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Oui, Jérusalem, terre de Dieu
Rivon Krygier - rabbin de la communauté Adath Shalom de Paris, affiliée au Rassemblement mondial des synagogues massorti.
Article mis en ligne le 1er février 2001
dernière modification le 24 juillet 2003

TOTALEMENT marginale et inconsidérée : telle est, avec tout le respect que l’on peut porter à mon confrère le rabbin David Meyer, la position exprimée dans son point de vue «  Ni terre promise ni terre sainte », paru dans votre page «  Débats » du 9 janvier, à en juger par l’ensemble des déclarations en Israël et dans le monde juif.

Bien plus qu’un appel au gouvernement d’Israël à faire preuve de bonne volonté politique, le propos de ce texte est de faire peser sur l’Etat juif l’entière responsabilité du conflit et de l’impasse dans les négociations en raison d’une «  inversion des valeurs ». Le peuple d’Israël se serait compromis et perverti en faisant «  passer les notions de sainteté et de sacré -de la terre- avant celles du sens éthique et du respect de la vie humaine ».

Mais comment peut-on parler d’«  idolâtrie du Grand Israël », alors qu’il est si minuscule au regard du vaste monde arabe et alors que, de surcroît, le gouvernement israélien s’est justement déclaré prêt à rétrocéder la quasi-totalité des territoires occupés en 1967 ? Comment ne pas voir que la question territoriale est avant tout un enjeu de défense stratégique pour Israël, face à la menace constante et au désir jamais franchement renié par une grande partie du monde arabe d’effacer l’Etat d’Israël de la carte du Moyen-Orient ? S’il est bien une chose dont le gouvernement Barak a fait preuve au cours de son mandat, c’est la volonté déterminée et sans précédent de mettre fin à ce conflit sanguinaire, au prix de la renonciation large et douloureuse à la pleine possession de la «  terre promise » !

S’agissant de Jérusalem, et plus précisément de ce que les uns appellent esplanade des Mosquées et les autres mont du Temple, la prise de position qu’a laissé entendre le gouvernement d’Israël au cours des récentes négociations exprime plus encore son désir de faire passer la valeur de la vie et de sa dignité avant celle de la souveraineté territoriale. Sur ce plan, il existe une totale asymétrie religieuse. Israël s’est en effet montré prêt à envisager un partage de la souveraineté ou à réfléchir à un statut d’extraterritorialité pour ce Lieu saint, alors que les Palestiniens, soutenus par l’ensemble du monde musulman, s’y refusent catégoriquement.

C’est le jusqu’au-boutisme de l’intégrisme musulman qui se déchaîne. Face à l’intransigeance islamiste, qui réclame l’exclusivité sur le site de la mosquée Al-Aksa - et Jérusalem n’est pas, contrairement à ce qu’en dit David Meyer, «  la ville fondatrice de l’Islam », tant s’en faut -, le judaïsme a, depuis l’aube des temps, considéré son lieu le plus saint comme ouvert sur l’universel. Le Livre biblique des Chroniques (I Ch 22 : 9-10) souligne que le nom même de Salomon (Chelomo) est de la même racine que le mot «  paix » (chalom). Ce nom lui a été donné pour signifier qu’il serait un homme de paix avec les ennemis alentour.

Lorsque Salomon inaugura le Temple de Jérusalem, il invita tout étranger à y adresser ses prières et demanda à Dieu de leur accorder une attention toute particulière (cf. I Rois 8 : 41-43). Dans la même veine, il faut entendre la prophétie d’Isaïe sur l’avenir réservé à ce lieu comme partie intégrante de la vocation d’Israël : «  Car ma Maison sera appelée maison de prières pour toutes les nations » (Isaïe 56 : 7).

Le refus palestinien de ce partage rappelle également un ancien commentaire rabbinique dont la pertinence est d’une saisissante actualité et qui porte sur le verset : «  Caïn parla à Abel son frère. Alors qu’ils étaient dans les champs, Caïn se dressa contre Abel son frère et le tua » (Genèse 4 : 8) : «  Quel fut l’objet de leur querelle ? Partageons-nous le monde, avaient-ils décidé !L’un avait pris les terres, et l’autre, les biens meubles. C’est alors que l’un dit : cette terre où tu te trouves est à moi ! Et l’autre : ces habits que tu portes sont à moi ! Alors Caïn se dressa contre Abel son frère et le tua. »

Selon une autre opinion, chacun avait pris aussi bien des terres que des biens meubles. Quel fut alors l’objet de la querelle ? L’un dit : le Temple sera édifié sur mon territoire ! Et l’autre : non, il le sera sur le mien !

Le partage instauré entre les frères ennemis n’en était pas un, car il a été conçu sur le déni et l’exclusion, aux antipodes de toute fraternité. Lorsqu’il existe un conflit d’intérêts, et plus encore quand le contentieux prend une tournure spirituelle, on peut tomber facilement admiratif de la «  grandeur d’âme » de celui qui, homme de bonne volonté, accepte «  religieusement » de prendre sur soi la croix de toutes les concessions. Mais il serait naïf et puéril de croire que la fraternité s’instaure dès lors que,  par abnégation, l’un des protagonistes consent à sa propre négation.

Le grave problème avec l’attitude islamiste - et il faudra bien un jour le traiter de manière courageuse en construisant un dialogue judéo-musulman à l’instar du dialogue judéo-chrétien, qui a si bien porté ses fruits - est qu’elle s’inscrit dans le déni total : les juifs (mais aussi les chrétiens) sont accusés d’avoir falsifié les écrits bibliques, et la propagande officielle palestinienne répète à qui veut l’entendre que la présence juive antique en Israël et l’existence du Temple sur la fameuse colline en litige sont des mythes faisant partie du complot sioniste

Refuser aux Israéliens le droit de conserver une forme de souveraineté sur ce lieu, sur LE lieu si symbolique et emblématique, même en partage, est une manière de considérer qu’il n’existe aucune légitimité ni nationale ni religieuse au retour des juifs sur leur terre, et que seul l’islam doit avoir toute prérogative en la matière. Accepter pour Israël une pseudo-paix fondée sur un tel déni ne serait pas un acte de courage politique, de capacité à se défaire d’une prétendue idolâtrie de la terre, mais un acte suicidaire. Aucune solution à l’embrasement du Moyen-Orient ne pourra être trouvée sur la base d’une reconnaissance de la légitimité géopolitique des Etats si les jalons de la légitimité religieuse des peuples ne sont pas simultanément posés.



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