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Copernic trente ans après
Hélène Keller-Lind
Article mis en ligne le 4 octobre 2010

Au-delà de la simple commémoration et de l’hommage rendu aux victimes, la cérémonie qui marquait les trente ans de l’attentat de la rue Copernic a été construite autour de trois thèmes : se souvenir, comprendre, juger. Avec une réflexion en profondeur sur le sens de cet attentat et les leçons à en tirer. La participation du Premier ministre, François Fillon, lui a donné toute sa dimension.

Ce jour-là, il n’y a eu que des victimes

« Aujourd’hui, 30 ans après les faits, c’est la France toute entière qui, à vos côtés, se penche sur la destinée brisée des innocents fauchés par la haine. 30 ans après les faits, la République n’oublie pas, n’oublie rien, et, ce faisant, elle s’arme de fermeté pour défendre ses valeurs. » C’est ainsi que le Premier ministre, entouré de nombreuses personnalités, dont le ministre Brice Hortefeux, les anciens ministres, Simone Veil et Robert Badinter, s’est adressé à tous ceux qui étaient réunis à la synagogue de la rue Copernic pour commémorer le trentième anniversaire de l’attentat dirigé contre la synagogue de l’Union Libérale Israélite de France à Paris. Il soulignait que « Rue Copernic, dans le souffle de l’explosion, juifs et non juifs, il n’y avait que des victimes. Voilà ce qui aurait dû être dit à l’époque. »

Une réponse claire à la «  petite phrase » de Raymond Barre, alors Premier ministre, qui avait déploré que des Français innocents aient été tués...En effet, l’explosion avait été déclenchée au moment où les fidèles devaient sortir de la synagogue en ce soir de Shabbat, et elle devait faire un maximum de victimes. Mais le rabbin ayant pris du retard, ce sont surtout des passants ou des personnes qui étaient à proximité de la synagogue qui ont été frappées. Quatre personnes ont été tuées, « des vies volées, » a dit François Fillon. Et il y a eu de nombreux blessés dont certains portent encore les séquelles de la « pluie de verre et de fer » souvent évoquée.
Dans un souci d’apaisement, sans doute, cette « petite phrase » du Premier ministre de l’époque, souvent rappelée lors des diverses tables rondes, et dénoncée également par Joël Mergui, Président des Consistoires, Richard Prasquier, Président du CRIF, à l’initiative de cette commémoration, a choisi, trente ans après d’y voir une « maladresse. »

En prononçant ces mots, le Premier ministre, faisait écho aussi à un regret souvent exprimé lors de la commémoration quant à l’attitude des autorités gouvernementales d’alors, qui, dans un premier temps, firent preuve d’une certaine indifférence. Alors que la réaction du public fut celle d’une grande solidarité. Toutefois un hommage a été rendu au travail de la police et des magistrats.

« Un des grands principes du judaïsme : la justice, la justice tu rechercheras.

Dans la première table-ronde de l’après-midi, consacrée au souvenir, les Présidents d’alors et d’aujoud’hui de l’ULIF – Union Libérale Israélite de France, qui a co-organisé la cérémonie -, Lucien Finel et Claude Bloch, ont apporté leur témoignage, revivant la « stupeur, suivie de cris de terreur, » « le souffle terrible  » de l’attentat. Et soulignaient que le retard du rabbin « avait évité l’hécatombe. »

Grande émotion, de Gérald Barbier, qui, en le relatant, trente ans plus tard, revivait ce moment « d’horreur, extrêmement violent.  » Ses parents et lui-même, ainsi que quatre clients dans leur magasin d’électricité qui jouxte la synagogue, furent «  tétanisés  » lors de l’explosion : le terroriste avait garé la moto contenant la bombe à 4 ou 5 mètres de leur devanture. Ils eurent ensuit une réaction de survie en se réfugiant dans la cour intérieure de l’immeuble, craignant que « cela ne recommence. » Et il dit sa mère blessée et marquée à jamais. Et il redisait sa solidarité avec les fidèles juifs ainsi visés.

