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Le Monde s’intéresse enfin à la fauxtographie : faut-il s’étonner du résultat ?
Richard Landes
Article mis en ligne le 11 juin 2008

Il y a presque deux ans que j’ai écrit une analyse sur la façon dont Le monde a parlé du scandale “fauxtographie” dans la guerre du Liban, été 2006. A la suite de la decision étonnante de la cour au sujet de la plainte de Charles Enderlin contre Philippe Karsenty, et la pétition révélatirice au Novel Obs je mets une traduction française en ligne pour mieux permettre au lecteur francophone de déceler l’attitude des “journalistes” des grands médias, et de mieux evaluer les renseignements qui lui parviennent de leurs parts au sujets des “faux” issus du proche orient.

Stuart, l'un des participants de ce site, nous a fait parvenir une traduction d'un article du Monde sur le scandale fauxtographique. Cet article illustre bien à quel point les médias français sont mal informés de ce qui se passe dans leurs coulisses, et comme ils sont mal outillés pour simplement comprendre les défis de la blogosphère, et encore moins s'en accommoder.

L'auteur, Claire Guillot, ne parait pas mal intentionnée ; au contraire, elle semble vouloir s'essayer à l'impartialité. Cependant, le résultat est révélateur.

[NDLR : les citations de l'article du Monde sont en gras, les citations autres sont en italiques ; la fin de ce texte reprend, en la développant, une publication précédente sur ce site]

Guerre du Liban et “fauxtographies”

Le conflit a suscité une polémique sur le Net, des bloggeurs conservateurs soupçonnant les images d'être manipulées. C'est par Little Green Footballs que le scandale est arrivé : début août, ce blog américain conservateur accuse Adnan Hajj, photographe pigiste de l'agence Reuters, d'avoir manipulé par informatique une photo de Beyrouth pour épaissir la fumée après un bombardement israélien. Effectivement, la retouche est grossière. L'agence présente ses excuses et retire la photo incriminée. Mais le blog met ensuite en évidence une autre photo de M. Hajj, où il a dupliqué une fusée tirée par un avion israélien. Le photographe, qui ne maîtrise apparemment pas bien le logiciel de retouche Photoshop, est renvoyé, toutes ses archives effacées. « Il y a eu un enchaînement d'erreurs humaines, plaide Tom Szlukovenyi, directeur de la photographie chez Reuters. Cette histoire est contraire à tous nos principes et ne s'est jamais produite auparavant. »

Là, bien sûr, un journaliste futé pourrait se demander « comment Tom Szlukovenyi peut-il le savoir, surtout s'il a été abusé par le travail, pourtant si maladroit, de son pigiste... et comment vérifier cette affirmation, puisqu'il a retiré des archives la collection des photos de ce pigiste manifestement indélicat, empêchant ainsi un examen approfondi de son œuvre ? » Et, dernière minute, Tom Glocer, le patron de Reuters, est d'un avis strictement contraire, et pense que ces pratiques sont largement répandues.

Mais vous ne trouverez dans l'article du Monde aucune de ces remarques. On enchaîne sur le complot réactionnaire :

Le “reutergate” devient le point de départ d'une cabale sur Internet : des dizaines de bloggeurs, pour la plupart américains ou israéliens, de droite ou d'extrême droite, se proclament “citoyens journalistes” et se mettent à enquêter depuis leur salon. A les croire, les cas de “fauxtographie”, selon un néologisme typique d'Internet, éclaboussent l'ensemble de la profession au Liban : les photographes, manipulés ou manipulateurs, se livreraient à des retouches voire à des mises en scène pour donner une vision tronquée, pro-Hezbollah, voire antisémite, du conflit.

Diantre ! Il faut bien expliquer à vos lecteurs à qui ils ont affaire. On dirait Charles Enderlin muselant ses critiques en les qualifiant de “groupuscules d'extrême droite”. Et, comme pour Enderlin et le reste de la gauche bien-pensante, pure et dure, ce recours tout prêt à l'anathème de l'ensemble des critiques tombe en fait totalement à côté de la plaque. Beaucoup de ces gens actuellement étiquetés “de droite” sont en réalité des exilés, des réfugiés d'une “gauche” qui vit dans un univers imaginaire de déni. L'agence Menapress n'est pas de droite. Elle revendique des objectifs explicitement progressistes. Mais ses journalistes ne sont pas vos compagnons de route. Il en va de même pour les bloggeurs américains Charles Johnson, Roger Simon, et Neo-Neo-con et de nombreux acteurs de la blogosphère. Ils se sont réveillés du sommeil dogmatique.

Ces attaques sont reprises sans précaution par des milliers d'internautes, parfois même relayées par les médias traditionnels (la chaîne américaine Fox News, le tabloïd allemand Bild, le site du Wall Street Journal), voire par les politiques : le ministre des affaires étrangères australien, Alexander Downer, qualifie de “canular” une attaque israélienne visant deux ambulances de la Croix-Rouge, le 23 juillet, en se basant sur les allégations du site Zombieguide, qui trouve les impacts “suspects”.

Que voila un exemple judicieusement choisi ! Peu d'accusations de falsification sont aussi fondées. Claire Guillot a-t-elle seulement lu ce document ? Impacts suspects ? Dîtes plutôt que toute l'affaire est une supercherie grossière.

ambulance
[Note de Zombietime : après la publication de cet essai, la Croix-Rouge a retiré de son site la photo en haute résolution de l'ambulance, apparemment pour dissimuler un élément de preuve. Un officiel de la Croix-Rouge a expliqué par la suite l'avoir retirée pour ne pas entrer dans une polémique, et garder ainsi le beau rôle.]

Naturellement, Claire Guillot, plutôt que traiter en détail cette affaire - a-t-elle seulement lu les arguments ? - se rabat sur un terrain où elle se sent plus à l'aise.

