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Richard Prasquier : « L’identité juive est une identité volontaire »
Nathalie Blau, article publié dans le Jérusalem Post Edition Française.
Article mis en ligne le 8 octobre 2009

Né à Gdansk en 1945, Richard Prasquier a pris les rennes du CRIF en mai 2007. Engagé de la première heure, l’homme est un boulimique du combat militant à la cause de la communauté juive et d’Israël. Et de jongler entre son métier de cardiologue, ses interventions radiophoniques… Prasquier est sur tous les fronts : pétition pour venir en aide au Darfour, manifestation silencieuse devant l’ambassade israélienne à Paris en hommage aux victimes de roquettes du Hamas, rencontres de l’Amitié judéo-chrétienne.

Ses engagements : la lutte contre l’antisémitisme, la mémoire de la Shoah, le dialogue interreligieux. Son credo : défendre l’image d’Israël. Omniprésent Prasquier ? Certains de ses détracteurs le lui reprochent. Le magazine Marianne l’a ainsi accusé de « mordre et griffer à tort et à travers » ou de « tirer sur tout ce qui bouge ». Références au procès Fofana. Mais dans un droit de réponse paru le 19 septembre dernier par l’hebdomadaire, le président du CRIF revendique son droit, en tant que « citoyen libre dans un pays libre », de « critiquer une décision de justice ». Rencontre avec celui qui refuse qu’on lui intime de taire l’antisémitisme sous prétexte de ne pas le réveiller...

A l’orée de cette nouvelle année, quelle est la situation de la communauté juive française ?

Richard Prasquier : Je serais plus optimiste que d’autres responsables communautaires européens. La communauté juive française est vibrante, vivante, avec un intérêt net pour les choses juives. Ses écoles, ses organisations sont, dans l’ensemble, bien actives. C’est une vision optimiste d’une communauté qui ne se réduit pas, et qui est en contact permanent avec Israël, avec tout de même à moyen terme, certaines inquiétudes à l’horizon.

 

Justement, quelle est votre principale préoccupation en tant que président du CRIF, l’assimilation ou l’antisémitisme ?

Le degré d’assimilation, c’est une constante. A chaque génération, des Juifs quittent leur identité. L’identité juive est une identité volontaire, si on ne veut pas s’identifier comme juif, on ne le fait pas. Ce que je souhaite en tant que président du CRIF, c’est trouver un lieu pour ceux qui veulent quitter leur identité juive car, pour des raisons halakhiques, ils ne trouvent pas une place adéquate à l’intérieur des structures du judaïsme religieux. Il faudrait leur trouver une place d’accueil dans d’autres cadres structurels. Leur identité juive doit être respectée pour ce qu’elle est. C’est l’une des pistes pour lutter contre ce problème d’assimilation. Mais ce problème touche plutôt moins la France que d’autres pays. Nous sommes une communauté relativement importante qui permet assez facilement des rencontres, et où les traditions sont encore maintenues.

 

Quels sont les pays les plus touchés par l’assimilation ?

Les pays où les communautés juives sont petites et où les possibilités de rencontres chez les jeunes sont réduites. Si les jeunes ne vont pas en Israël ou ne sont pas inscrits dans des mouvements de jeunesse, pour eux, c’est alors plus difficile. On ne peut pas vivre longtemps comme juif quand il n’y a pas de Juifs autour. Il y a donc un gros travail fait dans ces petites communautés qui sont soumises à des difficultés particulières. Des difficultés, qui, dans les années qui viennent, vont certainement encore s’étoffer.

 

Trouver d’autres cadres structurels pour lutter contre l’assimilation, cela signifie-t-il aller vers un judaïsme plus libéral, réformé, comme c’est le cas aux Etats-Unis ?

Non. Je ne dis pas que le judaïsme doit se transformer, je dis qu’il ne faut pas perdre de vue qu’autour des Juifs reconnus il y a une grande quantité de personnes qui vibrent en même temps qu’eux, qui sont sensibles aux mêmes sujets, mais qui, pour des raisons halakhiques, ne sont pas considérées comme juives. Je ne dis pas que le judaïsme doit évoluer pour elles, pas du tout, mais je dis qu’il faut trouver un cadre qui leur permette de rester juives et le considérer avec respect.

