refusent d’exécuter les ordres et il n’y a plus d’armée et plus d’Israël ; et moi, j’aime mon pays", termine Moshé, presque timidement. Il montre sans se retourner deux tanks dans son dos : "c’est ça le combat d’Israël, leur ennemi, ce sont les terroristes qui veulent nous détruire, ça n’est pas nous".

 

Lundi, les orange ont prévu une énorme marche sur les points d’entrées de la bande. Ils se réuniront dans la ville de Nétivot (voir carte) et avanceront, rabbins anti-désengagement en tête, jusqu’au contact avec la troupe. Les organisateurs espèrent 100'000 manifestants.

 

Et si l’opération militaire commence avant cela, on ferait du funambulisme sur une réserve de dynamite. Les terroristes palestiniens et l’extrême droite israélienne opposés, chacun pour ses raisons, au désengagement. L’AP et Tsahal oeuvrant peut-être dans le même sens, et le tout, sur un territoire grand comme un confetti, sur lequel vivent 1.3 millions d’Arabes et 7'500 Juifs.

 

On pourrait appeler cela la Semaine de tous les dangers !

 

 


Notes :

 

[1] Le Jihad Islamique Palestinien avait refusé de signer la trêve du Caire.  

 



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