Les “preuves” fournies par les blogs reposent souvent sur une méconnaissance du travail des photographes ou du terrain. Il en va ainsi de la datation des images. La blogosphère crie à la mise en scène quand elle voit la même fillette morte photographiée à Cana le 30 juillet à différents moments de la journée. “L'heure affichée sur Yahoo ! est celle de la mise en ligne, pas celle où la photo a été prise, explique le photographe Lefteris Pitarakis (AP). Les photographes ne transmettent pas les images en même temps. »

Évidemment, cette brève est comme saisie au vol, un court instant où l'on donne la parole à Pitarakis et Associated Press. Mais l'avalanche de preuves des manipulations ne dépend pas vraiment de ce détail particulier.

Autre anecdote, plus morbide : lorsque Lefteris Pitarakis a photographié les cadavres alignés sortis des décombres à Cana, sa photo a été dénoncée sur le Net car l'un d'eux avait l'air de se relever. Alors qu'il s'agissait d'un cas de rigor mortis (raidissement des membres après la mort)...

Je suis de ceux qui ont commis cette erreur, je l'ai rectifiée, mais j'ai souligné, quand même, que toutes les images montraient des cadavres d'hommes, alors qu'on nous avait dit que 68 femmes et enfants avaient péri dans l'immeuble. En fin de compte, les victimes, parmi lesquelles des hommes, étaient deux fois moins nombreuses.

Il arrive aussi que les internautes s'engouffrent dans les brèches fournies par des erreurs ou des imprécisions dans les légendes. Le site du New York Times a publié, fin juillet, une séquence de photos de l'Américain Tyler Hicks après des bombardements à Tyr. Dans l'une, un homme inanimé est secouru au milieu des décombres. Dans une autre, le voilà ressuscité, venant en aide aux victimes ! En fait l'homme a tenté d'aider les sauveteurs, avant de se blesser et d'être secouru à son tour.

“En fait ?” Comment le sait-elle ? L'examen de la photo suggère tout sauf ce qu'elle présente comme des “faits”. Il semble, au contraire, qu'après avoir déblayé les décombres, il ait voulu être photographié comme une victime du bombardement israélien. Quel genre de blessure reçue en évacuant les victimes aurait pu le laisser dans cette position ?

pieta of beirut
[Un homme, photographié auparavant en train de retirer des victimes des décombres à Tyr, se retrouve dessous, mystérieusement. Notez la casquette verte maintenue sous son bras gauche.]

« Aucune de ces photos n'a été manipulée ou mise en scène, écrit Michele McNally, responsable de la photo du quotidien. (...) Mais une légende imprécise a pu laisser croire que cet homme était une victime des bombardements. »

C'est une remarque bien péremptoire sur une situation à laquelle il ne semble pas connaître grand-chose. Les mises en scène prouvées, surtout venant des photographes du cru, sont fréquentes, et dans ce cas (position rigide, pas de trace de blessure, la casquette sous le bras) hautement probable.

Le journal a rapidement corrigé.

Ils ont rectifié la légende, mais sans reconnaître la probabilité d'une mise en scène : l'homme se serait blessé en tombant.

Mais une fois la rumeur lancée sur le Web, rien ne peut l'arrêter. D'où l'amertume des photographes. « Les bloggeurs disent qu'ils font du journalisme d'investigation, explique Lefteris Pitarakis, mais aucun n'est relu par un supérieur, il n'y a pas de vérification, pas de procès, ils écrivent ce qu'ils veulent, sans jamais faire de rectificatifs. (...) Mais les gens ne font pas la différence entre ça et les autres médias. »

Claire Guillot aurait pu avoir la bonne idée d'interroger un bloggeur sur ce point. Personnellement, je rectifie immédiatement, sans attendre une intervention extérieure, acte apprécié pour cela dans la “dextrosphère”.

De l'autre côté, on ne reproche pas que cette photo (qui, elle, n'était sans doute pas malhonnête) à Lefteris Pitarakis. Il aurait bien des comptes à rendre au sujet de toute une liste de travaux sujets à caution... mais cela ne concerne pas la journaliste du Monde, qui le présente comme honnête et injustement mis en cause.


Le photographe belge Bruno Stevens, qui a beaucoup travaillé sur le Liban, remarque que, souvent, les bloggeurs sont « de mauvaise foi. Ils ne cherchent pas la vérité mais mélangent le vrai et le faux, pour détourner le débat afin qu'on ne parle plus des massacres. »

Pourquoi a-t-il le droit de parler de massacres alors qu'il ferait bien, en effet, de ne pas employer pour une tel incident un mot qui désigne généralement l'assassinat systématique d'un grand nombre de personnes, et pas les victimes involontaires d'opérations contre les forces armées ennemies, ni la mort d'une unique personne.

Qui est ici de mauvaise foi ? Les bloggeurs qui dénoncent des mises en scène, ou les photographes qui les ont filmées ? Ceux qui veulent voir le dessous des cartes, ou les journalistes comme Bruno Stevens qui nous refuse ces informations, qui les gêneraient pour accuser Israël de massacrer les civils libanais ?

Le bombardement de Cana (28 morts dont 16 enfants) est à cet égard exemplaire : en se fondant sur l'omniprésence d'un sauveteur sur les photos - en réalité le chef de la défense civile pour la région de Cana -...

Aucune mention du bilan initial de 60 morts, uniquement des femmes et des enfants, ressassé pendant des jours par les médias, sur la base des habitants de l'immeuble moins les survivants recensés, méthode de comptage ridicule dans une zone que la population avait auparavant été invitée à fuir, puis réduit à 28, hommes avec plusieurs hommes. Aucune mention du rôle évident de ce “casque vert”, qui n'était pas principalement l'évacuation rapide des corps.

green helmet guy and baby

On a l'impression que Claire Guillot n'a jamais lu le rapport de Richard North, publié sur le blog anglais EU Referendum, qui conclut en ces termes :


Après trois semaines de travail intense, avec l'assistance active et la coopération de la communauté Internet, souvent appelée “blogosphère”, nous pensons avoir maintenant assez de preuves pour assurer avec certitude que beaucoup des faits rapportés en images par les médias sont en fait des mises en scène. Nous pensons même pouvoir aller plus loin. À notre avis, l'essentiel de l'activité des secours à Khuraybah [le vrai nom de l'endroit, alors que les médias, en accord avec le Hezbollah, ont utilisé le nom de Cana, pour sa connotation biblique et l'écho du drame de 1996] le 30 juillet a été détourné en exercice de propagande. Le site est devenu en fait un vaste plateau de tournage, où les gestes macabres ont été répétés avec la complaisance des médias, qui ont participé activement et largement utilisé le matériau récolté.

