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Le dernier éditorial de Serge Benattar
Hélène Keller-Lind
Article mis en ligne le 31 juillet 2011

La disparition de quelqu’un que l’on a beaucoup côtoyé, avec qui l’on a travaillé sur le long terme, dans une relation de confiance, de proximité, des années durant, avec qui on a partagé les débuts de cette aventure exceptionnelle que sont les premières années puis le développement d’un journal devenu incontournable, est un choc. Surtout quand cette personne choisit de partir dans la discrétion, une discrétion qui le caractérisait, c’est-à-dire en voulant que très peu de monde sache qu’il va partir. Et je remercie DesInfos.com de me donner ici la possibilité de parler du Serge Benattar que j’ai connu au lendemain de la mort de celui-ci qui, avec son épouse, Lydia et leur famille, a été l’âme d’Actualité Juive.

Une Chef de rubrique d’Actualité Juive, puis une autre, m’appellent tour à tour pour me faire part d’une nouvelle inattendue et brutale : la disparition de Serge Benattar...Brutale car bien peu savaient qu’il était gravement malade. Il n’avait pas voulu que cela se sache, restant discret jusqu’au bout. Brutal parce qu’il était trop jeune pour disparaître ainsi. Et que la mort de quelqu’un qu’on a côtoyé est toujours trop brutale.

Le 28 juillet au matin, jour de son enterrement, avant de me rendre au cimetière de Pantin, je trouve dans ma boîte aux lettres le numéro d’Actualité Juive daté de ce jour-là. Son dernier numéro. Et je lis en page 3 son éditorial habituel. Bien plus court. Avec cette photo inattendue qui l’illustre : celle d’une plage idyllique au sable blanc. C’est dire à quel point il aspirait au repos, à la détente, au farniente, lui qui travaillait à un tel rythme, semaine après semaine, se couchant à pas d’heure lors du bouclage hebdomadaire, portant son journal sans faillir. Avec son épouse et sa famille. Car Actualité Juive, c’était aussi et surtout une histoire de famille. La sienne, mais aussi celle de la communauté juive au sens large. Et qui englobait, bien évidemment Israël...

Dans cet éditorial il parle de « dur labeur. » Et il savait de quoi il parlait...il évoque aussi ceux qui n’auront pas la chance de partir découvrir « d’autres cieux » : « ceux qui se morfondent dans les cités du 9.3, » par exemple ou ceux « qui resteront dans leur demeure à cause de problèmes de santé, de famille, de chômage ou d’obligations impondérables » et qui « sont loin d’avoir démérité. » On retrouve là, bien sûr, son sens du social, de l’empathie avec les moins chanceux. Mais on retrouve ses préoccupations propres aussi, celles de santé, mais dont il ne dit pourtant rien d’ explicite. Et cette idée centrale de « n’avoir pas démérité. » Qui s’applique tant à lui.

Toujours sur le même thème, il évoque ensuite ceux « qui savent faire la différence entre le superflu et la nécessité d’assurer un quotidien difficile. » Et vient sa conclusion : « il y a ceux qui ne partiront pas du tout. Ceux-là subissent ce qu’il serait convenu d’appeler une double peine... » Et, dans un dernier paragraphe, il note que « l’air du temps demeure celui des vacances. Si c’est ainsi, j’en prendrais bien moi aussi un peu à l’avance en réduisant particulièrement mon édito et en l’agrémentant d’une photo synonyme d’évasion. »

Photo avec la quelle il renoue aussi sans doute avec des séjours en Israël, mais un, plus particulièrement, il y a des années. Car, cette année-là, il rencontra celle qui devait devenir sa femme, Lydia, qu’il charma avec sa personnalité et sa guitare. Sur une plage d’Israël. Et de cette union naquirent trois enfants et aussi ce journal, leur œuvre à tous les deux, à celle de leur famille, mais dont il était l’indéniable chef d’orchestre.

En cet instant je me souviens aussi de mes débuts chez eux au milieu des années 80. Choquée d’avoir découvert que des « militants pro-palestiniens » - je devais conclure bien plus tard que, de fait, ils n’avaient le plus souvent rien de « pro-palestiniens » étant viscéralement anti-israéliens http://www.desinfos.com/spip.php?pa... – utilisaient publiquement pour soutenir leurs thèses un article dans magazine juif connu auquel je collaborais régulièrement alors, j’étais allée rencontrer le patron d’Actualité Juive pour lui dire que je souhaitais travailler avec lui. En effet, à la lecture de son journal qui venait de débuter, je savais que ce genre de désagrément ne risquait pas d’arriver avec lui : son soutien à Israël, même s’il était loin d’être aveugle, était infaillible. Je fus reçue par Lydia. Et ce fut le début d’une collaboration directe, très proche des années durant. Avec beaucoup de reportages en Israël où j’allais très souvent, mais pas seulement. Je me souviens que c’est lui qui, dans ses bureaux, où il faisait ce journal avec des moyens et une équipe restreints, mais dans une ambiance conviviale et familiale, m’avait appris à me servir d’une souris d’ordinateur il y a quelques décennies...mais je me souviens aussi, en cet instant, de son ouverture d’esprit, lui qui priait régulièrement, s’absentant discrètement pour ce faire, mais me traitait parfois avec un sourire teinté de commisération, sans doute, de « mécréante »...pourvu que je respecte un minimum, comme ne jamais travailler pour lui le Shabbat, par exemple.

Proximité, même si, ces dernières années, sans doute fatigué, d’autant qu’Actualité Juive avait pris une ampleur et une place incontournable, Serge avait peu à peu délégué, travaillant rarement avec ses pigistes, même ceux qui avaient été là dès le départ.

Ce que je regrettais souvent et le lui avais dit ; même si travailler avec deux Chefs de rubrique, comme je le fais actuellement, était un plaisir. Mais je comprenais qu’après des décennies d’un « dur labeur » sans cesse renouvelé, un numéro suivant un autre dans l’urgence de l’actualité, il ne pouvait plus tout gérer dans les détails. Même s’il restait le chef d’orchestre incontournable. La dernière fois que nous avons travaillé en direct, c’était en octobre 2010. Il m’avait appelée pour me commander un long article sur les nouveautés pour la destination Eilat....Comme à l’habitude, de sa manière chaleureuse mais pressée, il m’avait donné des instructions claires, un calibrage précis. Sur place, lors d’une soirée Eilat, c’est Lydia qui avait pris le relais. Et lorsque je lui avais envoyé l’article, avec copie avec la Chef de rubrique des pages concernées, actu com, l’objet de mon mail était : « vive la plage et le farniente »...ce dont, justement, il avait tant besoin. Mais je ne savais pas alors à quel point. Pourtant je savais depuis longtemps qu’il travaillait trop. Mais que pouvait-il y faire, pris qu’il était pris dans cet engrenage incontournable d’une parution hebdomadaire.

Un point d’orgue a été mis à sa vie et son action, tellement indissociables. La mesure en a été prise le 28 juillet au cimetière de Pantin, dans ce carré juif où il a été inhumé. Et où, même en cette fin juillet, il y avait foule...La place qu’il avait prise, qu’avait pris son journal ont été dites. Certains ont évoqué l’avenir de celui-ci. Et il est vrai que l’on ne peut imaginer que son œuvre s’arrête ainsi.

Mais, pour l’heure, c’est la peine qui est à l’ordre du jour. Et, force est de constater, qu’il aura tenu jusqu’au bout, jusqu’à ce dernier numéro avant l’été, avant ce mois de repos pendant lequel, sagement, Actualité Juive ne paraissait pas. Il aura donc tenu jusqu’à cette pause annuelle pour ne pas arrêter d’une manière inaccoutumée et donner du temps. Et, ça, cela ne m’étonne pas de lui.



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