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Pour combattre et prévenir la radicalisation violente la Justice se mobilise : l’exemple du Tribunal de Grande Instance de Créteil
Hélène Keller-Lind
Article mis en ligne le 11 mars 2015
dernière modification le 13 mars 2015

C’est par des actions menées pour favoriser l’accès au Droit et à la Citoyenneté que se mobilise le Tribunal de Grande Instance de Créteil pour participer à la lutte contre les violences issues de la radicalisation islamiste dont on a vu à nouveau début 2015 à Paris quelles pouvaient être les conséquences. L’action de prévention menée depuis une dizaine d’années en matière d’éveil à la citoyenneté des jeunes est renforcée aujourd’hui avec notamment deux projets adaptés aux périls actuels. Projets qui pourraient s’étendre au niveau national. Le Président du TGI, Gilles Rosati, le Procureur de la République, Nathalie Bécache, la Secrétaire générale du CDAD du Val de Marne, Laurette Verheyde, y travaillent en partenariat avec divers acteurs de la société civile.

Une mobilisation des services de l’État pour mieux connaître le phénomène des dérives islamistes

« À la suite des événements du début d’année » explique Gilles Rosati, Président du Conseil Départemental de l’Accès au Droit – CDAD- du Val de Marne, « le plus urgent au niveau national a été de permettre le travail de renseignement policier mais il y a eu aussi mobilisation des services de l’État pour mieux connaître ce phénomène des dérives islamistes, avec le souci immédiat opérationnel de détection et de protection » mais également celui d’agir « à long terme ». D’ailleurs une réflexion sur ce thème a été organisée par Christiane Taubira, ministre de la Justice, qui met en place un groupe de travail avec des experts comme Gilles Kepel ou Olivier Roy.

Le Conseil Départemental de l’Accès au Droit ne peut agir sur le facteur principal favorisant ces dérives, à savoir Internet, question traitée par ailleurs au niveau gouvernemental, notamment par le ministère de l’Intérieur, ou par des initiatives comme celle du CRIF dont le Président, Roger Cukierman vient de conduire une mission de sensibilisation à Washington, avec, entre autres, une rencontre au Congrès américain, et qui a lancé dans le New York Times un appel aux fournisseurs d’accès basés aux États-Unis où ils sont régis par le Premier Amendement.

Mais la Justice agit et veut agir dans son domaine. Il faut, dit le Président du CDAD du Val de Marne, « investir les lieux de parole, comme l’école », là où « la conscience citoyenne est plus grande », pour avertir « sur les dangers de ces dérives ». Il faut agir aussi auprès des détenus en milieu pénitentiaire, ce qui existe déjà, avec « des démarches individuelles ou plus collectives ; des ateliers juridiques sont organisés dans les classes ; il faut aussi chercher des supports appréciés par les jeunes comme le livret déjà réalisé par le CDAD : ’c’est quoi mes droits ? ’ ». Il faut agir aussi auprès des détenus en milieu pénitentiaire, ce qui est déjà mis en œuvre.

Rappelons que la procédure d’appel dans le kidnapping, les tortures et l’assassinat, à connotation antisémite, d’Ilan Halimi s’est déroulée devant la Cour d’assises du Val de Marne. Dans le même ressort se sont produits d’autres délits garves, également à caractère antisémite, y compris un « viol en réunion », commis contre un jeune couple à la Pointe du Lac à Créteil.

Le Procureur, Nathalie Bécache, insiste aussi sur un aspect assez méconnu de la Justice, à savoir le fait que « le Procureur de la République a de par la loi une mission de prévention de la délinquance et de protection des mineurs », tout en déplorant « le désastre sociétal » constaté en France aujourd’hui. France, dit-elle, « qui produit ses propres terroristes, passés par l’Éducation nationale et, le cas échéant, passés par des éducateurs spécialisés ».

