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La Cour Internationale a dépassé les limites de son rôle
par le professeur David Ruzié *
Article mis en ligne le 11 juillet 2004
dernière modification le 12 juillet 2004

Il est généralement admis que le rôle d’une juridiction est - comme l’étymologie du mot l’indique - de « dire le droit » (jurisdictio) et non de le créer, sauf en contribuant, par des précédents, à la formation d’une règle coutumière.

Or, c’est pourtant ce qu’a fait la Cour internationale de justice, en émettant, le 9 juillet, l’avis que lui avait demandé l’Assemblée générale des Nations Unies, à propos des « Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le Territoire palestinien occupé ».

A une écrasante majorité (14 voix contre une), elle a considéré que la construction du « mur » était illégale, qu’Israël devait le démanteler et qu’il devait indemniser les Palestiniens, qui auraient été victimes de cette initiative. Rappelons, si besoin était, que la majeure partie de la « barrière de sécurité » sera, de fait, constituée par des réseaux de barbelés dotés d’éléments de détection électronique, mais que l’appellation de « mur » a été volontairement adoptée pour faire un rapprochement (indécent) avec de fâcheux souvenirs, tel le « mur de Berlin ».

Seul, le juge Buergenthal a formulé, ce qui constitue une « opinion dissidente » et on lira, par ailleurs sur ce site, le texte de sa « déclaration ». Il est vrai que six juges ont éprouvé le besoin d’émettre une « opinion individuelle », témoignant de certaines divergences sur la motivation retenue, mais non sur le dispositif de l’avis, condamnant Israël (à l’exception du juge néerlandais qui lui non plus n’était pas d’accord pour que la Cour aille jusqu’à inviter tous les Etats « à ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette construction »).

Une fois encore, la Cour a fait preuve d’une jurisprudence politique. Cela lui était déjà arrivé, à différentes reprises dans le passé, aussi bien dans sa fonction consultative (affaire de la Namibie, 1971) que dans des affaires contentieuses (affaire des essais nucléaires français, 1974 et affaire des activités militaires au Nicaragua, 1984).

Il n’est peut-être pas inutile de relever que 11 des 14 juges de la majorité étaient, avant, d’être élus à la Cour, membres de l’appareil d’Etat, dans leur pays (anciens ministres des affaires étrangères, représentants aux Nations Unies ou la majorité, d’entre eux, directeurs des affaires juridiques au Ministère des affaires étrangères).

Objectivement, la Cour n’aurait pas dû se déclarer compétente, car la question qui lui était posée n’était pas juridique, puisqu’elle supposait résolue, au préalable, la nature juridique du territoire sur lequel était édifié le « mur ».

Malheureusement aucun des Etats, relativement nombreux - une trentaine dont Israël - qui soutenaient ce point de vue n’ont, semble-t-il, avancé le bon argument.

En effet, on ne pouvait pas de façon aussi simpliste que l’a fait la Cour, en quelques lignes (§ 78 de l’avis, qui en comporte 163, couvrant 64 pages, mais seulement une cinquantaine développant le raisonnement de la Cour) considérer qu’Israël était puissance occupante au delà de la « Ligne verte ».

Même Israël, dans son long mémoire de 96 pages visant à contester la compétence de la Cour, n’a pas évoqué la situation exacte des « Territoires ». Peuvent-ils être considérés comme « occupés » au sens du droit international, alors que jusqu’à présent ils n’appartiennent à aucun autre Etat (depuis qu’en 1919 ils ont été retirés à l’Empire ottoman pour être placés sous mandat de la Grande Bretagne et être « abandonnés » en 1948) ?

Certes, la Cour rappelle (§72) que le Conseil de sécurité avait, par une résolution du 16 novembre 1948, invité les Parties à conclure « un armistice stipulant notamment : a) le tracé des lignes de démarcation permanente que les forces armées des parties en présence ne devront pas franchir … » (souligné par nous).

Et, de fait, entre février et juillet 1949, Israël signait avec les quatre Etats arabes voisins (Egypte, Liban, Jordanie, Syrie) des accords d’armistice, pratiquement, rédigés sur le même modèle.

Et la Cour cite, d’ailleurs, les articles V et VI de la convention signée avec la Jordanie, selon lesquels « La ligne définie……était acceptée par les parties sans préjudice de règlements territoriaux ultérieurs, du tracé des frontières ou des revendications de chacune des parties à ce sujet » et que les dispositions de la convention d’armistice ne seraient pas interprétées « comme préjugeant en aucune façon un règlement….définitif entre les parties » (passages soulignés par nous).

Mais, la Cour aurait également dû, comme elle le fait d’habitude prendre en considération la pratique ultérieure des Parties. Or, le 31 mai 1967, à la veille de la guerre de 6 jours, qui allait conduire à la qualification ultérieure de cette ligne de démarcation de « Ligne verte » (du fait de la couleur utilisée pour la dessiner sur les cartes), le représentant de la Jordanie au Conseil de sécurité, rappelant la disposition précitée s’exclamait : « I know of no territories ; I know of no boundary » (Je ne connais pas de territoires ; je ne connais pas de frontières).