D'ailleurs, cet article tardif du Monde (six semaines après les faits et la polémique) reprend exactement les dénégations désespérément inadéquates des médias. Comme le remarque Richard North :

La tactique des médias est prévisible et tristement habituelle. Au lieu de discuter le fond de nos arguments, ils se focalisent sur des détails, y relevant des inexactitudes et des fausses pistes, et affirment que ces erreurs vident notre dossier de toute valeur. D'autres nous étiquètent comme de droite, pro-israéliens ou parlent simplement de théories du complot, comme si cela pouvait suffire à éliminer les éléments concrets que nous avons rassemblés.

Bonne description de la stratégie de Claire Guillot, qui n'a pas bien fait son travail. Ou peut-être l'a-t-elle fait, mais n'a pas jugé bon d'informer ses lecteurs sur ces imperfections des médias anglophones. Après tout, en la matière, les médias francophones font pire à tous les niveaux.

...les bloggeurs ont fait de cet épisode tragique rebaptisé “Hezbollywood” une mise en scène montée de toutes pièces pour accuser Israël. Alors que Tsahal elle-même a reconnu une bavure dans un rapport d'enquête !

Mais où donc prend-elle cette information ? D'abord, la vaste majorité des bloggeurs qui parlait de Hezbollywood, n'ont pas mise en cause la vrai mort de civils, ni même, pour la plupart, que c'était l'effet d'une bombe israëlienne qui causa les dégâts, mais, qu'au contraire les medias ont manipulé la scène de façon grotesque pour impliquer Tsahal, tout comme le fait Claire Guillot en suggérant que les bloggeurs ont contredit ce que Tsahal a “avoué.” On ne soupçonnerait pas, en lisant cette article, que le rapport de Tsahal stipule :

L'attaque a été menée en riposte aux tirs incessants de ces derniers jours sur des localités israéliennes à partir de la zone visée. Les habitants de tous les villages alentour, y compris Cana, ont été avertis de se tenir à l'écart des sites de lancement de rockets contre Israël. « Tsahal est intervenue cette nuit contre des objectifs terroristes dans le village de Cana. Ce village est utilisé depuis le début de ce conflit comme base arrière d'où ont été lancées en direction d'Israël environ 150 rockets, en 30 salves, dont certaines ont atteint Haïfa et des sites dans le nord, a déclaré aujourd'hui le général de division Gadi Eizenkot, chef des opérations. Tsahal regrette tous les dommages subis par les civils innocents, même s'ils résultent directement de l'utilisation criminelle des civils libanais comme boucliers humains par l'organisation terroriste Hezbollah. »

L'enquête menée par Tsahal affirme :

« Le Hezbollah place les civils libanais comme bouclier entre eux et nous, alors que Tsahal se place comme bouclier entre les habitants d'Israël et les terroristes du Hezbollah. C'est la principale différence entre eux et nous. »

En lisant notre journaliste, on aurait l'impression que l'enquête israëlien avait reconnu un crime.

“Pourquoi y a-t-il eu un tel déchaînement des blogs ? s'interroge Patrick Baz, directeur de la photographie pour le Moyen-Orient à l'AFP. On n'a jamais eu ça dans les guerres israélo-palestiniennes.”

Pourquoi, en effet ? En partie parce que les médias sont si aveuglés devant ces faits que même en présence d'un faisceau de preuves de falsification, ils ne peuvent se résoudre à en tenir compte, à moins d'y être contraints par une large publicité. Aussi loin que je puisse remonter, la falsification systématique qui entache la majorité, peut-être, des reportages occidentaux sur le conflit israélo-arabe remonte à la première guerre du Liban, en 1982. La seule différence ? Enfin il y a des sources indépendentes qui puissent mettre les actions des médias en question et parvenir au grand public.

À ce point, j'oserai revendiquer un peu de la paternité de ce phénomène. Lors des guerres précédentes, je n'avais pas encore réalisé mon documentaire Pallywood ; pour autant que je sache, tous les bloggers qui travaillent aujourd'hui sur ces montages ont vu Pallywood. Comme le disait un ami, « c'est comme si Pallywood était une piste sur laquelle on lance la meute. Maintenant la blogosphère traque ces trucages, ils seront démontés, encore et encore. »

Quant à l'argument que de tels faux n'avaient jamais été réalisés auparavant parce qu'aucun scandale médiatique n'avait éclaté alors, c'est du même ordre que la déclaration d'Enderlin « je dois avoir raison, puisque Tsahal ne m'a pas démenti. »

Selon lui [Patrick Baz], au Liban, “Israël a perdu la guerre des images. Du côté israélien, on a vu l'armée, les chars. De l'autre, uniquement des victimes. Le Hezbollah est resté invisible.”

« On a vu uniquement... » la faute à qui ? Les médias anglo-saxons, et plus encore les médias francophones, ont montré beaucoup plus d'images et d'interviews de victimes côté libanais que côté israélien. Le médiateur du New York Times défend cette proportion de 1 à 8 en assurant qu'elle correspond à la proportion des victimes de part et d'autre.

    Naturellement, les responsables de rédaction du New York Times pour les photos et les articles avaient chaque jour à l'esprit les chiffres des morts dans chaque camp. « Nous en étions pleinement conscients » déclare Michele McNally, responsable de la photo.

Bien sûr si ces chiffres de victimes sont (grossièrement) erronés, et c'est un fait historique que les sources arabes gonflent systématiquement le nombre de victimes civiles et minimisent les pertes militaires, cette sorte d'impartialité ne saurait justifier la couverture des événements. Les gros titres claironnent 40 morts, le rectificatif, plus discret, un seul. N'importe quoi ! Et nous, clients des médias, gobons ce n'importe quoi.

Le Hezbollah non plus n'était pas invisible. Les reporters photographes avaient ordre de ne pas photographier le Hezbollah parmi les civils, et ils s'y sont généralement pliés.