« Dans mon discours de rentrée de janvier 2015 », souligne-t-elle, « je désignais trois fléaux contre lesquels lutter, la pègre, l’ignorance et la radicalisation islamiste. Nos instances de prévention de la délinquance mènent beaucoup d’actions transversales avec les services de prévention et d’insertion depuis trente ans avec plus ou moins de bonheur. Nous avons donc déjà les instruments, faisons un travail plus ciblé sur les dangers constatés depuis dix ans avec les assassinats commis par Mérah, l’assassinat d’Ilan Halimi ou ceux commis par Nemouche ». On note, bien sûr, la jeunesse de ces délinquants.

Un travail à faire, dit-elle, « pour tous les jeunes qui ne s’approprient pas sufisamment les codes communs et les valeurs qui fondent notre contrat social, avec la Directrice d’Académie et le Doyen de la Faculté de droit. Non pas tant avec les élèves qu’avec la communauté éducative, les professeurs, les CPE, les Directeurs d’établissements, afin de leur fournir les fondamentaux juridiques sur les fameuses valeurs de la République autour des principes de laïcité, l’Etat de droit et la liberté d’expression ».

Plusieurs types d’action de prévention et de protection des mineurs renforcées ou envisagées dans le cadre de l’État de Droit

« Il y a des outils à transmettre aux enseignants, des réponses juridiques simples pour répondre aux élèves très demandeurs de clés de compréhension » dit le Procureur. Il faut « faire comprendre que la laïcité est un instrument de respect et de protection des religions », faire comprendre « ce qu’est la liberté d’expression à la française, avec, dans le cadre d’un débat d’idées la possibilité de remarques satiriques outrancières, même choquantes ». Elle livre son « commentaire du jugement de 2007 concernant la publication des caricatures – un procès avait été intenté à Charlie Hebdo qui avait reproduit les caricatures danoises, procès perdu y compris en Cour d’appel- ». « Le juge », dit-elle, « a donné son interprétation au regard de la loi et le conflit a été tranché selon les normes applicables, la Convention européenne des Droits de l’Homme, notre Constitution, la loi française sur la presse et la jurisprudence habituelle de nos tribunaux. Les bornes à la liberté d’expression étant l’injure, la discrimination raciale, la diffamation. Ce qui permet de comprendre la différence irréductible avec le cas Dieudonné, avec son obsession contre les Juifs, qui vise des personnes et non des idées ». Et puis, s’exclame Nathalie Bécache, « nous sommes dans un pays formidable où l’on peut faire appel à un tribunal pour trancher un litige et même faire appel de la décision du tribunal si l’on n’est pas satisfait : c’est cela l’État de Droit ! »

En écho aux problèmes récents rencontrés lors de la minute de silence en hommage aux victimes des attentats terroristes de janvier, instaurée par le ministère de l’Éducation nationale, et des comparaisons avec le conflit israélo-palestinien, Madame le Procureur précise : « que les professeurs doivent être informés également sur les différences qu’il y a entre un génocide, un crime de guerre, des actions terroristes et une guerre de territoires. Là encore le Droit doit être enseigné de façon simple mais rigoureuse aux adultes en proximité d’enfants ».

Le droit de s’insérer dans la société et le devoir d’être des citoyens

La cible des actions du CDAD sont les 12-25 ans qui, « ont le droit de s’insérer dans la société et le devoir d’être des citoyens » rappelle Laurette Verheyde, Secrétaire générale du Conseil Départemental de l’Accès au Droit du Val de Marne. Pour les aider à en prendre conscience le CDAD organise des actions comme un « Forum sur l’accès au Droit et à la Citoyenneté des jeunes du Val de Marne ». « On leur explique leurs droits, ce qu’est un casier judiciaire, on leur fait comprendre quelles répercussions il peut avoir », précise-t-elle. Des brochures élaborées avec l’Académie de Créteil expliquent ces droits et ces devoirs de manière claire. « Il faut bien cibler le public à qui on s’adresse et s’adapter à chaque âge », ajoute Gilles Rosati, Président de ce CDAD.

Le troisième Forum de ce type s’est tenu en mai 2014. Avec la participation de plus de deux-cent- cinquante jeunes. Un Forum riche, avec nombre de tables rondes et la participation de nombreuses associations ou organismes gouvernementaux et des experts, mais dont on peut regretter, qu’il n’ait pas connu un plus grand succès.

Gilles Rosati explique que ce Forum, s’appuyant sur le Code Civil et le Droit pénal, donne « la possibilité d’exercer leur droit » à des jeunes gens « en situation d’injustice ou de discrimination » avec, en parallèle, « un éveil à la citoyenneté et la reconnaissance du fait que ces droits sont accompagnés de devoirs...Des élus, le Préfet, le Procureur de la République, des dirigeants de la fonction publique, des associations, des représentants de professions juridiques y participent ».

Concernant l’enseignement, « des classes assistent à des audiences de correctionnelle, avec tous leurs codes » note Laurette Verheyde. « Ils y voient la réalité, la misère de la délinquance, le gâchis de vie, pour la victime et pour le délinquant », souligne Gilles Rosati. Bien loin d’une certaine glorification de la délinquance parfois vantée par d’aucuns ou présentée dans des films ou à la télévision.

Deux projets phares

Deux projets phares d’action sont en cours d’élaboration. Avec, d’une part, « la formation de professionnels au contact des jeunes de moins de vingt-cinq ans, leur donnant des outils juridiques, expliquant comment les encadrer juridiquement, précisant les enjeux ». Il existe en effet de nombreux exemples où le rappel aux règles de droit peut apporter une réponse sur ce que représente la laïcité, la liberté des cultes, le droit d’expression et la commission d’infractions à caractère raciste ou antisémite. Autre remarque relevée : « il faut changer les mentalités et faire réfléchir le délinquant lorsque les faits commis se ramènent seulement à des propos. Auparavant si une infraction était commise, il y avait toute une gamme de sanctions. Mais pas de stage de citoyenneté. Il y a aujourd’hui un souci de favoriser la prise de conscience, comme avec les stages organisés au Mémorial de la Shoah par le TGI de Paris dans des cas d’infractions à connotation raciste ».

Il y a, d’autre part, le projet d’un Festival de Films prévu pour la fin de l’année en cours d’élaboration. Ce type d’activité existe déjà dans d’autres départements, mais, à la différence de ce qui se fait ailleurs, à Créteil, les projections dans un cinéma local, devant de petits effectifs, seront suivies de débats sur les thèmes en lien avec la prévention des violences à caractère raciste ou antisémite. Un travail sera accompli en coopération avec le Rectorat de Créteil, une préparation devant être faite avec les élèves avant qu’ils n’assistent au Festival. Ce seront des films choisis pour « éveiller les consciences, montrer les dangers de la radicalisation, les conséquences du passage d’un régime démocratique à un régime autoritaire, avec perte de liberté », explique Gilles Rosati. Il donne comme exemple « Les Héritiers », de Marie-Castille Mention-Schaar, qui retrace l’histoire vraie de l’évolution d’une classe, ou « Au revoir les enfants », récit autobiographique de Louis Malle sur la période de la seconde guerre mondiale, « I comme Icare » un film policier d’Henri Verneuil, ou encore des films de Costa-Gravas. Il s’agit, souligne le Président du CDAD, de « prévention à plus long terme ».

Des projets à évaluer et poursuivre mais aussi une question de budget

« L’efficacité de ces projets sera jugée et l’expérience pourra être étendue » précise le Président du TGI.
Ce sont environ 10.000 jeunes qui ont été touchés par ce type d’action du CDAD en 2014. Soit 5265 jeunes qui ont pu être informés grâce au Point d’Accès au Droit des Jeunes et 4874 jeunes qui ont été touchés par le Point d’accès au Droit en milieu scolaire, note Laurette Verheyde. Ce qui, bien sûr, a un coût. Pour l’heure cet organisme dispose d’un budget de quatre cent mille Euros annuels pour ce faire. Y participent le ministère de la Justice, le Conseil Régional, le Conseil Général, il y a aussi une participation des avocats, par le biais de conseils juridiques.
Face à la gravité d’une situation existante, mise brutalement en lumière par les attentats de début janvier, et à l’ampleur de la tâche nécessaire pour lutter contre ces dérives, si le travail réalisé avec cette nouvelle impulsion porte ses fruits, la pérennisation de ces actions sera envisagée.



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