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Le futur selon le ‘Jules Verne juif ’
par Nathan Guttman - Ha’aretz (Adaptation française de Simon Pilczer © , volontaire de l’IHC)
Article mis en ligne le 13 juin 2005

Washington. Le scénario pessimiste : nous sommes en 2025 et l’existence même du Peuple juif est menacée - le nombre de Juifs dans le monde est tombé à 10 millions, dont 6 millions vivent en Israël, le taux de ‘mariages mixtes’ augmente, et la plupart des enfants des ‘mariages mixtes’ n’ont aucun lien avec le judaïsme.

En Israël, la société choisit la « Normalité » plutôt que l’existence juive, la situation de la sécurité se détériore, et l’unité sociale se désintègre ; dans la Diaspora, la force des communautés juives et de l’éducation juive refluent, les liens entre la Diaspora et Israël sont particulièrement faibles, et les fortunes financières juives sont déclinantes ; l’antisémitisme augmente, comme l’hostilité du monde musulman à l’égard des Juifs. Voilà le scénario pessimiste, qui est décrit comme un « cauchemar réaliste ».

Il existe aussi un scénario inverse pour 2025, décrit comme la « vision réaliste », dans lequel le Peuple juif s’épanouit avec environ 18 millions de Juifs, dont les deux tiers vivent en Israël ; l’identité juive en Israël gagne en force, de même que la sécurisation de la stabilité régionale et de la croissance économique ; En diaspora, la majorité des enfants juifs sont intégrés dans des institutions éducatives juives, la liaison avec Israël se fait plus forte, et le pouvoir économique et politique des Juifs est croissant ; la nation juive est motrice dans le « tikkun olam » (réparation du monde), et jouit d’une période de prospérité dans ses relations avec les Chrétiens et les Musulmans.

Ces deux scénarios extrêmes, en opposition pratiquement polaire l’un par rapport à l’autre, ont été présentés il y a deux semaines à un groupe d’environ vingt dirigeants juifs sociaux contemporains pour tenter de formuler un plan de navigation pour le Peuple juif dans les décennies à venir, pour réaliser la vision optimiste et éviter le scénario de cauchemar. Le groupe s’est réuni à l’écart des paillettes médiatiques et presque en secret à « Wye Plantation », près de Washington, D .C. Wye est familière aux mordus de l’histoire israélienne en tant que lieu où Israéliens et Palestiniens se sont enfermés et ont travaillé le fameux « Accord de Wye ».

Cependant, cette fois-ci, ce n’était pas des hommes d’Etat et des politiciens autour de la table, mais plutôt un assortiment des noms les plus proéminents de la galerie juive contemporaine, dont l’avocat Alan Dershowitz, l’ancien Secrétaire au Trésor adjoint Stuart Eizenstat, Natan Sharansky, le Rabbin Samuel Sirat, ancien Grand Rabbin de France, Michaël Steinhardt, l’un des dirigeants juifs philanthropes des USA, Dennis Ross, le Professeur Yehezkiel Dror, Jacques Attali, le Rabbin Youval Cherlow, et d’autres. Incidemment, quelques participants demandèrent à garder secrète leur participation. Steven Spielberg fut obligé d’annuler à la dernière minute, mais promit de venir au prochain séminaire.

Les membres du groupe passèrent 24 heures ensemble sur place, relativement isolée et distante de l’effervescence de Washington, pour tenter d’envisager ce qu doit être fait pour assurer un meilleur futur pour le Peuple juif. « Notre objet est de comprendre ce qui doit être fait aujourd’hui pour assurer un avenir meilleur au Peuple juif », a déclaré Avi Gil, ancien Directeur Général du Ministère des Affaires Etrangères, qui présidait le projet. C’était organisé par l’Institut de planification politique du Peuple juif (Jewish People Policy Planning Institute - JPPPI - en anglais), un groupe de réflexion indépendant mis en place par l’Agence Juive, pour étudier les questions relatives au Peuple juif.

La plus lourde menace

La réunion de Wye Plantation, décrite comme un session de « remue-méninges », est l’étape finale d’un projet intitulé « Alternatives futures pour le Peuple juif ». Au cours des derniers mois, différents experts ont ébauché des documents qui ont percé à jour les options disponibles pour les israéliens et la communauté juive dans les sphères telles que la démographie, la géopolitique, l’identité juive, l’économie, la technologie, et les relations Israël-Diaspora. Chaque sous-groupe a tenté de sonder les courants actuels et de déterminer où ils étaient susceptibles de mener d’ici deux décennies. Les experts ont essayé d’identifier les points d’intervention possible, de façon à détourner ces courants dans une direction positive.