C’est donc tout naturellement que dans sa résolution 242 du 22 novembre 1967, encore rappelée, récemment, par le président Bush dans sa réponse à Ariel Sharon, lors de la présentation du plan de désengagement israélien, que le Conseil de sécurité a appelé à des « frontières sûres et reconnues  » (souligné par nous), ce qui suppose des négociations. Et le Premier ministre israélien avait bien précisé que « la clôture est une sécurité plus qu’une barrière politique, temporaire plutôt que permanente et c’est pourquoi elle ne portera pas préjudice à un quelconque statut final, qui comprendra des frontières définitives » (c’est nous qui traduisons).

La Cour note également que dans le traité de paix conclu avec la Jordanie, en 1994, est mentionné « le territoire passé sous contrôle du gouvernement militaire israélien en 1967 » et que la ligne ainsi tracée est « la frontière administrative » avec la Jordanie.

Or, mécaniquement, la Cour a considéré qu’Israël n’avait pas le droit de prendre des dispositions au delà de la ligne d’armistice, qualifiant de « palestinien » ce territoire et préjugeant en quelque sorte des limites de la « Palestine » qu’elle désigne, d’ailleurs, comme telle (§91). Elle évoque, en effet, d’autre part, « certaines parties de l’ouvrage en, cours de construction….sur le territoire même d’Israël » et dont elle ne s’occupe pas.

Certes, la convention d’armistice disposait qu’ « aucun des éléments des forces militaires et paramilitaires …de l’une ou l’autre partie…ne franchirait, pour quelque motif que ce soit, la ligne de démarcation » (en l’occurrence il s’agissait de viser les forces armées israéliennes et jordaniennes et non les futurs terroristes palestiniens). Mais, précisément, cette formule ne fait, normalement, pas obstacle à l’exercice du droit de légitime défense, dont se prévalait, précisément, Israël.

Tel n’a pas été le point de vue de la Cour.

Elle met sur le même plan l’interdiction du recours à la force, stipulée par la Charte des Nations Unies (qui, implicitement, crée des obligations pour Israël) et le droit des peuples à disposer d’eux mêmes, dont peut se prévaloir le peuple palestinien.

De même elle ne manque pas de relever que la Cour suprême d’Israël a reconnu, dans un arrêt du 30 mai 2004, l’applicabilité de la Convention de La Haye sur les lois et coutumes de la guerre sur terre de 1907 et de la IVème convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre de 1949. Mais, elle n’évoque pas l’arrêt, non moins significatif, du 30 juin 2004 que nous avons commenté sur ce site, il y a quelques jours.

La Cour se complaît à mélanger le statut de Jérusalem, qu’effectivement, Israël a décidé d’annexer et le reste des Territoires. Pratiquement elle n’accorde aucun crédit aux déclarations officielles concernant le caractère temporaire de la barrière (les fanfaronnades de certains israéliens, clercs ou laïcs n’engagent pourtant pas l’Etat d’Israël). Elle estime que la construction du mur créée un « fait accompli » qui pourrait fort bien devenir permanent. Elle fait, ainsi, preuve soit d’une parfaite mauvaise foi ou d’une inculture criante (rappelons-nous le « mur de Berlin » et le « rideau de fer »….).

Alors que la question n’était en rien concernée par l’édification du « mur », la Cour croit devoir également aborder les règles applicables en cas d’arrestation et de détention, estimant applicables les dispositions du droit humanitaire (mais ici, encore sans évoquer les nombreux arrêts de la Cour suprême d’Israël en ce sens).

De même, est évoqué l’accès aux Lieux saints qui, en principe, n’est pas davantage concerné par la construction de la barrière, dès lors que des points de passage sont prévus. Mais, il est vrai que les juges ignorent les mesures de sécurité que les Israéliens doivent prendre pour faire face aux actions terroristes. Se comportant en « petits boutiquiers » ils relèvent que les « portes d’accès sont dans certains secteurs en nombre réduit et que leurs horaires d’ouverture paraissent limités et appliqués de manière irrégulière ».

Tout en reconnaissant que les dispositions du droit humanitaire permettent la prise en considération d’impératifs militaires, la Cour « au vu du dossier » n’estime pas que certaines destructions « aient été rendues absolument nécessaires par des opérations militaires » (les juges préfèreraient sans doute qu’Israël applique la peine de mort, qui est toujours, théoriquement, en vigueur dans les Territoires, relevant encore partiellement du droit datant du régime du Mandat britannique…).

Les lecteurs de ce commentaire voudront bien nous en pardonner la longueur, mais son auteur doit, quand même, encore, signaler qu’à la fin de son long et implacable réquisitoire contre Israël, la Cour déclare, dans le §141 : « Reste qu’Israël doit faire face à des actes de violence indiscriminés, nombreux et meurtriers, visant sa population civile. Il a le droit, et même le devoir, d’y répondre en vue de protéger la vie de ses citoyens. Les mesures prises n’en doivent pas moins demeurer conformes au droit international applicable ».

C’est un peu court, ne trouvez-vous pas ?


  • David Ruzié est professeur émérite des universités, spécialiste de droit international


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