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Pétition des intellectuels pour la démocratisation et la réforme en Syrie
MEMRI
Article mis en ligne le 2 mars 2004

Début février 2004, sept cent intellectuels syriens ont signé et fait circuler une pétition sur Internet dans le but de rassembler un million de signatures pour les transmettre aux autorités syriennes le 8 mars 2004 - date anniversaire de la montée du parti Baath au pouvoir. La pétition (voir annexe) appelle, entre autres, à abolir les lois de l’état d’urgence, appliquées depuis 40 ans en Syrie, à libérer les prisonniers politiques et à autoriser le retour des Syriens en exil. S’il est vrai que la presse officielle syrienne a à peine mentionné l’existence d’une telle pétition, certains auteurs syriens lui ont manifesté leur soutien dans la presse arabe étrangère.

Voici des extraits de deux articles de la presse arabe étrangère et d’un article de presse syrien :

La plus importante pétition syrienne jusqu’à ce jour

Le journaliste syrien Shaaban Abboud évoque dans le quotidien koweïtien Al-Rai Al-Aam la résistance au changement rencontrée au sein du parti Baath : " Il n’est pas surprenant que chaque jour, le nombre de signatures d’écrivains et d’intellectuels syriens augmente au bas de cette pétition qui appelle à mettre fin à l’état d’urgence imposé à la Syrie en 1963, et réclame d’autres droits démocratiques ; les citoyens ont perdu patience face à la lenteur des réformes promises. Il s’agit là de la plus importante pétition [jusqu’à ce jour], le nombre de signatures atteignant probablement plusieurs milliers. Aujourd’hui, la confusion, l’inquiétude et l’appréhension dominent parmi les citoyens syriens, [à un point] que l’on n’a pas connu depuis des années.

Il est vrai que les changements consécutifs à l’occupation américaine [de l’Irak] dans la région ont contribué à cet état de fait, mais le désespoir face [à l’absence d’une] véritable réforme intérieure, les conditions de vie plus difficiles et les problèmes de corruption, de chômage et de retard dans l’éducation, ainsi que l’absence de transparence dans les affaires judiciaires contribuent plus fortement encore à la détresse du citoyen syrien.

Aujourd’hui, le débat au sein des cercles culturels et sociaux évolue avec la même lenteur, et la même question ne cesse de se poser (…) L’Etat et tous ses citoyens semblent être assis autour d’une même table à tourner en rond, pris dans le même débat stérile - tel un tunnel sans fin, long et obscur. « Aujourd’hui, la corruption a lieu au grand jour, à grande échelle, sans honte ni crainte  » Il semble que cette confusion trouve son origine dans la régression consécutive aux slogans de réforme. Toutes ces belles promesses de lutte contre la corruption, de développement de l’éducation, de mesures pour assurer l’indépendance du système judiciaire, combattre le chômage, améliorer le niveau de vie, alléger la bureaucratie, développer le parti et favoriser la situation politique, n’ont mené à rien. La corruption des dispositifs gouvernementaux s’accentue de jour en jour, au point d’avoir lieu au grand jour, à grande échelle, sans honte ni crainte.

Si cette régression intérieure, après tant de promesses, a été un facteur de désespoir et de confusion parmi les Syriens, les changements politiques et régionaux d’hier et d’aujourd’hui sont la principale cause de cette inquiétude et de cette appréhension.

(…) Dans les hautes sphères du parti Baath, le débat est ouvert, dans le but de développer et de faire progresser le parti (…) Ces discussions (…) reflètent les préoccupations du parti depuis la chute de son autre branche [en Irak], suite à l’invasion américaine. Elles reflètent aussi la façon dont le parti Baath se rattache au pouvoir et s’oppose aux changements régionaux et internationaux apparus depuis l’effondrement de l’Union soviétique (…) "


Les grands moments historiques n’ont rien représenté pour le parti Baath

" Les grands moments historiques n’ont eu aucune signification pour les penseurs du parti Baath et ses dirigeants. Il a fallu l’occupation américaine en Irak, la destitution du parti Baath irakien, la menace d’une attaque militaire contre la Syrie et un changement de régime pour que soit ressentie la nécessité de changement. La crainte de perdre ses privilèges est ce qui motive actuellement les considérations de développement et de renouveau, plus que la lecture de l’histoire (…) Il ne faut pas s’attendre à ce que le parti Baath syrien prenne des décisions historiques, vu l’étendue de la corruption chez ses membres, l’absence de groupe de réflexion sur la réforme - et de centres de pouvoir susceptibles d’appliquer ses plans (…)

Toutes ces données montrent bien que le fanatisme idéologique des membres du parti Baath n’est plus qu’un souvenir. Le véritable noyau, authentique et emprunt de foi, des fondateurs du parti Baath, s’est disloqué avec le butin du régime et la corruption. Certains ont choisi de démissionner ou d’adhérer à un autre parti, tandis que d’autres ont émigré, que ce soit ou non de leur plein gré.

