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La couleur rouge
Par Stéphane Juffa © Metula News Agency
Article mis en ligne le 10 novembre 2005

Amir Peretz : le socialo de Sdérot

Coup de tonnerre dans le ciel politique d’Israël. Vers trois heures ce matin, on apprenait l’élection d’Amir Peretz au poste de chef de file du parti travailliste à l’issue de la consultation nationale des membres de cette formation. Peretz l’a emporté avec 42% des suffrages exprimés, contre 40% au favori des sondages Shimon Pérès et 17% au ministre des Infrastructures nationales, Benjamin Ben Eliezer. C’est d’ailleurs le score élevé obtenu par (Fouad) Ben Eliezer, ponctionnant des électeurs dans la base traditionnelle du parti qu’il partageait avec Pérès, qui a permis le succès d’Amir Peretz.

 

Autant le dire tout de suite, cette élection change tout dans l’horizon politicien de l’Etat hébreu, et ce, pour de nombreuses raisons. Pour les comprendre, on suivra l’hyperbole qu’a dessinée dans l’air le nouveau leader travailliste lors de sa première interview télévisée suivant sa victoire ; elle s’articule sur trois axes : l’économie doit servir l’homme  l’homme doit rechercher la paix  la paix favorise l’économie. Le cercle parfait, en quelque sorte ?

 

Peut-être, mais qui marque un très net coup de barre vers le retour au socialisme classique, avec lequel le parti avait pris ses distances ces dernières années. Certes, Shimon Pérès, le Raymond Poulidor de la politique israélienne, avait qualifié l’orientation économique dictée par le pénultième ministre des Finances du Likoud Benjamin Netannyahou de capitalisme de cochons mais sa remarque était restée sans suite. Le Maarakh, le parti travailliste, avait pris ses habitudes dans la coalition Sharon  dans laquelle il occupe huit ministères sur vingt  et se faisait à l’idée de demeurer la seconde formation du pays, sans trop se fatiguer.

 

Cela faisait effectivement fort longtemps que l’on avait pas vu les socialistes dans la rue, et il n’est pas excessif de parler à leur égard de "gauche caviar", tant le terme seyait à définir leur (in)action. C’est par là qu’a toujours péché Shimon Pérès, sa distance à la rue, son incapacité à se mobiliser pour mobiliser les électeurs.

 

Amir Peretz, c’est tout son contraire. Il est la rue ! Peretz est jusqu’à maintenant le secrétaire national de la très puissante fédération syndicale Histadrouth, une centrale qu’on situerait en France, osons un transfert à des fins explicatives, entre la CGT et la CFDT, et qui ne souffre d’aucune concurrence sérieuse dans le monde du travail.

 

Mais cela n’est pas le seul contraste entre les deux hommes que tout sépare. L’âge : Pérès a quatre-vingt-deux ans, Peretz cinquante-quatre. Les origines : Pérès est né en Pologne et Peretz au Maroc, d’où il a émigré avec ses parents à l’âge de quatre ans. Le milieu : Pérès, Prix Nobel, président d’instituts, habite et fréquente le Nord bourgeois de Tel-Aviv et est un familier estimé de l’environnement des affaires. Peretz quant à lui vient de la petite cité de développement de Sdérot, rendue célèbre par les missiles Qassam que lui envoient ses voisins immédiats de Gaza. Le chef syndicaliste n’a jamais quitté Sdérot, dont il fut maire et où il demeure en famille avec ses quatre enfants.

 

Il est facile d’imaginer que l’irruption de cette wilde khayé (terme yddish à caractère humoristico-raciste jadis utilisé par les Juifs originaires d’Europe pour qualifier leurs coreligionnaires africains et signifiant littéralement animal sauvage) dans le sérail feutré du parti ex-socialiste d’Israël ne fait pas que des heureux. Ce d’autant plus que Peretz a déjà trouvé le temps d’annoncer qu’il allait s’entretenir avec le premier ministre Sharon afin de convenir du démembrement de la coalition ainsi que d’une date pour des élections générales anticipées. Les ministres rose pâle ont été pris de court.

 

Et au niveau national aussi, l’élection de ce socialo du Néguev, voisin géographique du ranch des Sycomores, dynamise tous les enjeux. Alors que le parti travailliste se préparait, résigné, à une défaite honorable sous la conduite de Shimon Pérès lors des prochaines élections prévues dans la première moitié 2006, l’avènement de Peretz fait en sorte que le Maarakh, presque à son corps défendant, possède désormais des chances réelles de revenir aux affaires.

 

Deux raisons simples à cela : l’une tient à la politique de réformes économiques hyper libérale du Likoud ; si elle a sans aucun doute assaini l’économie d’Israël et renforcé la classe moyenne, elle a, tout aussi sûrement, précipité un bon tiers des habitants de ce pays sous, ou à proximité, du seuil de pauvreté. Des centaines de milliers d’Israéliens vivent aujourd’hui dans la misère et ils ont l’impression, à juste raison, que leurs problèmes n’intéressent pas les élites politiques du gouvernement et de la Knesset. Pour cette plèbe, et pour les très nombreux Israéliens que cette incurie exaspère, l’accession d’un syndicaliste aux accents populeux, qui place la question sociale au centre de son programme de gouvernement, à la présidence du Conseil constitue une option tentante. Deuxièmement, Amir Peretz serait le premier premier ministre sépharade d’Israël, et pour beaucoup de Likoudniks fanatiques d’Afrique du Nord, cette vision surpasse dans l’ordre des priorités leur fidélité traditionnelle au parti de Menahem Bégin.