 

En matière d’antisémitisme, comment définiriez-vous l’année qui vient de s’écouler ?

C’est une année manifestement négative, marquée par des débordements à la suite de l’opération de Gaza et qui ont entraîné, en France, des actes de violence beaucoup plus nombreux que par le passé, en particulier au cours des mois de janvier et février 2009. Il y a eu une explosion non seulement d’actes antisémites, mais de la parole antisémite également. Et c’est là quelque chose à quoi nous n’étions pas habitués, de bien plus violent qu’au cours des premières années de l’Intifada de 2000-2002. Ces violences se sont relativement apaisées, mais il n’en reste pas moins que le nombre d’actions et de menaces antisémites reste très important et qu’il a augmenté par rapport aux années précédentes. Ce qui nous préoccupe beaucoup, c’est cette espèce de terreau antisémite, qui n’est pas propre à la France, j’insiste là-dessus, et qui se retrouve dans beaucoup de pays européens. Il s’agit d’un discours antisémite qu’une grande partie de la jeunesse a intégré et qui peut se manifester au quotidien par des injures, des brimades et même sous des formes graves qui peuvent aller très loin. Nous avons eu cette année le procès des assassins d’Ilan Halimi.

 

Vous vous êtes beaucoup exprimé lors du procès. Attendiez-vous plus du verdict ?

Je me suis largement exprimé - et d’ailleurs j’ai reçu des coups pour cela - pour dire que je regrettais que le procès ait eu lieu à huis clos. J’espérais et j’espère toujours que le procès en appel pourra avoir lieu à portes ouvertes. Et je voulais dire aussi que j’avais eu l’impression que le caractère antisémite n’avait pas été traité de façon suffisamment importante.

 

Vous parlez de la jeunesse à l’origine de l’antisémitisme. Est-ce qu’on peut aller encore plus loin et dire que c’est le fait de la jeunesse issue de l’immigration ?

La jeunesse est le vecteur de l’antisémitisme, mais elle n’en est pas à l’origine. Elle le récupère. Elle peut le récupérer d’une tradition véhiculée par des sites Internet, des personnalités charismatiques, des religieux ou des petits chefs. Elle peut le récupérer par les images mythiques qu’elle se fait de certains théoriciens, par une représentation déformée du conflit israélo-palestinien, par tout ce qui est véhiculé par la presse arabe qui charrie énormément de haine, non seulement anti-israélienne, mais aussi antijuive. Les jeunes sont ensuite les vecteurs de ces haines et les reconstruisent au sein de groupes, de bandes, suivant des processus bien connus. Quant aux jeunes issus de l’immigration, ils sont évidemment majoritaires, mais ce sont des jeunes nés en France, des citoyens français dans leur grande majorité.

 

Votre prédécesseur Roger Cukierman avait déclaré que l’antisémitisme devait être une lutte nationale. Est-ce que les autorités françaises font ce qu’il faut ?

Tout d’abord, je le répète, l’antisémitisme n’est pas un phénomène spécifique à la France. Pour dire les choses clairement, il y a un poids de l’Islam radical qui intervient sous une forme ou une autre et qui n’est pas du tout spécifique à la France. Il est probablement plus marqué encore dans des pays comme l’Angleterre. Donc il faut prendre le problème sur le plan européen, ou du moins, très large. Il faut comprendre que ces vecteurs antisémites ont des liens avec des groupes religieux qui proviennent du Moyen-Orient et qui s’accompagnent, petit à petit, d’une demande de changement de culture de certaines franges de la société. L’antisémitisme n’est qu’une des facettes - importante certes - d’un mouvement de revendications plus large qui, d’une certaine façon, touche aux traditions et aux habitudes des sociétés européennes. Là, nous assistons à bon nombre de distorsions entre la façon dont réagissent les pays et les individus à l’intérieur des pays. Je crois que les mesures doivent être prises de façon assez concertée à l’intérieur de l’Europe. Mais nous sommes loin de cette situation. Les gouvernements font ce qu’ils peuvent sur le plan pénal, mais les effets reviennent souvent en boomerang. On constate des prisons surchargées, des jeunes qui se criminalisent en prison, on entre là dans un problème d’augmentation de la criminalité chez les jeunes qui est très inquiétant.

