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Une parenthèse sur l’affaire Al Dura lors d’une conférence à Sciences-Po sur la réparation du crime de génocide à l’encontre des Tutsi du Rwanda
Serge Farnel
Article mis en ligne le 18 juin 2008
dernière modification le 20 juin 2008

« Dans le cadre de la 14e commémoration du génocide à l’encontre des Tutsi du Rwanda, un colloque s’est tenu, le 14 juin dernier, à Sciences-po Paris, sur la réparation du crime de génocide. Serge Farnel, spécialiste du Rwanda, s’est, à cette occasion, penché sur la question suivante : « en quoi le déni empêche-t-il la réparation des victimes ? » Farnel a, au cours de son intervention, ouvert une parenthèse pour mettre en perspective la responsabilité des médias du génocide à l’encontre des Tutsi avec celle de la chaîne publique française. » Cette dernière est... accusée d’avoir, en septembre 2000, participé à jeter les Juifs du monde entier en pâture à la vindicte populaire, sur la base du prétendu assassinat volontaire, par des soldats israéliens, d’un enfant palestinien sans défense et ne représentant alors aucun danger. L’occasion pour Serge Farnel de préciser en quoi consiste l’ « accusation en miroir ».


« Le génocide des Tutsi au Rwanda est un cas d’école de la manière dont un média peut faire partie intégrante de la chaîne du crime.

On se souvient que François Léotard, alors ministre de la Défense, avait, au cours d’un déplacement au Rwanda en juin-juillet 1994, décidé de laisser la radio génocidaire RTLM (Radio Télévision Libre des Mille Collines) continuer d’émettre ses appels au génocide à l’encontre des Tutsi depuis la Zone humanitaire sûre mise en place par l’armée française, au prétexte que cela ne faisait pas partie du mandat accordé à la France par les Nations Unies.

Il est possible d’envisager d’exiger réparation de la part d’un média, pour peu que ce dernier ait notamment diffusé des appels aux meurtres à l’encontre d’un groupe humain, ou mis en scène de faux meurtres aux fins de livrer ce dernier en pâture à la vindicte populaire, l’exposant en particulier à la vengeance de ceux à qui le média fait ainsi croire qu’il s’en prend.

Or, si la négation, par le dit média, de ses appels directs au meurtre se heurte à l’existence d’archives publiques, il est plus aisé pour lui de nier sa participation à la réalisation d’une mise en scène destinée à jeter un groupe humain en pâture à la vindicte d’un autre, et de profiter du fait que la charge de la preuve incombe à celui qui l’accuse. Or l’accusateur n’a pas la maîtrise de l’ensemble des documents lui permettant d’effectuer entièrement sa démonstration, et pour cause : ils sont aux mains du média qu’il accuse !

Une autre affaire susceptible d’impliquer la responsabilité d’un média dans l’appel au meurtre d’un groupe humain a, ces derniers jours, défrayé la chronique aux Etats-Unis, où elle vient de faire la première page du Wall Street Journal, qui s’empare aussi de quelques articles de la presse française. Il s’agit de l’affaire de ce jeune Palestinien, du nom de Mohammed Al-Dura, qui nous a été présenté par la chaîne publique française, le 30 septembre 2000, comme étant victime de tirs de soldats israéliens. Dans la version initiale, il s’était même agi d’un acharnement de pas moins de 45 minutes sur ce pauvre enfant. Mais France Télévisions est aujourd’hui montrée du doigt pour avoir éventuellement participé à l’un des plus grand faux audiovisuels de l’histoire, et elle a perdu récemment un procès en diffamation, qu’elle avait intenté sur ce sujet précis. L’affaire n’est donc pas anodine.

S’il peut être abusif de faire des liens là où ils pourraient ne pas avoir lieu d’être, il n’est pas moins absurde de se priver de reconnaître, dans une autre affaire, des similitudes propres à éclairer celle qui nous occupe en l’espèce. Sans même avoir à prendre position sur l’accusation, très polémique, d’une éventuelle mise en scène, il est intéressant de s’attarder quelques minutes sur cette affaire. Et l’importance d’une telle polémique n’échappera certainement pas à ceux qui s’intéressent au génocide des Tutsi du Rwanda.

Il suffit, à cet égard, de se rappeler qu’un procès spécifique, nommé « procès des médias », a été mis en place à Arusha, en Tanzanie, où siège le Tribunal pénal International pour le Rwanda. C’est dire si l’influence des médias a été reconnue comme prépondérante dans la mise en œuvre de l’assassinat collectif à l’encontre des Tutsi du Rwanda.

L’ « accusation en miroir » - comme on l’appelle - fut, en effet, utilisée par la radio RTLM (la radio génocidaire) dans le but d’inciter les Hutu à tuer les Tutsi, qu’elle accusait alors de planifier un génocide à leur encontre. « Tuez-les avant qu’ils ne vous tuent » était le leitmotiv de l’accusation, dont elle entendait convaincre son auditoire, sur la base de déclarations mensongères selon lesquelles les rebelles Tutsi du Front Patriotique Rwandais faisaient des incursions meurtrières visant la population hutu du simple fait de leur appartenance ethnique.