Même émotion toujours présente d’Alain Goldman, alors Grand Rabbin de Paris, qui s’était rendu à pied sur les lieux et qui dénonçait « les actes antisémites en Israël et partout dans le monde. »


L’épouse du rabbin Williams donnait lecture du témoignage de son mari dans lequel il rappelait sa colère d’alors, devant « ce carnage, » mais son réconfort devant «  le flot de solidarité  ». L’occasion pour lui aussi de réaffirmer « un des grands principes du judaïsme : la justice, la justice tu rechercheras. »

Principe rappelé aussi par Irwin Cotler, Professeur de Droit International, député québécois et ancien ministre de la Justice de son pays. Ce « proverbe du Talmud, » son père l’avait partagé avec lui, alors qu’il était adolescent, lui disant alors que « cela était plus important que tous les commandements réunis, » et que « l’on doit ressentir l’injustice sinon la poursuite de la justice n’est rien d’autre que de la rhétorique. »

Aucune justification politique

La seconde table-ronde était consacrée au thème de «  comprendre, » centré autour de l’exportation du conflit israélo-palestinien par les réseaux terroristes. Jean-Yves Camus, chercheur à l’IRIS, replaçait l’attentat dans le contexte des années 70 / 80. Avec l’expulsion des Palestiniens de Jordanie, puis du Liban, leur exportation du conflit en Occident contre des cibles israéliennes ou juives, le développement d’ailes radicales, comme le FPLP – coupable de l’attentat de la rue Copernic - refusant toute solution négociée et le rôle des pays les soutenant, comme la Syrie, la Libye ou l’Irak de Saddam Hussein. Le tout sur fond de manipulations des services secrets d’Europe de l’Est et de liens avec l’ultra-gauche face à un Israël symbolisant l’Occident.

L’attentat de Buenos Aires, avec ses 400 victimes et 85 morts était évoqué par Guillermo Borger, Président de l’AMIA, le centre communautaire juif qui avait pris pour cible le 18 juillet 1994. Et était commandité par la République islamique d’Iran avec la participation du Hezbollah. Ce que l’enquête a permis d’établir, après qu’elle ait été gelée dans un premier temps par le pouvoir en place à l’époque. Celui qui est devenu le ministre iranien de la Défense, Ahmad Vahidi, fait partie des personnes mises en cause par les procureurs argentins.

Shimon Samuels, Directeur du Centre Simon Wiesenthal pour l’Europe, rappelant la longue liste des attentats, soulignait que « ce qui commence par les Juifs se termine avec les autres » et que cet attentat avait « renforcé le militantisme juif. » Ce dont témoignait avec émotion Pierre Levy, administrateur de l’ULIF et l’un des fondateurs de « l’Association des Jeunes du 3 octobre, » ancêtre du SPCJ.

Le contexte donne des explications, certes, mais, comme le soulignait François Fillon, « concéder aux assassins de la rue Copernic un but politique, ce serait conférer au geste de tueurs un soupçon de circonstances atténuantes. Or rien, absolument rien, ne justifie leur meurtre, pas même les épreuves du conflit israélo-palestinien. » Il ajoutait : « Non, rue Copernic, la question du « pourquoi ? » nous renvoie simplement et froidement à la haine antisémite. »

Ce qui faisait écho à l’interrogation du Grand Rabbin de France, se demandant comment expliquer aux enfants, juifs et non juifs, pourquoi les lieux juifs doivent être protégés, alors que « lorsque l’on est protégé, normalement c’est qu’on a fait quelque chose de mal. »

Copernic moment charnière

« Il y a eu un avant et un après Copernic, » aura été un constat souvent entendu. Ainsi, Richard Odier, Président du centre Simon Wiesenthal pour l’Europe, se souvient qu’il apprit l’attentat alors qu’il était au Talmud Torah et comprit alors que «  notre monde avait changé, alors que le souffle de la Shoah était encore très présent... »

Ce fut, « un moment charnière, » déclarait Richard Prasquier. Avant « on circulait librement sans ressentir quoi que ce soit de particulier, » notait Ivan Levaï, qui faisait état « d’une peur diffuse ressentie aujourd’hui. »

Une nouvelle forme de guerre toujours d’actualité

Françoise Rudetzki, elle-même grièvement blessée lors d’un attentat en décembre 83, fondatrice de SOS Attentats, association dissoute en 2008, intervenait pour rappeler que le premier attentat en France avait été perpétré contre le Drugstore St Germain en 1974, faisant des morts et des dizaines de blessés. Attentat du terroriste « Carlos » et qui n’en était pas là à son premier. Elle évoquait aussi « une nouvelle forme de guerre, » avec terrorisme et prise d’otages, « qui détourne les lois de la guerre et contre laquelle les démocraties refusent de se battre. »
Un avis qui n’était pas partagé, notamment par les intervenants qui ont évoqué le thème de la troisième table-ronde : « Le temps de l’enquête et du procès. » Alors qu’à propos du terrorisme, François Fillon disait qu’aujourd’hui, « sans être alarmiste, la vigilance est de mise. »

Il faut que la justice passer et le temps de la justice joue contre les terroristes