 

Est-ce qu’avec l’élection de Nicolas Sarkozy à la tête de la France, on assiste à un changement positif dans ces démarches de lutte contre l’antisémitisme, lutte contre la criminalité ?

Il ne fait aucun doute sur le fait que Nicolas Sarkozy s’est énormément impliqué et investi dans ces domaines de lutte contre l’antisémitisme et la criminalité. L’antisémitisme le révulse. Donc nous sommes très heureux de coopérer avec les pouvoirs publics dans ces domaines. Mais ce qui est beaucoup plus compliqué, c’est de lutter contre des préjugés, contre une vision du monde des jeunes. C’est déjà compliqué de lutter contre des actes délictueux, mais c’est encore plus difficile de lutter contre un antisémitisme qui ne s’exprime qu’au quotidien : on ne va pas mettre en prison pour l’éternité un jeune qui a crié “Sale juif” ou qui a molesté un jeune Juif. On ne sait pas très bien comment faire pour l’empêcher de récidiver et contaminer l’ensemble de son groupe.

 

Vous avez mentionné les attaques personnelles dont vous avez été la cible, suite au procès Fofana, d’une partie de la presse française. Comment l’avez-vous vécu ?

Il faut distinguer beaucoup de choses. J’ai reçu des coups violents, inacceptables, mais de deux hebdomadaires seulement : Marianne et Le Nouvel Observateur. Il est normal qu’un journal puisse critiquer telle ou telle position du CRIF…. Les autres journaux sont restés à l’écart de cette polémique…. A propos des attaques auxquelles j’ai été soumis, j’ai répondu dans le dernier numéro de Marianne après bien des hésitations. Les motivations de cette presse sont très faciles à comprendre. Mais globalement, la presse française fait son travail. Il y a peu de gens que je peux qualifier d’antisémites parmi les journalistes, vraiment très peu. Je sais bien que l’antisionisme est le vecteur d’un antisémitisme, mais je fais aussi la différence entre l’antisémitisme et la détestation de la politique d’Israël qui est beaucoup plus généralisée.

 

Selon vous, quel regard portent les médias français sur Israël ? La presse est-elle partisane ?

La situation en ce qui concerne l’image d’Israël s’est largement dégradée en France, et je suppose que c’est la même chose ailleurs, suite à l’opération Plomb durci. Les seules images disponibles étaient celles d’Al-Jazeera. Tout cela a été très habilement utilisé. Au début de l’opération, on a pu noter une certaine compréhension de l’attitude israélienne, mais à la fin du conflit, l’hostilité envers Israël était très grande et elle est restée telle. Il y a donc une difficulté - je me mets à la place des Israéliens - d’explication, une difficulté d’hasbara qui a eu des conséquences sur l’image d’Israël dans la presse. Et donc par ricochet, sur ceux qui, comme moi, ont essayé continuellement d’expliquer les contraintes auxquelles était livré Israël, d’expliquer pourquoi les Israéliens avaient fait cela et qu’ils ne l’avaient pas fait de gaieté de cœur, d’expliquer que peu de pays ont fait autant d’effort pour essayer de restreindre le nombre de victimes civiles. Mais tout cela est passé à la trappe parce que ce genre d’explications ne fait pas grand-chose contre des images. C’est un problème auquel Israël est confronté depuis longtemps et il faut être conscient que la façon dont l’opération à Gaza a été présentée au public et la mainmise totale des images par les télévisions du Golfe ont eu comme conséquence une diabolisation d’Israël et une diabolisation des Juifs en tant qu’amis d’Israël. C’est un problème qui existe dans toute l’Europe.

 

Le CRIF a pour but de fédérer les organisations juives en France, et à ce titre vous êtes très souvent sollicité par les médias français. Est-ce votre rôle que d’expliquer la politique israélienne ou faudrait-il une autre instance ?

