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Ma réaction à la lettre de Charles Enderlin
Par Nahoum Shahaf © Metula News Agency
Article mis en ligne le 6 décembre 2004

Suite à la publication de la lettre de Charles Enderlin dans le Monde du 23 novembre, le physicien israélien Nahoum Shahaf a demandé à la direction du quotidien parisien, cinq jours plus tard, à bénéficier à son tour d’un droit de réponse, puisqu’il était implicitement mis en cause par le correspondant de France 2 à Jérusalem.

http://www.menapress.com/search.php?query=&topic=129

Avant-propos :

Shahaf, dans son message à Jean-Marie Colombani, affirmait, de plus, ce qui m’apparaît comme un axiome de la confrontation des thèses, lors d’un différend ayant lieu dans un espace authentiquement démocratique, à savoir « qu’il se souciait de l’intérêt du public à connaître des informations qui sont contenues dans sa réaction et sans lesquelles il ne pourra certes pas se forger une opinion équilibrée, en connaissance des points de vues des deux partis qui s’opposent sur cette dispute. »

Le Monde est-il toujours entravé par les oukases du trotskisme culturel ? Toujours est-il que les lecteurs de ce journal ont été privés de la possibilité de prendre connaissance des arguments - pourtant énoncés dans un style fort civil - du chef de la commission d’enquête sur l’Affaire A-Dura. Jean-Marie Colombani poussant le dédain jusqu’à se passer de répondre à Nahum Shahaf afin de lui signifier les raisons de son choix.

Le physicien s’étant ouvert de ces choses à nos oreilles, c’est avec plaisir que nous diffusons ce jour sur la Ména l’intervention qui était destinée à tout Le Monde.

Le rédacteur en chef

Ma réaction à la lettre de Charles

par Nahoum Shahaf

Dans son commentaire paru dans la livraison du Monde du 23 courant, Charles Enderlin, le correspondant de France 2 à Jérusalem, la chaîne de télévision qui a diffusé les images de Mohamed A-Dura aux quatre coins de la planète, affirme que Tsahal (l’armée israélienne) n’a jamais formé de commission d’enquête afin d’établir les circonstances de la mort du jeune homme. Cette assertion appelle une réaction de ma part, étant celui qui prétend avoir conduit l’enquête de Tsahal.

L’affirmation de Monsieur Enderlin est certes intéressante mais il me semble qu’il ait oublié la conférence de presse du général Samia et du porte-parole de l’armée israélienne, consacrée spécifiquement à cette enquête. Il me semble, en particulier, que Charles Enderlin a oublié qu’il y participait. Il est peut-être temps qu’il recouvre la mémoire, peut-être en se rappelant la dispute qui l’a opposé au conférencier, qui reprochait au correspondant de France 2 de « refuser de transmettre aux enquêteurs tous les documents qu’il tenait en sa possession, faute d’en recevoir l’injonction par l’entremise d’un tribunal ». C’est probablement parmi les images non encore remises que se trouvent les prises « insupportables de l’agonie de l’enfant » ? Il devient de plus en plus difficile, pour ceux qui suivent les péripéties de cette affaire, de comprendre les raisons qui amènent la chaîne française à dissimuler les évidences ainsi que de faire un tri dans le flot des explications contradictoires données par Charles Enderlin, comme on pourra s’en persuader par la suite.

Dans sa dernière intervention dans le Monde, Enderlin admet bien le rôle symbolique des images de Mohamed A-Dura dans l’Intifada palestinienne ; il tient toutefois à préciser que ces images ne constituent pas le ferment de la révolte palestinienne. Le grand reporter du service public devrait cependant savoir, mieux que quiconque d’autre, que son avis n’est pas partagé par le député arabe israélien Ahmed Tibi, soit encore par les diverses organisations des Arabes d’Israël. Dans le film « Le Rêve brisé », issu du travail d’Enderlin lui-même, Tibi affirme en effet : « Nous avons vu les images de l’enfant A-Dura puis nous sommes sortis manifester » (le lendemain matin, 12 morts). Le rôle prépondérant du documentaire de France 2 dans l’origine des « émeutes d’octobre » figure également en bonne place dans les conclusions de la commission d’enquête gouvernementale dirigée par le juge Orr, réunie afin d’extraire les responsabilités de ces événements tragiques. Pour trancher sur la question du rôle du documentaire de France 2 sur l’éclatement de l’Intifada à proprement dit, on devrait consulter le Rapport Mitchell. Ce rapport, rédigé en mai 2001 par un comité euro-américain, conclut que « ce reportage fut l’un des événements qui ont mis le feu à l’Intifada ».

D’après le commentaire de Charles Enderlin, il apparaîtrait également qu’un autre officier israélien, le général, aujourd’hui en réserve, Giora Eiland, aurait reconnu de façon conclusive la responsabilité de Tsahal dans la mort de l’enfant. Il importe à ce sujet de faire preuve de précision : Le général Eiland a confirmé à mon oreille, pas plus tard qu’hier soir, en réponses aux allégations de Charles Enderlin, qu’au moment des faits, il a effectivement cru à l’authenticité des images et ainsi, qu’il a considéré l’éventualité selon laquelle l’enfant aurait pu être atteint par des projectiles israéliens lors d’un échange de tirs. Eiland a considéré cette éventualité mais il ne l’a jamais présentée comme une certitude. C’est exactement le constat de cet état d’âme que le général Eiland avait fait aux représentants de la presse israélienne et étrangère, deux jours après l’événement. Plusieurs mois plus tard, lors d’une conférence qu’il donnait à l’université de Tel Aviv, Giora Eiland était suffisamment honnête pour reconnaître l’inanité de son premier constat précipité. Aujourd’hui, ne citer que ledit constat initial, en le présentant comme un bilan conclusif, tout en taisant les conclusions les plus récentes de la personne citée, voici qui me semble procéder d’une méthode journalistique dont le moins que l’on puisse dire d’elle c’est qu’elle est surprenante.