    Pendant cinq semaines, Robinson Chavez est allé à Gaza, en Israël et au Liban. Il explique pourquoi le public ne voit jamais d'images des miliciens du Hezbollah, qui ont fait du sud du Liban leur fief. On les reconnaît à leur jeunesse, leur barbe, leurs walkies-talkies et à leur refus d'être pris en photo. Ils s'abstiennent intentionnellement, explique-t-il, de porter des armes quand il y a des photographes dans le coin. Plusieurs d'entre eux l'ont détenu pendant une journée, puis relâché.

Comme l'a remarqué David Bernstein sur le site Volokh Conspiracy : Personnellement, si j'avais été détenu par un groupe terroriste anti-américain, je serais épouvanté et je me garderai bien de les contrarier tant que je séjournerais sur le territoire qu'ils contrôlent. Et cela inclurait le choix des images et des reportages que j'enverrais à mes patrons aux États-Unis.

Pas plus Patrick Baz de l'AFP que Claire Guillot ne semblent intéressés par ces questions. Mais, qui est de mauvaise foi ici ?

Dans sa tribune “Guerre, mensonges et vidéos“, parue dans Libération, le 31 août, Shmuel Trigano, président de l'Observatoire du monde juif, reprend des arguments de bloggeurs, selon lesquels “manipulés, les médias réactivent le mythe antisémite du juif tueur d'enfants”. Bruno Stevens lui répondra, le 5 septembre, dans le même journal, prenant la défense de ses confrères photographes, “des professionnels honnêtes ne faisant partie d'aucune conspiration”.

J'ai commenté cette tribune de Shmuel Trigano, mais n'ai pas pris la peine de décortiquer la réponse de Bruno Stevens. Mais un détail vous montrera l'envergure de l'artiste. Parlant des “dommages collatéraux”, il écrit :

    Quand une armée tue quatre ou cinq fois plus de civils que de combattants ennemis, il ne s'agit plus de “dommages collatéraux”, une expression à la mode depuis la guerre du golfe, mais au contraire d'une stratégie de terreur et de punition collective de tout un peuple.

J'ignore d'où il tire ses statistiques. Je ne pense pas qu'il ait lu le décompte de Wikipedia. Les estimations les plus vraisemblables, après pondération des pertes sous-estimées du Hezbollah et surestimées des victimes civiles est plus proche de 50/50. De plus, étant donné le choix du Hezbollah de tirer des missiles à partir de zones habitées et d'empêcher les gens de partir, c'est eux qui portent la responsabilité de ces morts, au regard des conventions de Genève en tout cas. L'empressement de Bruno Stevens à accuser Israël et à s'absoudre, ainsi que ses collègues, de toute manipulation de l'opinion incline à penser le contraire de ce qu'il affirme dans sa tentative de réfutation de Shmuel Trigano.

Mais cela va bien plus loin. Au nom de quelle conception partisane du journalisme Bruno Stevens s'autorise-t-il des accusations de ce genre ? Et jusqu'où cet engagement partisan influe-t-il sur ce qu'il nous rapporte des faits ?

Les manipulations de photographies ne datent certes pas de l'ère numérique - on se souvient des retouches de clichés sous Staline -, mais elle les a facilitées. Avant Adnan Hajj, il y avait eu Brian Walski, en 2003, photographe américain renvoyé du Los Angeles Times pour avoir “collé” deux photos montrant des soldats britanniques après l'invasion américaine en Irak. Aujourd'hui, les agences limitent le recours au logiciel Photoshop : recadrage, lumière, suppression des poussières...

Mais Patrick Baz reconnaît aussi qu'il existe “une tentation de rendre les photos plus spectaculaires pour les vendre. Il y a une telle compétition... Tout le monde veut être dans le “play report” (catalogue) qui dresse la liste des photos reprises dans la presse”. Des jouets un peu trop propres parmi les ruines, au Liban, ont suscité le soupçon...

Suscité le soupçon ? Il s'agit de techniques dont l'usage généralisé remonte au moins à l'épisode de Jénine (avril 2002). ce sont là des mises en scènes incontestables et donc des manipulations patentes de nos émotions.

brides dress lebanon
[Note du site zombietime : Cette image de Reuters, par exemple, reproduite par plusieurs médias, était présentée avec cette légende : une robe de mariée sur un mannequin, le 31 juillet 2006 à Cana, près du lieu d'un raid israélien où plus de 54 femmes et enfants furent tués la veille.

Les photographes admettent difficilement l'existence de petits arrangements. L'un d'eux avait affirmé sur le Net avoir vu des photographes, au Liban, demander à des sauveteurs de poser avec les victimes - en précisant que “les morts, eux, étaient bien vrais”.
Aujourd'hui, il regrette d'avoir témoigné et réclame l'anonymat. “Je voulais inciter la poignée de photographes qui se livrent à ces pratiques condamnables à agir avec plus d'éthique. En réalité, mes propos ont surtout fait du mal au peuple libanais. Au lieu de réfléchir sur les atrocités commises de part et d'autre, chacun cherche dans les banques d'images les moyens de prouver qu'il n'y a pas eu de crimes de guerre...”

Pour le médiéviste que je suis, rompu à la recherche d'éléments effacés, ceci vaut de l'or. C'est la journaliste du Monde elle-même qui admet que les photographes ont du mal à reconnaître ces manipulations. Manifestement, on ne s'attend pas à ce qu'ils le fassent, et s'ils le peuvent, ils les nieront. Le photographe cité admet avec difficulté qu'une poignée de ses collègues se livrent à ces agissements, mais s'empresse d'ajouter “les morts, eux, étaient bien vrais” comme si manipuler de vrais cadavres, pour obtenir des clichés plus impressionnants, était une circonstance atténuante. Étant donné la répugnance à avouer de telles pratiques, il m'est d'avis que cette poignée est en fait beaucoup plus grande.

Mais même cette remarque réticente lui parait, avec le recul, excessive. Il regrette son témoignage et veille à assurer son anonymat. Au sein du groupe auquel il peut avoir des comptes à rendre, ce n'est pas une vérité bonne à dire. Aussi, il s'autocensure.