Cela fait partie de nos attributions. Nous avons comme devoir statutaire de défendre l’image d’Israël. Aujourd’hui c’est d’autant plus vrai, et c’est d’autant plus important, que l’antisionisme est le véhicule, le vecteur le plus efficace de l’antisémitisme. Puisque nous devons lutter contre l’antisémitisme, il s’agit de la même lutte en réalité. Et je dirais même que cela s’inscrit également dans le troisième versant de notre activité, le travail de mémoire. Aujourd’hui, nous vivons une période d’amalgame complet où, en dehors des négationnistes ou de quelques cas particuliers, les amalgames sont faits entre la Shoah et la Nakba. Je vois des journalistes très connus me dire “M. Prasquier, ce qui se passe à Gaza n’a rien à voir avec la Shoah, mais tout de même, vous ne trouvez pas qu’il y a beaucoup de ressemblances ?” Je réponds non. Mais quand ce sont des journalistes censés connaître un peu les choses qui font ce genre d’amalgame, vous imaginez comme cela peut être fait ailleurs. Donc les trois missions du Crif se mélangent en une. Pour vous donner un seul exemple, quand on crie cette phrase horrible, monstrueuse, « Israël nazi », cela signifie que moi, Richard Prasquier, qui défend Israël, je suis un nazi aussi ! Vous imaginez bien que je ne vais pas rester sans réagir.

 

Que fait le CRIF pour aider à la libération de Gilad Shalit ? Menez-vous des actions avec les autorités françaises ?

Il ne m’arrive pas de rencontrer des responsables des Affaires étrangères françaises sans leur parler de Gilad Shalit. Et souvent ils m’en parlent eux-mêmes avant que j’aie commencé à leur en parler. Le nom de Shalit reste très présent dans la mémoire des responsables français des Affaires étrangères et de Nicolas Sarkozy pour commencer. Je leur fais parfois des piqûres de rappel, mais vous savez bien que la question est compliquée. Je viens de parler à la radio et un auditeur m’a dit : “Ingrid Betancourt et sortie et vous, le CRIF, vous ne faites rien pour Shalit.” J’aimerais bien que nous puissions d’un claquement de doigt libérer Shalit. Betancourt est restée incarcérée 7 ou 8 ans, on voit bien la difficulté du sujet. Notre rôle à nous c’est de montrer que nous n’oublions pas, que c’est important, que nous y pensons tout le temps, c’est là ce que nous pouvons faire. Nous pouvons dire aux autorités politiques françaises : « Ne l’oubliez pas, c’est un citoyen français, faites tout votre possible ». Mais sa libération ne dépend ni du CRIF, ni du gouvernement français ou d’Israël, c’est une connexion de faits très complexes. Ce que nous pouvons espérer, c’est que cela aboutira bien. J’ai très souvent au téléphone le père de Gilad, Noam Shalit, et il sait que les Juifs français ne l’oublient pas.

 

A la une du site Internet du CRIF, un article sur le danger d’un Iran nucléaire et Ahmadinejad. Cela aussi fait partie des combats du CRIF ?

Depuis le début. Le premier article que j’ai écrit dès que j’ai été élu président du CRIF, en 2007, était sur le sujet. Je voulais symboliquement mettre l’accent sur ce problème essentiel. Cette année, nous avons publié un communiqué après Rosh Hashana pour demander que les Etats occidentaux sortent au moment où Ahmadinejad devait se présenter devant les Nations unies. L’ambassadrice d’Israël à l’ONU a repris la même argumentation. En ce qui concerne les efforts de l’Iran pour obtenir l’arme nucléaire, nous les suivons avec angoisse et nous sommes, de ce point de vue, une fois de plus heureux que le gouvernement français ait une attitude extrêmement ferme à ce sujet. Même si on peut qualifier de fous ceux qui sont à la tête de l’Iran, je fais partie de ceux qui pensent que ce sont des fous habiles. Ils ont été capables de régulièrement mener en bateau les gouvernements occidentaux avec une habileté redoutable.

 

Que souhaitez-vous à la communauté juive française pour cette année 5770 ?

Je lui souhaite une année heureuse et tranquille sur les plans personnel, familial et communautaire, à l’intérieur d’une société française pour qui j’espère, dans son ensemble, une année paisible. Et je souhaite que cette communauté juive de France entende cette année de très bonnes nouvelles en provenance d’Israël.

 



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