« Ce groupe est le Jules verne du monde juif », a déclaré Avinoam Bar-Yosef, qui dirige l’Institut de Planification de la politique du Peuple juif (JPPPI), se référant au groupe assemblé à Wye Plantation pour discuter des scenarii. Mais à l’inverse de Jules Verne, ils n’ont pas tenté de prédire le futur, mais seulement de l’influencer.

« Quand je suis parti, j’étais totalement préoccupé, mais aussi quelque peu optimiste » déclara le Pr. Yehouda Reinharz, Président de l’Université Brandeis, participant au groupe. Comme la plupart des autres Rheinharz croit qu’il existe de très réelles préoccupations au sujet de la perte de l’identité juive et du déclin de la taille du Peuple juif, si bien qu’il pourrait être difficile pour le judaïsme de continuer de fonctionner. La seule raison d’optimisme qu’il découvre est que ces 20 Juifs très actifs ont pris le temps d’envisager comment on peut sauver le Peuple juif, et ont essayé de concevoir des solutions à la situation. Cela peut être l’indication d’un glissement positif dans l’approche pour traiter des problèmes du Peuple juif.

La majorité des participants s’est accordée à dire que la plus grande menace pour le Peuple juif dans les décennies à venir est l’affaiblissement de l’identité juive. Dans le monde moderne, l’identité juive est en concurrence avec un grand marché d’idées et d’idéologies ouvertes à chaque individu. La difficulté pour relier les Juifs, et d’abord les plus jeunes Juifs, à leur identité juive conduit finalement à la séparation de la vie collective juive, la mise à distance de l’Etat d’Israël, et à ‘augmentation des ‘mariages mixtes’, ce qui, à la deuxième génération, provoque une grande déperdition de Juifs.

La communauté juive américaine a perdu entre 300.000 et 500.000 membres au cours de la décennie passée, nombre qui préoccupe toute personne impliquée à ce sujet. « Dans les quelques années écoulées, des efforts colossaux ont été faits pour maintenir l’identité juive, pour trouver des Juifs et veiller à ce qu’ils restent dans la communauté, mais ces efforts n’ont été que partiellement couronnés de succès », a déclaré Rheinharz.

Incidemment, la crise de l’identité juive n’existe pas seulement parmi les Juifs de la Diaspora. Un document préparé par le JPPPI révèle les préoccupations sur un affaiblissement majeur de l’identité juive en Israël, en particulier à la lumière des appels pour transformer Israël en un pays « normal » dans lequel la composante de l’identité juive serait abaissée en faveur d’une identité israélienne.

Tous les participants de l’assemblée ne s’accordèrent pas pour dire que le plus grand danger pur le Peuple juif est interne. Le Pr. Alan Dershowitz tint la position minoritaire. Il considère la menace extérieure comme la plus significative. Il perçoit que l’antisémitisme est en ascension, et que les tentatives de délégitimation d’Israël et la possibilité d’armes nucléaires iraniennes sont ce qui met réellement en danger le futur du Peuple juif. « Aussi longtemps que des Juifs sont libres de choisir leur identité, je suis confiant dans la poursuite de l’épanouissement du Peuple juif, malgré son déclin numérique », déclara Dershowitz.

Stuart Eizenstat, qui, en plus de sa position dans l’administration américaine a aussi coordonné les questions des biens juifs de la période de l’Holocauste, se réfère à la crise démographique menaçant le Peuple juif. En diaspora, c’est une crise démographique absolue prenant son origine dans les ‘mariages mixtes’, une natalité faible et le vieillissement de la communauté, alors qu’en Israël la crise est relative - en comparaison avec la population palestinienne. Des participants de l’assemblée s’accordèrent pour dire que le cliché entre quantité et qualité n’est plus pertinent pour le Peuple juif, et que s’il y a une perte quantitative significative, même une possible qualité que la communauté pourrait faire germer échouerait à maintenir une réelle vie juive, en particulier en Diaspora.

Une visite en Israël peut aider

Comment affrontez-vous la perte d’identité, et l’évaporation externe du Peuple juif ? La plupart des participants dans la session de ‘remue-méninges’ s’accorda pour dire que la clé repose sur l’ouverture des portes du Peuple juif et l’accueil bienveillant de ceux qui sont aujourd’hui sur ses marges. « Nous devons abaisser le niveau d’entrée pour la participation de la vie juive en termes religieux et d’organisation », déclara Eizenstat. « Nous devons travailler avec ceux qui sont moins liés à la communauté, ceux qui traditionnellement ne participaient pas à la communauté ». Ces « Juifs marginaux » comprennent les épouses non juives dans les ‘mariages mixtes’, les enfants de ’mariages mixtes’, qui n’ont pas été élevés dans un foyer juif, des immigrants de l’ancienne Union soviétique qui n’ont jamais reçu d’éducation juive ou dont l’ascendance juive est incertaine.

Jusqu’à présent, la communauté juive a poussé au dehors de tels groupes, et imposé des exigences à ceux souhaitant se joindre à la vie juive. Résultat, ces « Juifs marginaux » ont pris eux-mêmes leurs distances vis-à-vis de la vie juive, et leurs enfants ont grandi sans un ‘iota’ d’identité juive. « Ce n’est pas une affaire de désir conscient d’abandonner la communauté juive, c’est simplement survenu dans la vie de tous les jours, goutte après goutte », ajouta Reinharz.

Même le ‘remue-méninges’ à Wye Plantation n’a pu découvrir l’élixir magique pour faire revenir au bercail ces Juifs qui se sont éloignés de leur communauté. Mais il est facile de savoir où résident ces solutions. L’une, dans le domaine d’une capacité de direction juive. « Le Peuple juif manque de direction spirituelle capable de formuler un nouveau contenu d’inspiration pour l’identité juive qui inspirera, apportera du sens, et gagnera en pertinence », fut-il imprimé dans le communiqué de presse après l’assemblée. Une autre solution repose sur les contacts avec Israël. Jusqu’à présent, l’unique solution qui a prouvé sa capacité à renforcer l’identité juive en Diaspora (d’abord depuis l’Amérique du Nord) est de passer du temps en Israël. Même de courtes visites comme l’expérience du droit d’aînesse d’Israël ont démontré qu’ils peuvent resserrer les liens des participants avec leur identité juive.

Cela signifie-t-il qu’une personne prenant part au programme ne se mariera pas à l’amour de sa vie non-juif [ou non -juive] du fait de la découverte nouvelle de son identité juive ? La réponse est non, mais les chances sont définitivement plus grandes qu’après un ‘mariage mixte’, cette jeune personne aspirera à avoir un foyer juif et à élever ses enfants en Juifs.

Des participants à l’assemblée ont noté, en mention spéciale, la communauté orthodoxe, qui maintient un pleine identité juive - éducation juive à 100 %, 0 % de ‘mariages mixtes’, et taux de natalité élevé. Mais dans le même souffle, ils ont expliqué cela parce que c’est une communauté fermée, qui ne peut servir de modèle à la vie juive dans l’ère actuelle.

Le mot à la mode à l’assemblée était « agressivité » - le besoin d’agir immédiatement et résolument, en listant toutes les forces disponibles pour arrêter le déclin du Peuple juif. A présent, l’activité juive n’est pas caractérisée par une sensation de panique ou d’urgence. Le droit de naissance, par exemple, qui gagne l’approbation de toutes parts, souffre de contraintes budgétaires qui empêchent tous les jeunes Juifs désirant visiter Israël d’être en mesure de le faire. Pendant ce temps, 80 % des fonds auxquels contribuent des Juifs américains sont dirigés vers des objectifs non juifs.

Il est clair que si la communauté juive croyait être confrontée à une urgence, on pourrait changer beaucoup de choses ; aussi bien dans des domaines d’apports monétaires significatifs, et dans des domaines nécessitant de bien tenir la barre contre l’establishment religieux et organisationnel, dans l’exigence d’ouvrir les portes du judaïsme aux Juifs assimilés et éloignés de la communauté.

« Il y a beaucoup d’énergie et de pensée juives dans le monde qui ne sont pas exploitées au bénéfice du Peuple juif » a déclaré Avinoam Bar-Yosef, qui espère que l’Institut qu’il dirige parviendra à faire la liste de ces énergies juives. Mais Yehouda Reinharz perçoit que cette communauté est complaisante. « Des juifs américains sont si contents d’eux-mêmes, du fait de l’illusion qu’ils ont beaucoup d’influence économique et politique ici », dit Reinharz, qui prévient que la communauté ne dispose que « d’une fenêtre de quelques années supplémentaires » avant que la réalité politique américaine ne se transforme et que le pouvoir politique de la communauté juive ne soit perdu, en faveur d’une minorité hispanique plus importante, et de la communauté musulmane américaine.

Quelqu’un écoute-t-il ces tirs d’avertissement ? Avi Gil, le chef de ce projet, perçoit qu’il existe une plus grande volonté désormais d’écouter des idées de l’extérieur, et il agit de façon à présenter des recommandations pratiques pour le futur. Les conclusions de l’équipe d’experts qui se sont rassemblés à Wye Plantation ont été présentées la semaine dernière à la conférence des Présidents des principales organisations juives américaines, et une session spéciale de la Knesset leur sera dédiée dans un futur proche.



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