En réalité, si nous nous référons au texte original de Brian X. nous découvrons la description d'une pratique largement plus répandue que la citation de Claire Guillot ne le laissait supposer :

    J'ai travaillé au Liban depuis que tout a commencé, et voir le comportement de beaucoup de photographes libanais travaillant pour les agences de presse m'a un peu troublé. Coupable ou pas, Adnan Hajj a été remarqué pour ses retouches d'images par ordinateur. Mais, pour ma part, j'ai été le témoin de pratique quotidienne de clichés posés, et même d'un cas où un groupe de photographes d'agences orchestraient le dégagement des cadavres, donnant des directives aux secouristes, leur demandant de disposer les corps dans certaines positions, et même de ressortir des corps déjà inhumés pour les photographier dans les bras de personnes alentour. Ces photographes ont fait moisson d'images chocs, sans manipulation informatique, mais au prix de manipulations humaines qui posent en elles-mêmes un problème éthique bien plus grave.

    Quelle que soit la cause de ces excès, inexpérience, désir de montrer de la façon la plus spectaculaire le drame vécu par votre pays, ou concurrence effrénée, je pense que la faute incombe aux agences de presse elles-mêmes, car ce sont elles qui emploient ces photographes. Il faut mettre en place des règles, faute de quoi toute la profession finira par en pâtir. Je ne dis pas cela contre les photographes locaux, mais après avoir vu ça se répéter sans arrêt depuis un mois, je pense qu'il faut s'attaquer au problème. Quand je m'écarte d'une scène de ce genre, un autre preneur de vue dresse le décor, et tous les autres suivent...

La vraie question qui se pose est : Qui a été si contrarié par ces remarques qu'il a amené leur auteur à les regretter ? Qui est ce groupe à qui il doit rendre des comptes ? Pas le public, apparemment, qui souhaite qu'on lui montre ce qui s'est réellement passé, sans mise en scène.

Au contraire, en parcourant la liste des réactions de ses collègues reporters-photographes, nous constatons leur forte désapprobation de ces remarques, avec des arguments variés, mais qui tous ignorent l'intérêt du public et se placent dans le cadre de la défense de la corporation et de sa crédibilité.

    Maintenant, je suis en colère. Je veux mettre un terme immédiatement à ces rumeurs incendiaires. J'aimerais que Bryan précise où et quand cette présumée mise en scène a eu lieu, au lieu de se cantonner à des déclarations générales et vagues, qui ternit la réputation de tous les photographes de presse en général et calomnie les photographes libanais en particulier (Timothy Fadek)...

    C'est une allégation ahurissante. C'est aussi une accusation qui sera sans aucun doute reprise par les blogs et alimentera la guerre de propagande anti-médias. (Andrew Moore)...

    Ouuuuuf ! Je suis avec Tim et Andrew : les allégations de Bryan sont atterrantes et, franchement, résonnent, elles aussi, d'une certaine quantité de mise en scène polémique. Cependant, s'il a été témoin de ces faits, je suis sûr qu'il viendra s'expliquer et détailler son expérience. (Bob Black)...

Notez que pour ces professionnels, la gravité même des accusations les rend difficilement crédibles. J'ai rencontré la même attitude chez les professionnels américains à propos de Pallywood : « vous proférez de terribles accusations. Il est difficile de croire que ce soit aussi répandu que vous le dîtes. »

Alors, d'un côté, nous avons Enderlin et Eppelbaum, qui disent, en privé, « c'est tout le temps comme ça, » des professionnels comme Gerald Holmes, correspondant d'ABC en Israël de 1999 à 2002, et les reporters de terrain Bruno Stevens et Timothy Fadek qui affirment n'avoir jamais assister à des mises en scène ou des prises de vue arrangées et défendent avec indignation « des professionnels honnêtes ne faisant partie d'aucune conspiration . » Et de l'autre côté nous avons des preuves solides et des aveux murmurés de pratiques scandaleuses qui paraissent répandues. Quelque chose cloche, et c'est peu dire.

Revenons à ce commentaire révélateur sur ce photographe qui « exige l'anonymat. » Pourquoi ? Que risquerait-il si l'on savait qu'il a reconnu l'existence de quelques manipulations ? Évidemment, ses collègues lui en voudraient, mais son nom serait cité sur tous les sites de la profession.

La réponse évidente est qu'il risquerait d'offenser les maîtres du lieu, c'est à dire le Hezbollah, et, au mieux, se voir refuser accès, et donc l'impossibilité de prendre d'autres clichés, au pire y laisser l'un ou l'autre de ses membres. Comme le disait Hussein, l'attaché de presse du Hezbollah à Michael Totten après avoir lu une page de son blog qui lui avait déplue : « Pour qui nous prenez-vous ? Nous savons qui vous êtes, nous lisons tout ce que vous écrivez et nous savons où vous habitez. »
Nous savons où vous habitez ! Il m'a menacé de représailles physiques. Et pour quelle raison ? Pour une blague sur les Américains publiée sur mon blog.

Mais pour Bryan X., ou Claire Guillot sur ce sujet, parler ouvertement d'intimidation, ce serait aussi reconnaître une chose qui officiellement n'existe pas.

Au lieu de cela, nous avons droit à un superbe morceau de justification idéologique qui nous éclaire sur l'univers intellectuel de ce reporter anonyme.

En réalité, mes propos ont surtout fait du mal au peuple libanais. Au lieu de réfléchir sur les atrocités commises de part et d'autre, chacun cherche dans les banques d'images les moyens de prouver qu'il n'y a pas eu de crimes de guerre...”

Rien que ça ! Permettez-moi de traduire, pour ceux qui n'ont pas l'habitude du langage politiquement correct du journalisme militant, c'est à dire de ceux à qui l'on doit Pallywood. Le témoignage de notre anonyme a « surtout fait du mal au peuple libanais, » et par conséquent, il n'aurait pas du permettre à l'opinion (nous !) de prendre connaissance de sa demi-confession sur les mises en scène. Entre autres choses, cela signifie qu'il ajuste ses déclarations en fonction de (ce qu'il pense serait) l'effet produit et non de leur exactitude ou de leur pertinence.

