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La parole d’un ami*
Shmuel Trigano
Article mis en ligne le 19 février 2012

Le discours présidentiel au dîner du CRIF, que l’on a pu suivre en direct sur plusieurs chaines télévisées d’information, est un chef d’œuvre de la rhétorique et de l’art de persuader. Il assène des propos et des jugements très durs dans des mots et une phraséologie on ne peut plus amicale. Bien que ce dernier aspect ne soit pas négligeable dans l’inimitié ambiante envers Israël et la communauté juive – on se demande d’ailleurs comment l’invité du CRIF pourrait être désagréable dans un banquet aussi sélect et mondain –, il est loin d’être suffisant sur le plan de la réalité qui presse et ne se plie pas aux périodes oratoires contrastées.

Remarquons tout d’abord l’astuce qui consistait à commencer par un leurre positif décentrant l’attention : la célébration de la libération de Guilad Shalit. C’était là le spectacle gratifiant pour tout le mode qui rejetait dans l’ombre le vrai propos. Il fut à ce propos étonnant d’apprendre de la bouche du président que toute la France s’était « mobilisée » pour lui. Je ne sais pas dans quel pays vit le président mais je n’ai rien vu de semblable si ce n’est des cas très isolés en rupture avec le consensus du silence, comme la mairie de Claude Goasguen… Quant à savoir si la France a joué un rôle dans la libération nous n’en savons rien exactement : il faut dire que, si tel est le cas, le coût de ce troc fut exorbitant pour Israël (1000 terroristes pour 1 soldat) et qu’à ce prix-là l’intercession ne fut pas trop difficile. Il n’est rien de plus classique que de voler à la victoire !

C’est entre cette célébration et l’attention excessive à l’affaire des chauffards juifs en Israël (fait divers odieux mais qui ne mérite pas de monter au sommet de l’agenda politique), propice à terminer le discours sur une tonalité émotionnelle destinée à brouiller l’attention critique que les choses les plus importantes ont été dites. Essentiellement trois dont deux concernent l’Etat d’Israël et le dernier, presque bâclé avec des formules rituelles, les Juifs de France.

Les deux premières mettent Israël en accusation. C’était adroit de partir du couple des anciens ennemis, France et Allemagne, pris comme modèle d’entente, pour arriver au couple israélo-palestinien, en en tirant l’idée que ce dernier doive s’inspirer du premier. Ici, comme ailleurs aussi, la Shoah est prise à témoin de ce que l’inimitié entre deux voisins peut provoquer. Or ce parallélisme est profondément abusif car le conflit au Moyen Orient n’a rien à voir avec celui qui opposa la France et l’Allemagne. C’est une guerre dans laquelle il y a un refus unilatéral vis à vis d’Israël, émanant du monde arabo-musulman et en premier lieu des Palestiniens et de l’Autorité palestinienne. Il n’y a par ailleurs jamais eu d’Etat palestinien et si l’Autorité Palestinienne actuelle existe c’est parce qu’Israël l’a voulu à Oslo. Que vient faire la Shoah dans cette histoire ? Et comment faire porter tout le poids de l’impasse sur Israël seul, au mépris de toute évidence ? Le président regarde peut-être trop la télévision et la presse françaises à moins qu’il n’écoute l’accusation portée par J Call… La chose tient à la caricature lorsqu’il avance ainsi qu’on n’a pas crié « Mort aux Juifs » durant le printemps arabe, alors que l’observateur informé sait pertinemment que c’est le contraire, ce que l’on peut vérifier dans les conséquences électorales islamistes de ce supposé « printemps ». « Voilà la vérité qu’un authentique ami d’Israël doit dire. » On atteint le sommet de la mauvaise foi avec ce lyrisme qui fait porter toute la responsabilité sur Israël : « Israël a suscité le respect et la crainte. Est-ce que vous ne croyez pas qu’il est venu le moment de réfléchir à la façon dont maintenant Israël va susciter de l’amour, de l’attachement, de l’admiration, de la considération ? Israël soit être aimé et pas simplement craint ? ». Mais la patrie dont les Palestiniens « rêvent » selon les mots du président a pour ambition de se construire sur les ruines d’Israël !

Le deuxième message concerne la menace iranienne. Que peut valoir l’engagement de la France pour l’existence d’Israël à la lumière de la politique qu’elle mène ? Le vote pour l’adhésion à l’Unesco de la Palestine, un Etat qui n’existe pas, est à l’image de tous les votes de la France dans les arènes internationales sous Sarkozy : toujours défavorables à Israël même si c’est pas défaut qu’elle le manifeste en choisissant l’abstention sur des questions clefs. De même, l’expérience de la force d’interposition française au Liban fut une farce après la guerre lancée par Ehoud Olmert : elle n’a jamais empêché le Hezbollah de se réarmer de façon à massive. Bien au contraire. Cette assurance risque de n’être qu’oratoire pour bloquer toute action préventive d’Israël devant une menace mortelle, le jour même où Alain Juppé déclarait qu’il fallait tout faire pour empêcher Israël d’agir. En somme, Israël va devenir demain une « menace » pour la paix mondiale. Que faut-il dire de l’Europe que le président a tenté de remettre sur les rangs de la solution au Moyen Orient : l’Union européenne ne cesse de jouer les activistes et de raviver sans cesse la conflictualité avec une obsession malsaine. Quelle est la validité de l’affirmation qu’Israël doit être « un Etat pour le peuple juif », à côté d’un Etat palestinien, à la lumière du scandale récent des ambassadeurs européens en Israël rédigeant un mémorandum sur la discrimination dont les Arabes israéliens seraient l’objet ?

Enfin, sur l’antisémitisme, la formule rituelle « chaque fois qu’un juif sur le territoire de notre république est insulté, frappé, c’est une tache sur le drapeau tricolore » est certes bienvenue mais faut-il attendre que les Juifs soient agressés ? Il y a, jusques et y compris, dans les TV publiques ou l’AFP un biais idéologique qui déforme de façon permanente les faits et crée une ambiance d’hostilité qui peut avoir des conséquences pour la sécurité, C’est cela le problème, mais il n’est pas affronté, peut-être parce qu’une situation s’est mise en place qui fait écran au réel. Une génération a été entretenue dans ces déformations de la réalité des faits. Enfin, la mise en garde sur le lien entre la loi sur le génocide arménien et la Loi Gayssot ne laisse pas d’inquiéter. Elle annonce une annulation possible de celle-ci. Comment interpréter, alors, le fait que parmi les 71 députés qui ont signé le recours au Conseil constitutionnel il y ait 51 UMP ?

L’amitié proclamée dans ce discours, se veut exigeante, mais plus exigeante envers Israël qu’envers les autres (et aussi soi-même). C’est une attitude qui s’est renforcée durant les années 2000 et qui a servi de parade à l’antisionisme. Son motto pourrait être ainsi formulé : « c’est parce que je vous aime que je vous demande plus ! » (et vous critique donc plus durement que les autres et moi-même). Il y a là en fait un pur effet de langage. C’est la définition même de l’immoralité puisqu’elle juge les hommes et les nations en fonction d’un système de « deux poids, deux mesures ». Sur ce plan-là, la justice est préférable à l’« amitié ».

  • A partir d’une chronique dans Actualité juive n° 1198, du 16 février 2012.


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