 

On ajoutera à ces considérations le fait que le nouveau candidat socialiste ne fait pas partie de l’oligarchie des politiciens issus de l’armée, comme Sharon, Netannyahou, Rabin, Weizmann, Dayan etc. ni du creuset des anciennes familles dirigeantes de l’époque d’avant l’indépendance, dite du "Foyer national", du Yshouv. Et, pour dire les choses crûment, une grande partie des Israéliens peu éduqués, exclus des milieux d’affaires et peu friqués en ont ras-le-bol d’être continuellement dirigés par des personnes appartenant au même cercle et dont ils sont exclus. Pour risquer un second parallèle avec la France, ce sentiment ressemble à celui qui fait florès dans l’Hexagone à l’égard de la caste des promus des grandes écoles. Quelque part, le peuple ressent que ses oligarques rament d’abord pour leur paroisse, qu’ils se soucient de leurs intérêts et qu’ils manichéisent à dessein le débat politique afin de s’assurer que, alternance ou pas alternance, c’est toujours la même manière de penser et les mêmes "profiteurs" qui restent en place.

 

Ce ras-le-bol est fort répandu en terre sainte, au point, avec les autres facteurs que j’ai brièvement évoqués, de menacer la suprématie d’Ariel Sharon aux prochaines élections générales. Tenez, je m’aventure même à faire une prévision (ce qui en étonnera plus d’un parmi mes amis et mes confrères) : lors d’un duel électoral mettant aux prises Sharon en tant que leader du Likoud et Peretz en tant que chef de file de la Avoda [1], à moins que n’éclate entre-temps un conflit armé majeur dans lequel Israël serait partie prenante, c’est Amir Peretz qui l’emporterait.

 

Croyez bien que j’ai pris en compte, pour aboutir à cette prévision, tous les critères scientifiques à disposition d’un analyste stratégique. Non, je n’ai pas changé de job, je ne suis pas devenu Monsieur Soleil !

 

Est-ce à dire que les dés sont jetés ?

 

- Non ! Il y a encore une variante à intégrer et vous aller voir qu’elle n’est pas négligeable. Ariel Sharon fait actuellement face à une fronde ouverte à l’intérieur de son parti. En dépit de leur défaite au sein du comité central du Likoud, lors de leur tentative de renverser l’homme des Sycomores, les "rebelles", les mordim, sous la conduite de Bibi Netannyahou et d’Uzi Landau ont refusé la semaine dernière de se plier à la discipline de vote du parti, rejetant la nomination de deux des trois nouveaux ministres proposés par Sharon. Du coup, la majorité de la Knesset a refusé la proposition du premier ministre, qui a essuyé un revers non seulement cuisant, mais également annonciateur d’orages au sein du Likoud.

 

Au Likoud où l’on assiste à un schisme de facto comme tous les observateurs l’admettent ; on prêtait de plus en plus sûrement, ces tous derniers jours, à Ariel Sharon l’intention de créer un nouveau parti de centre-droit et de laisser le Likoud aux rebelles, qui seraient immédiatement et de ce fait marqués très à droite sur l’échiquier politique israélien, loin des préoccupations de la majorité écrasante de nos compatriotes.

 

Mais l’élection d’Amir Peretz à l’investiture travailliste menace à son tour l’intégrité du Maarakh. Premier test : les ministres roses accepteront-ils de remettre leurs portefeuilles comme l’exigera l’homme de Sdérot ? Oui pour certains, comme Ophir Pines-Paz, le ministre de l’Intérieur, très attaché à l’image du parti et au choix démocratique de ses membres. Beaucoup moins sûr en ce qui concerne la vieille garde et les péressiens, qui seront tentés, c’est certain, de s’associer à Ariel Sharon dans la fondation de ce qui deviendrait alors un parti commun, dans lequel se rejoindraient les exilés du Likoud et ceux de la Avoda.

 

On obtiendrait ainsi un paysage politique reconstitué, qui refléterait plus adéquatement la réalité des courants, des forces et des alliances dans ce pays. Les extrêmes perdraient des points, de même, dans une moindre mesure, que les formations religieuses et le parti laïc Shinouï, représentant les classes bourgeoises. On se retrouverait avec Peretz à gauche et un parti qui deviendrait probablement social-démocrate, le parti Sharon-Pérès au centre de l’échiquier, sorte de parti républicain, et le New Likoud de Netannyahou et Landau sur l’aile droite.

 

L’issue d’élections entre ces trois courants, pour l’instant virtuels, dépendra du taux de migration vers le parti centriste en provenance du Likoud et des travaillistes. La victoire pour le siège de premier ministre devrait alors se disputer entre Sharon et Peretz et elle serait fort serrée.

 

Je vois d’ici les arguments des uns et des autres… Les travaillistes migrateurs reprocheront à Amir Peretz son absence d’expérience ministérielle et militaire. Peretz jouera sur l’âge de ses contempteurs, leur moindre sens démocratique et la nécessité de changement. Bref, la surprise issue des primaires d’hier nous a injecté une bonne dose d’adrénaline, de quoi animer le débat politique durant les longues veillées de cet hiver, qui, et c’est ma dernière confidence du jour, commençait à lasser.

 

 

 

Notes :

 

[1] Le parti travailliste ou mifleget ha-avoda, parti du travail, ou simplement Avoda, Travail, et encore Maarakh, abréviation formée par ses courants constituants.   

 



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