Et selon quels critères juge-t-on de cet intérêt supérieur ? Apparemment suivant un arbitrage qui place ce que “je” crois être l'intérêt des Libanais en tête de mes préoccupations de déontologie journalistique, en tout cas suffisamment haut pour que cet intérêt, tel que je le perçois, l'emporte sur mon désir d'apporter aux autres l'information qu'eux peuvent estimer utile de connaître.

En d'autres termes, je ne leur fournirai pas d'arguments pour dire que l'info qu'on leur vend, c'est du “made in Pallywood”. Cela me rappelle beaucoup la remarque de Charles Enderlin à Esther Shapira : « je ne communiquerai pas les rushes à l'armée israélienne, qui pourrait les utiliser pour se blanchir. »

Il dit en fait qu'en tant que journaliste engagé, il milite pour ce qu'il croit être le camp du bien, et contrôle l'information avec le souci de privilégier ce qui va dans ce sens, en l'occurrence, le bien du peuple libanais.

[Ceci me surprend d'ailleurs un peu. Si, comme je le pense, le photographe cité par Claire Guillot est le même que celui du site lightstalker, je trouve ces remarques plutôt étonnantes. Au moins dans ces commentaires sur le site web, il montre beaucoup plus d'intégrité professionnelle.]

Et où est l'intérêt du peuple libanais ?

Au lieu de réfléchir sur les atrocités commises de part et d'autre, chacun cherche dans les banques d'images les moyens de prouver qu'il n'y a pas eu de crimes de guerre...

C'est la meilleure. Au pied de la lettre, c'est parfaitement neutre : “chaque camp” commet des atrocités ; “chacun” cherche des moyens de dégager la responsabilité de son camp ; ne permettons pas, nous, journalistes et photographes, qu'ils y parviennent. Souvenez-vous de l'argument de Bruno Stevens contre Smuel Trigano : « si nous reconnaissons ces manipulations, cela permettra à des gens comme Trigano de réorienter le débat de façon à ce que l'on ne parle plus de massacres. »

Mais en réalité, le Hezbollah ne cherche nullement à cacher qu'il vise les civils israéliens. De même que ses sympathisants musulmans, il se réjouit du nombre de civils israéliens tués. Et bien sûr, les Israéliens n'organisent pas de conférence de presse autour des cadavres. De toute façon, les médias ne manifestent pas un grand intérêt à montrer les victimes civiles israéliennes, et aucune instance morale, ONU ou ONG, ne semble en vouloir au Hezbollah.

Les productions hezbollywoodiennes, de l'autre côté - les images ici contestées- visent un but partisan : elles diabolisent systématiquement les Israéliens et soutiennent, sinon justifient, les objectifs du Hezbollah. C'est pourquoi le Hezbollah passe autant de temps à courtiser et/ou intimider la presse. C'est fondamental pour lui.

En laissant tomber l'impartialité apparente, cette remarque signifie au fond : je regrette d'avoir parler de cette mise en scène car cela donne à Israël l'occasion de se dégager du pilori moral en proclamant que ces reportages bidonnés manipulent l'indignation du monde occidental. De plus, de mon point de vue [à moi, Bryan X.] il est de l'intérêt des Libanais de maintenir Israël au pilori, puisque c'est eux qui bombardent le Liban, les en empêcher rendra service aux Libanais. Ou, pour paraphraser Bruno Stevens, comment faire le bien si nous ne pouvons plus accuser Israël de massacres ?

Et si la règle du politiquement correct était fausse ? Les conséquences d'une erreur bien-intentionnée

Nous abordons maintenant notre vrai problème. Et si notre photographe, talentueux, peut-être, mais pas particulièrement plus caléen morale publique qu'en géopolitique, fait partie de ces gens qui, tels des gauchistes débutants, interprètent systématiquement toute situation à travers le prisme déformant du “tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil” ? C'est à dire qu'il prête toujours à l'autre camp (dont la culture est la plus éloignée possible de la sienne) les meilleures intentions. Ce sont d'innocentes victimes, leur hostilité envers Israël est une “résistance légitime”. Si seulement Israël arrêtait ses agressions, les choses s'arrangeraient.

En elle-même, la règle du politiquement correct a un sens (pour nous) mais elle vise à se placer du côté du Bien. Le problème est que les “démopathes” [qui utilisent la démocratie pour la combattre] (qui ne sont concernés en rien par ces idéaux progressistes) l'utilisent comme une arme pour diaboliser Israël et tromper le progressiste pétri de bons sentiments. Qu'en est-il, par exemple, si le souci exclusif de notre photographe pour le bien du peuple libanais et son indifférence pour le bien du peuple israélien reflète à quel point le politiquement correct a réussi à diaboliser Israël, présenté sous les traits d'un Goliath meurtrier, ne méritant aucune sympathie ?

Et si les cadavres s'amoncelaient, des deux côtés, non parce que les Israéliens ont plaisir à tuer des civils innocents (la thèse du Hezbollah et de certains journalistes, comme Bruno Stevens) mais parce que le Liban est dans les griffes de fanatiques religieux qui vénèrent la mort, la cultive et, cachés au sein de la population, déversent la mort et la destruction sur Israël ?

Et si la catastrophe qui a frappé le Liban

a) était peu de chose à côté de ce qui serait arrivé si, hypothèse d'école, c'étaient les Syriens qui avaient été attaqués par leurs ennemis mortels cachés parmi les civils ;

b) était entièrement le résultat des choix tactiques et stratégiques du Hezbollah qui se cache parmi les civils, non seulement pour profiter des contraintes morales d'Israël, mais aussi pour attiser la haine et la violence par leur narratifs meurtriers ?

Et si...

Alors, tout le raisonnement de notre photographe et la culture journalistique dans le cadre de laquelle s'exerce sa solidarité va à l'encontre du but proclamé : l'intérêt des Libanais. Et si la pression corporatiste du journalisme militant inconscient les poussait de terribles erreurs, à se laisser berner par les ennemis de la démocratie, et, comme avec les Palestiniens, en propageant le discours de mort, renforçait les vrais ennemis du peuple libanais.

En d'autres termes, et si nos journalistes bien-intentionnés encourageaient, en fait, le Jihad par leur journalisme engagé basé sur les principes du politiquement correct, qui à ce stade, va à l'encontre de leurs buts ? Ne peuvent-ils pas, sans adhérer aux thèses jihadistes - trop dur, il est plus facile de stigmatiser Israël- renforcer en fait les jihadistes ?

On pourrait imaginer qu'un vrai journaliste militant, c'est à dire sincèrement attaché aux principes de la société de droit et concerné par le sort des civils des deux côtés, souhaiterait mettre en lumière toutes les causes des souffrances des Libanais, au lieu de cette diabolisation artificielle des Israéliens destinée à “aider” les Libanais.

Et, parmi ces causes, notre reporter intrépide soulignerait certainement, à l'intention des Occidentaux qui ont du mal à se représenter cet univers, à moins d'avoir étudié le Moyen-Âge ou le début de l'époque moderne, ce que cela signifie d'être sous la coupe d'une puissante organisation de type mafieux qui appelle aux guerres de religion et au génocide, promeut un culte de la mort, s'attaque aux civils ennemis et sacrifie bien facilement ses propres concitoyens, profanant les cadavres pour quelques points à l'audimat.

Il n'aurait pourtant pas besoin d'être un héros... Juste une personne honnête et raisonnablement modeste, qui accomplit son travail comme il convient. Sauf rares exceptions, nous n'attendons pas des journalistes qu'ils soient des visionnaires qui choisissent ce qu'il faut dire au public pour les guider sur la voie de leur “intérêt supérieur”. La différence entre propagande et journalisme est que l'un manipule, l'autre informe. La première affaiblit, le second renforce le lecteur. Nos journalistes, des gens comme Bruno Stevens, n'ont aucun mandat pour rendre ces jugements et prendre ces décisions, pour lesquels ils n'ont aucune compétence, mais s'ils se sentent habités par un souffle prophétique.

Ce qu'il faut par-dessus tout aux lecteurs (qui vivons dans des sociétés libres et pouvons nous forger une opinion en nous basant sur une presse libre) c'est une juste estimation de l'exactitude des informations que nous fournissent les médias. Si l'information est arrangée, si les photographes piétinent les règles déontologiques afin d'obtenir des clichés plus sensationnels, ces si ces images chocs amènent les leaders d'opinion à perdre toute mesure dans la condamnation d'une partie au conflit tout en détournant le regard des turpitudes de l'autre camp, alors je dirais que nous sommes tous bien mal partis.

À la fin de la seconde guerre mondiale, quand les services de renseignement américains avaient besoin de conseil, ils se tournaient vers les médiévistes, parce que ceux-ci sont formés à reconstituer un grand document à partir de petites pièces. Quand j'ai visionné “l'œuvre” de Talal Abou Rahmeh, entendu les réactions d'Enderlin et vu Bob Simon rendre compte de l'affaire Al-Durah, je me suis dit que seules des manquements internes et étendus des médias avait permis l'éclosion de Pallywood.

Et rien n'incarne mieux ces manquements que cet article, produit médiatique caractéristique du Monde, dédaigneux du monde nouveau des médias responsables que la blogosphère annonce. Il n'y a pas meilleure démonstration de la nécessité, pour les professionnels de l'information qui travaillent au Moyen-Orient, de se garder de toute compromission. En ces temps de crise, nous ne pouvons accepter des médias aux relents d'écuries d'Augias.

Réchauffement du Jihad mondial et effet de serre médiatique

Car lorsque les médias se prêtent au jeu des manipulations plutôt que de les dénoncer, non seulement ils sacrifient les Libanais innocents qui ne veulent pas que cette mafia religieuse prenne le pouvoir et les utilise comme boucliers, mais ils nuisent aussi à la société civile de par le monde. D'un côté ils nous dissimulent les actes et les motivations d'organisations comme le Hamas ou le Hezbollah, ce qui permet aux musulmans ennemis de la démocratie, en Occident, de nous (leurs alliés progressistes présumés) inviter à manifester avec eux sous des banderoles à la gloire du Hezbollah. De l'autre, ils encouragent les haines et les sentiments revanchards qui nourrissent l'appel au Jihad mondial. La température est montée de cinq degrés sur l'échelle du Jihad mondial quand les musulmans du monde entier ont vu avec horreur et indignation le spectacle de ces enfants morts que des médias avides et mal inspirés ont transmis et exploité.

Si ç'avait été un échec pour l'entreprise médiatique du Hezbollah, et que le monde, horrifié, ait été témoin de la manipulation répugnante des cadavres, dont la mort est, en dernière analyse, de la responsabilité d'une secte morbide, on peut supposer que cette fièvre serait retombée. Non seulement les jihadistes auraient eu moins d'aliment nouveau à leurs haines, mais les vrais modérés en auraient été renforcés.

Mais au lieu de dénoncer le Hezbollah, notre photographe rend compte d'une façon qui véhicule son programme, au nom du peuple libanais. Au lieu d'aider un peuple sous l'emprise d'une minorité maléfique, les médias aident cette minorité maléfique en diffusant sa propagande empoisonnée comme de l'info « rien ne nous empêchera de parler des massacres israéliens. ». Et ce faisant, ils jouent le rôle d'une serre, enfiévrant les passions jihadistes en donnant de la publicité aux discours de mort et en enflammant le monde. Comment un musulman, n'importe où dans le monde, ne serait-il pas indigné par le soutien qu'apportent les États-Unis à une bande de tueurs en série, telle que les médias lui dépeignent Israël ?

Pourquoi ?

Pourquoi les mêmes médias qui ne cessent de tancer George Bush, le pape Benoît XVI ou n'importe qui critiquant l'Islam en leur reprochant d'aggraver les choses, se lancent dans des activités concrètement dangereuses qui presque incontestablement les aggravent. Pourquoi se taisent-ils ? Pourquoi ne dénoncent-ils pas ?