Le temps de la justice est long, en effet, comme le rappelait Françoise Rudetzki elle-même, à propos de l’extradition de Grande-Bretagne, dix ans plus tard, de Rachid Ramda, un islamiste algérien finalement condamné en France pour son implication dans les attentats meurtriers du métro et RER de 1995. Mais l’attentat de la rue Copernic «  reste une affaire d’aujourd’hui, » notait Jean Chichizola, coauteur de la magistrale enquête « L’Affaire Copernic.  »
Car « la justice française, la DST, la brigade criminelle, le juge Jean-Louis Bruguière n’ont pas voulu que le dossier soit clos...ils ont refusé l’oubli judiciaire. » Ce qui n’est pas la cas partout. Ainsi « ce sont les mêmes criminels qui ont commis l’attentat d’Anvers mais le procès n’aura jamais lieu. »
Cette détermination de « la police, des magistrats et de certains journalistes qui ont fait un travail exceptionnel » était salué également par Bernard Cahen, l’avocat des parties civiles. Qui racontait comment « les terroristes, aussi intelligents soient-ils, commettent des erreurs monumentales. » Ce qui permet, au prix de longues enquêtes de les retrouver.

Si les enquêtes sont longues, c’est que les terroristes veillent à couvrir leurs traces, certes, mais aussi qu’elles se heurtent à des législations différentes selon les pays dans ce qui est devenu « un gigantesque puzzle » décrit par le Juge Jean-Louis Bruguière. Sans qu’il ait été découragé pour autant, « la conviction forte, inoxydable, le refus de l’oubli, » couplés à « une conception du droit, des valeurs fondamentales, » étant au cœur de son travail. Conviction et valeurs lui ayant permis de résister à diverses pressions. Il expliquait, notamment, que dans l’enquête menée sur l’attentat commis contre un avion de l’UTA, on lui avait dit qu’on ne pourrait lutter contre le lobby libyen. Mais, « avec des sanctions des États-Unis et de la Grande-Bretagne, on y est arrivé, » disait-il.

L’enquête sur l’attentat de la rue Copernic a mené à Hassan Diab, retrouvé à Ottawa où, après être passé par les États-Unis, il enseignait tranquillement la sociologie à l’Université d’Ottawa. Elle a réuni suffisamment d’éléments, outre le fait qu’il faisait partie, ainsi que son ex-épouse, du FPLP, permettant aux autorités françaises de demander son extradition. Cette demande sera examinée le 8 novembre prochain au Canada. Le Professeur Cotler estime, pour sa part, que son extradition prendra sans doute beaucoup de temps. Toutefois, « nous sortons du tunnel et je suis convaincu qu’il sera extradé,  » déclarait Jean-Louis Bruguière qui fait « entièrement confiance au magistrat qui a repris le dossier aujourd’hui. » « Il faut que la justice passe, et le temps de la justice ne joue pas pour eux  » concluait-il, affirmant que «  les démocraties ne sont pas faibles, elles sont justes mais ne tolèrent pas l’intolérable. »

Autre aspect : le magistrat rapportait comment les terroristes, à l’instar d’Al Quaida, «  voient l’importance du judiciaire et du légal  », comme l’ont montré des documents retrouvés à Kandahar, expliquant ce qu’est la liberté de mouvement dans l’Espace Schengen ou les vertus – selon eux - du 4ème Amendement américain. Et il mettait en garde, à propos du Parlement européen, contre des législations « privilégiant la protection des libertés civiles et individuelles qui sont à protéger, mais pas au détriment du reste. »
Jean-Louis Bruguière a d’ailleurs raconté ses mémoires dans un ouvrage passionnant

Les leçons tirées de Copernic par le Professeur Irwin Cotler

Dans une intervention remarquable, Irwin Cotler, cet avocat des Droits de l’Homme, Professeur de Droit International et ancien ministre de la Justice du Canada, détaillait les leçons à tirer de cet attentat :
Le danger d’une culture de la haine promue par un État, comme celui qui est dirigé par Ahmadinejad, à « l’antisémitisme toxique » ndlr ou une Autorité, comme l’Autorité palestinienne ... ]
Le danger de l’indifférence et de l’inaction, ce qui est « un crime » quand « des génocides sont évitables mais rien n’est fait... »
Le danger de l’impunité. D’où l’importance de savoir que les terroristes ne trouveront jamais de sanctuaire dans les démocraties
Le danger de l’antisémitisme, alors qu’il y a une «  pandémie de l’antisémitisme  » dénoncée par Elie Wiesel et contre laquelle entend lutter la Coalition inter-parlementaire qui a vu le jour en 2009 à Londres
Le danger du terrorisme contre les Juifs. Un terrorisme antisémite qui a fait plus de victimes que le 11 septembre
Le danger de la complicité des élites et de la trahison des clercs
Le danger de la vulnérabilité des plus faibles et des plus repérables.



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