Une situation présente à l’identique dans l’affaire Al-Dura puisque, suite à la diffusion de cette image censée représenter un soi-disant acharnement d’une durée de 45 minutes, de soldats israéliens sur un pauvre enfant sans défense, un Imam de Gaza appela à tuer les Juifs partout dans le monde pour venger Mohammed Al-Dura. Il s’agit donc bien ici, pour peu qu’on ait affaire à une mise en scène, d’une accusation en miroir.

D’ailleurs, il n’est même pas nécessaire d’adhérer à la thèse d’une mise en scène dans l’affaire Al-Dura pour établir la culpabilité - je dis bien la culpabilité, et je pèse mes mots -, de la chaîne publique française. Bien qu’elle n’en ait jamais eu la moindre preuve - ce que sa directrice de l’information, Arlette Chabot, a elle-même reconnu sur une radio le 16 novembre 2004 -, la chaîne publique française n’en a pas moins accusé, à froid et non à chaud, et ce à l’occasion des multiples anniversaires de la scène de la prétendue mort de l’enfant Al-Dura, les soldats israéliens de l’avoir tué. Ceci alors que cette image était à l’origine d’un appel public sur le canal de la chaîne officielle de la télévision de l’Autorité palestinienne, en octobre 2000, incitant ses auditeurs à tuer les Juifs partout dans le monde pour, selon le prêcheur, venger la mort de l’enfant Al-Dura.

Appel entendu par des islamistes pakistanais, qui, dans une vidéo alors accessible sur Internet, montrèrent, sur fond de l’image des Al-Dura, le journaliste américain Daniel Pearl, faisant dire à leur otage qu’il était Juif, puis sa tête déposée sur son corps décapité.

Or, ces derniers jours, une centaine de journalistes français signent, dans Le Nouvel Observateur, une sorte de pétition dans laquelle ils réitèrent explicitement l’accusation à l’encontre des soldats de l’Etat juif [*], dont la directrice de l’information de France 2, a pourtant - je le rappelle - elle-même déclaré qu’elle était dénuée de preuve. Une centaine de journalistes donc, qui, sans la moindre preuve les autorisant à proférer une telle accusation, dont une des conséquences fut tout de même la décapitation de leur confrère Daniel Pearl, au prétexte qu’il était Juif, n’hésitent pas à trahir sans complexe la charte de Munich du journaliste selon laquelle l’accusation sans preuve en est une des fautes les plus graves.

Une pétition qui se base sur un document émanant de France Télévisions, censée prendre la défense de son correspondant permanent en Israël et qui n’est toutefois pas parvenue à obtenir la signature de sa directrice de l’information ? Normal. Elle ne va pas se dédire. Mais bon, voilà qui fait désordre.

Cette affaire Al Dura aura permis de révéler un mécanisme de soutien, dont j’ignore personnellement les motivations de chacun, peut-être corporatistes pour les uns, partisanes dans le conflit du Proche-Orient pour les autres, ce n’est pas à moi d’en juger, mais, en tout cas, dont la motivation n’est absolument pas le respect de la déontologie journalistique. Une réaction qui nous révèle donc un environnement dans lequel nous baignons de fait pour ce qui concerne tous les autres sujets du monde, dont la question du traitement de l’information relativement à l’implication de la France dans le génocide des Tutsi du Rwanda.

Voici, en tout cas, un exemple intéressant pour illustrer en quoi un déni est susceptible de contribuer à empêcher des réparations. Car, dans cette affaire, si l’on parvient à établir qu’un civil israélien est mort dans un attentat exécuté par un kamikaze palestinien, dont la vidéo de propagande indique qu’il l’a commis pour venger Mohammed Al-Dura, France Télévisions sera, de facto, considérée comme ayant incité activement le dit kamikaze, à « légitimer » son geste.

L’ancien ambassadeur d’Israël en France, Elie Barnavi, a récemment suggéré que soit mise en place une commission d’enquête sur cette affaire Al Dura. Ce qui est une bonne chose. Mais en l’état, et du simple fait que France Télévisions a, par la bouche de sa directrice de l’information, avoué que la chaîne publique n’avait jamais eu les preuves lui permettant d’attribuer aux soldats israéliens les tirs qu’aurait essuyé Mohammed Al-Dura, on est en droit de se demander si la famille de Daniel Pearl n’est, dores et déjà, pas en mesure de poursuivre la chaîne publique française pour avoir persévéré à proférer cette accusation sans preuve. Ce serait alors un cas où le déni de l’existence d’une mise en scène n’aurait eu que peu d’influence sur l’exigence de réparations de la part d’un média.



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