Parmi les 1.5 millions de membres du parti, plusieurs l’ont rejoint pour des raisons autres que l’idéologie, la foi en l’unité [arabe], la liberté et le socialisme. Tous ceux qui vivent en Syrie savent que des centaines de milliers de personnes ont adhéré au parti pour trouver du travail, fuir un danger, ou pour des considérations d’ordre personnel. C’est pourquoi si peu de responsables baasistes comprennent l’importance du changement et du renouveau, pour ne rien dire du reste du spectre politique et social en Syrie - en effet, le nom du parti Baath et de certains de ses responsables est lié à la corruption, à la bureaucratie, au tort causé à la liberté politique [des citoyens syriens] (…)

Aujourd’hui, les responsables du parti Baath sont pour la plupart des officiels connus surtout pour leur loyauté au régime [existant] et pour le défendre en temps durs, plutôt que pour l’intérêt qu’ils portent aux idées et à l’idéologie. Tout changement de la vie politique syrienne qui n’engendrerait pas un renouveau de la vie du parti sur des bases démocratiques et ne permettrait pas à toutes les forces de s’exprimer et d’améliorer la situation du parti - sans conditions ni limitations - ne pourra se solder que par un échec (…) " (1)

La meilleure façon pour la Syrie de faire face aux défis est de s’ouvrir à la société civile et aux droits civils.

Mohammed Ali Al-Atassi, (2) activiste du mouvement de la Société civile syrienne, publie dans le quotidien libanais Al-Nahar un article sur l’importance de la réforme démocratique : " Le fait que les exigences démocratiques de la société syrienne n’aient pas beaucoup évolué au cours des quatre ans de règne de Bashar Al-Assad prouve la justesse de ces demandes et la nécessité, aujourd’hui plus que jamais, d’exercer des pressions pour y accéder, vu la stagnation du régime actuel et l’impact des derniers développements régionaux et internationaux.

Les attentats du 11 septembre, la guerre contre le terrorisme, l’occupation de l’Irak, les bombardements israéliens de la banlieue de Damas, (3) les menaces américaines et israéliennes adressées à la Syrie et au Liban, le Syria Accountability Act et l’ajout de la démocratisation des régimes arabes au programme du gouvernement américain, ne permettent pas de douter du fait que la meilleure façon pour la Syrie de relever les défis est d’ouvrir son régime politique à la société civile, d’accorder des libertés fondamentales aux citoyens et de permettre à son voisin libanais de se libérer de son rôle de garde et de satellite, pour le bien de deux pays et de deux peuples, au profit de la Syrie comme du Liban [référence à un retrait syrien du Liban]. « La nécessité d’un nouveau langage d’opposition politique pratique se fait sentir avec force  » Toutefois, le fait d’expliciter les exigences démocratiques et de les réitérer dans des communiqués, des pétitions et des articles de presse n’a rien changé. Le régime syrien n’a pas réagi de façon positive, faisant en sorte d’ignorer les voix honnêtes provenant de toutes parts, qui l’appelaient à lancer un processus de réforme politique avant qu’il ne soit trop tard.

Nous sommes aujourd’hui pris dans un dialogue de sourds. Le rôle des communiqués et des pétitions est révolu depuis longtemps, et il existe un besoin urgent d’un nouveau langage et d’une opposition politique plus pragmatique (…), capable d’obtenir des concessions réelles de la part du régime (…) Pendant quelque temps, ces communiqués ont contribué à repousser l’obstacle de la peur dans la société et à replacer la réforme démocratique au sommet des priorités de l’opposition (…)

Ceux qui connaissent l’arène syrienne savent qu’il est impossible de récolter 100 000 signatures au bas d’une pétition appelant à la réforme politique. Comment peut-on donc attendre un million de signatures [en référence à l’actuelle pétition] ? Je ne dis pas qu’il n’existe pas un million de partisans de la démocratie dans la société syrienne ; je dis que la police d’Etat continue de jouer son rôle en Syrie et qu’elle continue d’étrangler la société avec ses mesures de sécurité, que la plupart des personnes continuent d’afficher des sentiments contraires à ceux qu’ils ressentent, surtout quand il s’agit des intérêts économiques des privilégiés du régime.

Briser ce cercle vicieux basé sur un équilibre entre horreur et répression, et encourager les citoyens à sortir du silence et de la peur, exige beaucoup plus qu’une politique de ’communiqués’. C’est le plus grand défi auquel doivent faire face les forces politiques qui aspirent à être actives dans la société syrienne. Chaque étape franchie par le régime syrien pour relâcher l’étreinte [des services de] sécurité sur la société sera au bout du compte favorable au mouvement démocratique syrien. " (4)

Un membre de la Rédaction de Techrine  : l’état d’urgence nuit à la réputation de la Syrie à l’étranger et à la stabilité du régime

Hassan Youssef, membre de la rédaction du quotidien gouvernemental syrien Techrine , évoque dans le journal la pétition et l’état de répression qui règne dans les pays arabes, y compris en Syrie. En réponse à la lettre anonyme d’un lecteur, Youssef écrit qu’il a autrefois signé des pétitions du même type, et n’a pu signer celle-ci pour la simple raison qu’il n’en avait pas entendu parler. Il précise : " Il est de votre droit de vous tenir dans l’ombre et de vous cacher derrière un pseudonyme. Personnellement, je respecte tous les droits du citoyen, y compris celui-là, mais je suis certain que les gens se cachent (…) parce qu’ils ont peur.

Il faut reconnaître que les activités des différents dispositifs des régimes arabes ont donné au citoyen ordinaire de bonnes raisons d’avoir peur (…) Nous avons entendu parler de plusieurs personnes ayant eu à souffrir de leur ouverture d’esprit, souffrances qui sont aujourd’hui encore possibles.

Mais tandis que vous vous tenez reclus dans l’ombre, vous n’avez pas le droit d’exiger que je me tienne dans la lumière, que j’expose mon âme et vous révèle mes rêves et mes aspirations. Rien ne me prouve que vous n’êtes pas un sniper qui me demande de me tenir en plein jour pour mieux viser mon cœur ! Je réponds néanmoins à votre requête (…), vu que j’ai décidé, voilà longtemps, que ma vérité serait la même dans l’obscurité que dans la lumière.

Vous demandez pourquoi je n’ai pas signé la pétition appelant à l’abolition de l’actuel état d’urgence. Mon opinion est que cet état d’urgence nuit à la réputation de notre pays à l’étranger sans pour autant contribuer à la stabilité du régime.

Je n’ai pas signé la pétition car elle n’est jamais arrivée jusqu’à moi et que je n’en avais jamais entendu parler. J’ai par le passé signé un certain nombre de pétitions et de communiqués [au contenu] plus général, mais voilà longtemps que j’ai compris que le journaliste est, pour reprendre l’expression d’Albert Camus, ’l’historien du moment’, et que la tâche de l’écrivain et de toucher la conscience du lecteur afin qu’il puisse exécuter le changement.

L’écrivain se doit non seulement d’être exact dans ses propos, mais porte en outre la responsabilité de l’influence de ses articles sur la société (…) Nos médias abordent encore les questions problématiques comme un enfant aborderait un tigre, en se voilant la face et en disant : ’Je ne suis pas là’. Il ne reste plus au tigre qu’à en faire une bouchée (…) " (5)


Annexe : la pétition

" Cette pétition a été publiée dans le quotidien libanais Al-Nahar , le 10 février 2004. En voici une traduction :

Le 8 mars 1963, le Conseil des dirigeants révolutionnaires a déclaré l’état d’urgence en Syrie. Bien que 41 ans se soient écoulés depuis cette date, l’Etat ploie encore sous le joug des lois d’urgence, lesquelles affectent tous les domaines de la vie sociale et de celle des citoyens du pays. En conséquence, la société vit assiégée, son évolution est entravée, son potentiel endommagé, et des milliers de citoyens sont jetés en prison à cause de ce qu’ils pensent, de leurs opinions politiques ou de délits qui n’en sont pas vraiment.

Les ramifications de cette loi d’urgence (les lois militaires et les tribunaux spéciaux) ont engendré des lois militaires spéciales, qui dépendent en grande partie de l’humeur de ceux chargés de les faire appliquer.

Nous, les soussignés, demandons aux autorités syriennes d’annuler l’état d’urgence et d’abolir ses ramifications et effets (légaux, politiques et économiques) par :


L’abolition des lois militaires et de toutes les lois d’urgence
La cessation des arrestations arbitraires
La libération de tous les prisonniers politiques et de conscience, en dédommageant les parties lésées
Le ré-examen des cas de révocation de la citoyenneté (pour raisons politiques)
Le retour des exilés à leur patrie, avec des garanties légales
L’ouverture du dossier des disparus, la vérité sur leur sort, la régularisation de leur statut et l’octroi de dédommagements à leurs proches
L’octroi de la liberté démocratique, dont le droit de créer des partis [politiques] et des associations civiles. "

[1] <http://www.memri.org/bin/#_ednref1> Al-Rai Al Aam (Jordanie), le 12 février 2004.

[2] <http://www.memri.org/bin/#_ednref2> Al-Atassi a fondé l’Institut Al-Atassi, à Damas. Dans une interview accordée en novembre 2003 au New York Times, le président syrien Bashar Al-Assad a cité l’Institut pour illustrer l’existence du pluralisme politique en Syrie. Voir la Dépêche Spéciale n° 638 de MEMRI sur le double langage de Bashar Assad.

[3] <http://www.memri.org/bin/#_ednref3> En référence au bombardement par Israël du camp d’entraînement du djihad islamique d’Ein Al-Sahab, à proximité de Damas, le 4 octobre 2003.

[4] <http://www.memri.org/bin/#_ednref4> Al-Nahar (Liban), le 12 février 2004.

[5] <http://www.memri.org/bin/#_ednref5> Techrine (Syrie), le 18 février 2004.

L’Institut de Recherche Médiatique du Moyen-Orient (MEMRI) est une organisation indépendante à but non lucratif qui traduit et analyse les médias du Moyen-Orient. Des copies des articles et autres documents cités, ainsi que toute information d’ordre général, sont disponibles sur simple demande.

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