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Sur l’affaire Siné
Richard PRASQUIER | Président du CRIF
Article mis en ligne le 7 septembre 2008

Dans la torpeur estivale, le petit monde de la presse a été soulevé par une vague d’agitation probablement fugace, mais générant articles, pétitions, prises de position extrêmes. Je veux parler de l’affaire Siné. Le vieil humoriste au ras des pâquerettes, plus ou moins oublié est-il devenu une des consciences morales de ce pays, le nouvel héraut de la liberté d’expression ? On le croirait à la profusion de manifestations de soutien qu’il a reçues. A l’Audimat « on line » il écrase Philippe Val, pourtant soutenu par quelques plumes prestigieuses.

C’est là un des aspects les plus inquiétants de cette polémique. Car sur le fond, il « n’y a pas photo ». Siné a publié dans Charlie Hebdo un texte mensonger (Jean Sarkozy ne veut pas se convertir au judaïsme) et antisémite : être juif permet « d’aller loin » : autrement dit, le vrai pouvoir est entre leur mains. Lorsque Le Pen a dit quelque chose d’approchant, la levée de boucliers avait été générale. Mais Siné n’est pas Le Pen. Il a son estampille de progressiste, acquise une fois pour toutes pendant la guerre d’Algérie. Il a son aura de libertaire contre tous les pouvoirs temporels ou religieux (ce qui aujourd’hui en France n’oblige pas à se confronter à une dictature impitoyable ou aux risques du bûcher !) et enfin, il attaque un Sarkozy. Cela est plus que suffisant......

Ce sont ces affinités qui ont poussé de nombreux pétitionnaires à appuyer Siné : pour ceux mêmes qui reconnaissent qu’il a un peu dépassé les bornes (mais c’est son métier, n’est-ce-pas, il n’a jamais fait dans la dentelle, il avait peut-être un peu bu, et puis à son âge....), l’analyse des faits s’estompe devant la solidarité qu’on doit au compagnon d’une cause commune. Cette cause, pour certains la nostalgie des illusions de leur jeunesse, c’est le politiquement correct qui fait dans notre pays qu’il sera toujours mieux vu d’avoir tort avec Sartre que d’avoir raison avec Aron. C’est la même cécité volontaire qui a sous-tendu la pétition lancée pour soutenir Charles Enderlin en critiquant un arrêt de la cour d’appel, que les signataires ont signée sans connaître les faits tout simplement parce qu’on ne laisse pas tomber un ami qui pense bien. Car depuis 1830, 1848, 1871, 1968 notre imaginaire reste celui de la confrontation des barricades où la raison n’a pas cours.

Siné se veut antisioniste, mais s’est livré dans le passé à des déclarations antisémites d’une extraordinaire violence. Avait-il confondu antisionisme et antisémitisme, preuve que la frontière entre les deux est bien difficile à tracer ou son antisionisme sert-il de paravent à son antisémitisme, comme le suggère son article dans Charlie Hebdo ? Les mots ont un sens et certes l’antisionisme n’est pas l’antisémitisme, mais ils ont aussi et surtout un usage, lequel exprime et forge aussi une conception du monde : ici la confusion s’est installée.

Des libertaires antisémites, il y en a eu beaucoup, depuis Toussenel et Proudhon au XIXe siècle. Mettant au goût du capitalisme en expansion mondiale les clichés médiévaux de l’argent juif corrupteur, ils ont largement contribué à la propagation d’un des mythes antisémites les plus destructifs, car parmi les plus fédérateurs d’idéologies contradictoires. Etre libertaire n’empêche certainement pas d’être antisémite.

« Ouvrez les écoutilles, on n’arrive plus à respirer dans ce pays ! » écrivent certains défenseurs de Siné, suggérant que la censure est insupportable en France : on pourrait leur conseiller de voir ce qu’il en est ailleurs dans le monde. Il est vrai que notre démocratie a mis des garde-fous à la liberté non pas d’opinion, mais d’expression publique de cette opinion. Je suis de ceux qui pensent que notre attirail législatif a du bon. Ce qu’il récuse, ce sont les amalgames qui attribuent à un ensemble identifié d’individus des caractéristiques particulières, péjoratives évidemment. En disant : les Juifs, les Arabes, les Noirs, les femmes ou les homosexuels, le terme important c’est « les ». Le « les » de généralisation est haïssable.

Il est un succédané de pensée. Il oblitère la réflexion. Il pousse à l’imbécile contentement de soi et au mépris de l’autre. Il peut tuer et en ce qui concerne les stéréotypes sur les juifs, il a beaucoup tué. La liberté d’expression permet d’attaquer des idées, philosophiques, scientifiques, artistiques, politiques ou religieuses (cette dernière liberté étant d’ailleurs très en danger actuellement dans nos propres sociétés), voire des individus à raison de leurs actions, mais pas des groupes prétendument essentialisés.

Cette affaire Siné serait passée inaperçue, si l’intéressé avait fait des excuses, comme il s’y était engagé. Mais il s’est posé en victime et le directeur de Charlie Hebdo a été couvert d’injures. Philippe Val, qui a continuellement lutté, souvent à contre-courant, contre l’antisémitisme et le racisme s’est conduit, dans cette affaire comme dans d’autres, avec beaucoup de courage intellectuel. Il a mon admiration.



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