Charles Enderlin a menacé, dans une lettre adressée au bureau du Premier ministre Sharon, de porter plainte en diffamation contre Monsieur Daniel Seaman, le chef de l’office gouvernemental de presse israélien, ainsi que contre son assistant et porte-parole (d’Ariel Sharon, Ndlr.), le docteur Ra’anan Gissin. Il leur reprochait de soutenir ma version des faits. Désormais, il faut bien considérer cette lettre, selon les dires des intéressés eux-mêmes, comme ayant été porteuse d’une intimidation non réalisée, d’une menace en l’air et Charles Enderlin gagnerait en cohérence à expliquer cet acte manqué.

James Fallows, éditorialiste du périodique américain The Atlantic monthly et lauréat du Prix de la presse américaine en 2003, après avoir disséqué les conclusions de l’enquête a fait part de sa conviction dans un long compte-rendu publié en mai 2003, sous le titre « Qui a tué l’enfant ? » (Who killed the boy ?). Fallows y affirme notamment que « si l’enfant a été tué, il ne l’a certes pas été par des tirs provenant du côté israélien ». Suite à la publication de cet article, j’ai eu l’occasion de rencontrer Charles Enderlin pour une interview contradictoire de la TV israélienne - la chaîne 10, lors de l’émission des journalistes Yaron London et Kirschenbaum - . J’y ai exposé quelques unes des évidences permettant de conclure que le reportage procède d’une mise en scène. Parmi icelles, un enfant « mort » qui change plusieurs fois de postures et surtout, le geste de la « deuxième prise » du caméraman - que tout le monde peut voir en passant le reportage de France 2 au ralenti - qui signifie pour les cameramen de terrain qu’il s’agit de la seconde prise d’une fiction que l’on met en scène.

Enderlin a alors prétendu que mes affirmations étaient « mensongères », ajoutant que des plaintes avaient été déposées en France contre ceux qui exprimaient des affirmations semblables à la mienne. Cette autre remarque qui s’avéra inexacte à l’époque. En réponse à une question de l’animateur, j’ai suggéré publiquement à Charles Enderlin de porter plainte à mon encontre, en temps que source de cette affirmation. La logique voudrait, en effet, qu’une action judiciaire soit intentée contre le responsable des conclusions de l’enquête ; le fait d’intenter une telle action au fond prouverait, à tout le moins, l’assurance de France 2 quant à l’authenticité de l’événement. L’animateur de l’émission, de même que le public, ne parvinrent pas à saisir les raisons qui firent que le reporter français rejeta ma proposition.

Dans un article de la Ména datant d’une semaine, j’ai présenté des images ainsi que des témoignages qui établissent que Jamal (le père) n’a pas été blessé à Netzarim lors de l’incident ayant soi disant coûté la vie à l’enfant et que les plaies sanguinolentes présentées à l’hôpital dataient de la fin de l’Intifada précédente. Par exemple, malgré les déclarations palestiniennes faisant état des 12 balles ayant atteint l’enfant et le père, sur les images en gros plan de France 2, il est impossible de distinguer les multiples traces de sang qui auraient dû se voir sur le bras et la chemise de Jamal ainsi que sur le mur sur lequel ils étaient adossés. Jamal A-Dura a cependant admis, lors de l’une de mes interviews dûment enregistrées, qu’il avait été blessé lors de l’Intifada précédente et qu’il avait été soigné dans l’hôpital israélien de Tel Hashomer. La question, soulevée par le reporter, visant à déterminer si Jamal a été blessé lors de l’Intifada précédente (88-89) par des Palestiniens du fait qu’il se livrait à un trafic de drogue - comme l’affirme l’armée israélienne - ou, comme il l’affirme pour sa part, parce qu’il refusait de transporter des armes, ne me paraît pas prédominante dans la recherche de la vérité. Il est, par contre, difficile de comprendre pourquoi Enderlin fait-il l’impasse sur ce témoignage de Jamal A-Dura, de même que les raisons qui poussent France 2 à diffuser les images des blessures de Jamal, sans préciser la période à laquelle elles lui ont été infligées ?

De toute façon, il importe de se féliciter de la proposition de Jamal A-Dura de se soumettre volontairement à l’examen d’un tribunal objectif, de la même façon que je me propose d’y détailler les éléments obtenus lors de l’enquête. Afin de ne pas faire traîner l’analyse des questions essentielles durant quatre années supplémentaires, il serait sage de considérer sans plus attendre la proposition de Jamal. Il ne reste qu’à espérer que tant Charles Enderlin que le caméraman Talal Abou Rahma seront prêts à se soumettre à l’examen de leur reportage dans un cadre similaire.



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