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Gaza : théâtralité et leçons d’un retrait
Arno Klarsfeld, avocat - Le Monde
Article mis en ligne le 5 septembre 2005
dernière modification le 14 septembre 2005

Il ne se passe vraiment rien ici"  : cette complainte d’un photographe de la presse italienne, au deuxième jour de l’évacuation des colons de Gaza, représentait bien l’état d’esprit spontané du vaste corps de la presse, plus nombreux sur l’étroite bande de terre de quelques centaines de kilomètres carrés que sur tout le vaste, tumultueux et sanglant continent africain.

Huit mille juifs, répartis en 21 implantations, vivaient sur près d’un quart des terres de la bande, parmi un million et demi de Palestiniens. Ils en sont partis : certains de gré, d’autres de force. En Israël comme à l’étranger, certains avaient prédit l’apocalypse : des milliers de soldats désobéiraient. Des députés avaient prévenu : « Nous ne partirons du Goush Katif que dans un cercueil », ce serait un second Massada. Jusqu’au bout, certains rabbins prédisaient un miracle.

Il était juste et raisonnable de se retirer de Gaza. Huit mille israéliens ne peuvent vivre en dehors des frontières internationalement reconnues dans des oasis, même si leur ardeur les a fait germer, tandis que les Palestiniens vivent un quotidien sordide ­ même si c’est le destin que leurs leaders ont choisi pour eux.

Pourquoi Sharon a-t-il changé d’avis, lui qui était opposé, il y a deux ans encore, au retrait de Gaza ? Ce désengagement permet de reprendre l’initiative d’un point de vue diplomatique, de ne pas se voir dépasser par des propositions extérieures, de placer théoriquement les Palestiniens au pied du mur afin qu’ils démantèlent leurs réseaux terroristes.

Enfin, Sharon ne croit pas à la paix dans le contexte actuel. Ou, s’il y croit, il ne la voit qu’à long terme. Autant, alors, se replier sur des lignes plus défendables, tout en cherchant à consolider sa position sur les implantations dans la banlieue de Jérusalem.

Ce désengagement indispensable est cependant, pour Israël, une défaite, ou le révélateur d’une erreur d’analyse historique. Depuis 1967, Israël affirmait : « Nous ne quitterons les territoires qu’en échange de la paix. » Aujourd’hui, Israël s’en va, sans rien obtenir en échange, si ce n’est la promesse du Hamas de tirs de roquettes sur les villes du Sud israélien.

Israël n’aurait sans doute jamais dû conquérir Gaza. Le zèle a joué contre la prudence et Gaza a été conquise. Israël s’était promis une occupation éclairée. Arrogance ! Même si une des premières mesures prises par Moshe Dayan, à l’issue de la guerre de six jours [juin 19 67 ] fut d’ouvrir les frontières de Gaza et de la Cisjordanie vers Israël. On a pu alors circuler librement. Il n’y avait pas de check-points, car il n’y avait pas d’attentats. Quand les Egyptiens occupaient Gaza [1949-1967], les Palestiniens ne pouvaient travailler ou même se rendre en Egypte...

Mais Israël occupait. Et toute occupation est insupportable aux populations conquises. Avec qui négocier ? Face au refus du monde arabe et des Palestiniens, Israël a laissé le mouvement des colonies se développer. Il fallait qu’il y ait des civils pour que les militaires trouvent une raison à leur présence. On parle de colonisation, mais les Israéliens tirent-ils des revenus de matières premières extraites d’une terre par des autochtones exploités, comme la France le faisait en Algérie ou en Nouvelle-Calédonie, l’Angleterre aux Indes ou les Portugais en Angola ?

La colonisation a été d’abord sécuritaire, ensuite idéologique. Elle aurait pu être évitée si une offre de paix s’était manifestée ou si les Israéliens étaient parfaits. Les Arabes n’ont pas voulu la paix et les Israéliens ne sont pas parfaits. Le problème de fond n’a cependant pas changé : les Palestiniens et le monde arabe sont-ils prêts à accepter qu’au Moyen-Orient se développe un Etat juif et indépendant ?

Il n’est pas encore midi et on s’ennuie un peu dans l’implantation de Netzer Hazani. On hésite à désigner le plus désagréable : la canicule, l’humidité, les mouches, nombreuses et agressives, ou l’absence de café. Régulièrement, quelqu’un crie : « