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Après la décision du Conseil d’Etat d’interdire la chaîne. Al-Manar et la politique arabe de la France
Par Sylvain Attal - Le Figaro
Article mis en ligne le 16 décembre 2004

La liberté d’expression est un principe en réalité bien subjectif, ou en tout cas très relatif. La polémique au sujet de la chaîne de télévision du Hezbollah al-Manar en fournit une nouvelle preuve.

Ainsi, par exemple, l’association Reporters sans frontières (RSF), dont une des missions est de veiller au respect de cette valeur chère aux démocraties, a cru devoir prendre publiquement la défense de ce média ou, en tout cas, se faire l’avocat de sa demande de conventionnement en France et, partant, en Europe. L’argument de Robert Ménard, secrétaire général de RSF, était articulé autour de deux points. Premier point :

« Il est impossible d’empêcher effectivement cette télévision d’être reçue par quiconque dispose de l’équipement nécessaire pour capter le satellite Eutelsat. »

C’est malheureusement vrai. De là à dire qu’al-Manar devait être conventionnée par le CSA, c’est-à-dire que sa réception devait être facilitée par nos autorités de surveillance, il y avait un pas que Robert Ménard n’hésita pas à franchir, appuyé sur son deuxième point :

« En ne braquant pas les responsables d’al-Manar, nous avons une chance de les convaincre de diffuser chez nous une version « light ». » Un antisémitisme light, en quelque sorte. Nous voilà bien rassurés.

RSF défend la liberté d’expression ; quoi de plus normal, direz-vous ? Sauf que RSF n’a ni le temps ni la possibilité de défendre tous les reporters qui veulent faire tomber les frontières... Pour évoquer un souvenir personnel, il y a près d’un an, l’accès à l’Assemblée nationale me fut interdit par un vendeur de limonade islamiste aujourd’hui réfugié au Qatar, parce qu’il avait su profiter de l’indulgence ou de la naïveté d’un député communiste pour tenir au coeur du Palais Bourbon une conférence de presse et vanter son activité commerciale. Considérant que mes droits avaient été violés, que la République s’était souillée, j’ai saisi un certain nombre de personnes, dont Robert Ménard. Que fit-il ? Eh bien, absolument rien, contrairement à l’engagement qu’il avait pris devant moi.

Bien entendu, cet incident - symboliquement inquiétant - n’a pas la gravité d’une affaire d’Etat aux multiples incidences diplomatiques. Mais RSF, prompte à se mobiliser pour défendre la liberté de la presse des ou dans les pays peu ou pas démocratiques, me semble sous-estimer les dangers qui minent notre démocratie de l’intérieur. Elle n’est pas la seule. Beaucoup de militants qui prétendent, par ailleurs, lutter contre les excès de la mondialisation libérale sont, eux aussi, dans ce cas. Car veiller à ce qu’un islamiste ne puisse profiter de notre libéralisme pour prendre en otage un symbole républicain pour y faire ensuite régner sa loi, c’est exactement la même chose que se protéger contre certains effets non souhaitables de la mondialisation du marché du travail, des capitaux ou de l’information, par exemple contre les programmes faisant l’apologie de la haine raciale, du terrorisme ou véhiculant une image de la femme contraire à nos conceptions.

A la différence des pays anglo-saxons, adeptes du free speech, où la liberté d’expression est un droit fondamental ou constitutionnel ne pouvant connaître d’entrave, la France a opté pour la répression de certains propos explicitement racistes. D’où sa législation particulièrement stricte que l’on peut discuter mais sur laquelle seuls les révisionnistes voudraient revenir.

Cette autre « exception française » est aujourd’hui défiée par les possibilités des nouvelles technologies de l’information (Internet, satellites, etc.). Est-ce une raison de baisser les bras ? Ce serait manquer d’imagination ou de courage, voire des deux à la fois. Si l’on considère que la France ne doit pas se laisser imposer des modèles culturels sociaux ou fiscaux qui ne sont pas les siens, pourquoi, alors, se montrer plus conciliant quand il s’agit d’information ? Au nom du relativisme culturel, faut-il, par exemple, accepter en Europe un taux incompressible de sexisme ou d’antisémitisme ? S’il est vrai que l’antisémitisme coule à nouveau de beaux jours dans la « rue arabe » comme nouveau dérivatif aux frustrations diverses, il serait insultant, raciste presque, de considérer que les Arabes, ou les musulmans qui vivent en Europe, sont naturellement complaisants envers cette propagande immonde.

Alors que chacun se plaît à rappeler qu’il ne faut pas « importer le conflit du Proche-Orient », comment interpréter les hésitations du CSA et du Conseil d’Etat autrement que par l’exercice de pressions politiques ? Le revirement de la haute juridiction doit néanmoins être salué. Car, entre le repli sur soi et l’ultralibéralisme, une autre voie est possible. On peut envisager, sans heurter le pluralisme, des protections contre des idées violentes, racistes, sexistes, homophobes qui menacent nos modes de vie et la coexistence entre des communautés d’origines et de cultures diverses.

En s’organisant entre Européens, on peut négocier. Ou, à défaut, contraindre les chaînes par satellite qui diffusent ces idées. La France doit donner le bon exemple, au risque de s’exposer à des mesures de rétorsion contre les programmes français dans le monde arabe. Car il faut hélas constater que les passions viennent presque toujours du monde arabo-musulman. Dire cela, c’est refuser de tomber dans le piège du discours sur le néocolonialisme ou « l’ordre occidental de l’information ». C’est surtout s’obliger à donner un cadre plus contraignant, plus exigeant, à la « politique arabe de la France ».



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