Il y a beaucoup de réponses à cette question, y compris de nature psychologique. Je veux ici en aborder deux : l'intimidation et le militantisme.

Nous ignorons, et nos médias ne font rien pour nous informer là-dessus, jusqu'où s'étend l'intimidation. Si vous n'avez pas suivi de près des incidents comme l'enlèvement de Bob Simon en Iraq (21 janvier 1991) ou plus récemment la conversion forcée de deux correspondants de la chaîne Fox News, vous n'avez aucune idée du niveau de violence contre les médias qui se manifeste actuellement dans le monde arabe, et de manière croissante dans tous les pays de culture musulmane. Dans le conflit israélo-arabe, l'assassinat et l'enlèvement de journalistes sont devenus banals à partir des années 70 et 80, au moment de la naissance de Pallywood, selon nos estimations.

Cela ne doit pas nous surprendre. C'est une caractéristique des sociétés fondées sur l'opposition honneur/déshonneur que toute critique des puissants soit perçue comme une agression justifiant des représailles. Et plus encore quand une secte mortifère prend le dessus et parvient à intimider la presse occidentale jusqu'à lui faire nier l'existence même de cette intimidation.

Ce qui transparaît dans les allusions de notre reporter anonyme aux intimidations - dont les implications semblent avoir échappé à la journaliste du Monde, suggère que cette culture de solidarité obligatoire exerce à plein son emprise sur le monde de l'info au Moyen-Orient. C'est la seule façon d'expliquer non seulement l'émergence de Pallywood, mais sa persistance, années après années, comment quelque chose comme l'affaire Al-Durah peut durer six longues années de dommages visibles, constants, sans que la vérité éclate.

Mais il y a une autre explication : que ces journalistes sont des militants, des idéologues engagés qui soit ignorent qu'ils encouragent le Jihad mondial, soit nient leur responsabilité, comme ce Bryan X. qui se dégonfle pour parler des photographes qui cèdent à la tentation “d'arranger” les scènes, pour le bien du peuple libanais.

C'est maintenant à eux de décider, s'ils continueront à se boucher le nez dans leurs écuries d'Augias, à traiter de réactionnaires ceux qui se plaignent de l'odeur, à faire leur cet axiome, clairement nuisible autant que malhonnête, qui consiste à rendre Israël responsable des malheurs des Arabes.

C'est à eux de faire preuve d'assez d'humilité pour envisager qu'ils puissent ressembler aux courtisans de cet empire dont le souverain était sorti nu devant ses sujets, eux qui ont gobé une ligne qui contredit la simple réalité sous nos yeux, et rassembler assez de courage pour parler franchement. C'est à eux de montrer plus de professionnalisme et moins d'idéologie. Comme je le disais à Charles Enderlin la première fois que je l'ai vu et ai visionné les rushes : « considérez , au moins comme une hypothèse de travail, que vous avez pu être dupés. » Et, de grâce, ne répondez pas comme lui « Impossible, ils ne songeraient même pas à tricher comme ça, car je m'en apercevrais aussitôt. »

L'heure de l'honnêteté a sonné, si pénible qu'elle puisse être. Ce n'est pas à vous de décider quelle information est bonne pour les Libanais, ou les Palestiniens.

Après ce paragraphe extrêmement révélateur, dont les conséquences dévastatrices semblent avoir échappé à la journaliste du Monde, celle-ci conclue par ces vœux pieux, qui sont aussi un plaidoyer en faveur des médias français :

Les plus optimistes espèrent que les blogs inciteront chacun à redoubler de prudence, en particulier dans la vérification et la mise en légende des images envoyées par les photographes. “Si l'AFP n'a pas été éclaboussée - mis à part quelques attaques négationnistes -, c'est qu'elle a été la première à créer un bureau de proximité, avance Patrick Baz. Nous étions trois éditeurs à Beyrouth, sur place, pour traiter les photos.” Alors que Reuters a fait le choix de délocaliser l'édition des photos à... Singapour. L'agence vient d'ailleurs de muter son responsable régional de la photographie pour le Moyen-Orient, Jack Dabaghian. Quant à AP, elle vient de faire une distribution générale de son code de déontologie, en précisant à ses photographes que, désormais, tout recours à Photoshop devait être validé par un supérieur.

Non, ce n'est pas le mieux que l'on puisse espérer, c'est le moins. Le mieux serait - si vraiment, suivant l'éthique de la profession telle qu'elle s'exprime sur le site lightstalkers, ces violations sont scandaleuses, qu'elles soient dénoncées haut et fort, que les journalistes des grands médias comme Claire Guillot cessent d'en rendre compte d'une façon superficielle, trompeuse et orientée, qui minimise le problème, de donner la parole aux principaux acteurs, conscients ou inconscients, de Pallywood, de marginaliser ceux qui tirent la sonnette d'alarme et de maintenir l'opinion dans l'obscurité.

Appel aux personnels des médias

S'il vous plait, Bryan X., et tous les autres reporters et photographes qui en savent plus... Un peu de courage et d'honnêteté ! Pourquoi ne pas rendre des comptes à vos lecteurs, qui dépendent de vous, plutôt qu'à vos chauffeurs/interprètes qui vous ouvre les portes ou qu'à vos collègues qui se liguent pour défendre leur réputation professionnelle ? Que diriez vous de fissurer la loi du silence qui est à l'origine de vos écuries d'Augias ?

Les gens pourraient alors décider par eux-mêmes qui est responsable des souffrances du peuple libanais, au lieu que ce soit vous qui en décidiez. Les gens pourraient alors se défendre contre la manipulation de leurs émotions par les jihadistes qui jouent, justement, avec ces sentiments humains qu'ils ne partagent pas, et même méprisent, pour diaboliser les Israéliens qui, eux, partagent ces valeurs pour la vie et le respect des innocents.

C'est le mécanisme des accusations de crime rituel. Les calomniateurs projettent leur haine sur les calomniés, dans l'espoir de susciter une haine plus violente en retour. Pourquoi diable les médias d'aujourd'hui veulent-ils véhiculer ces atrocités médiévales ? Quand se réveilleront-ils de leur torpeur ? Hein, Claire Guillot ?



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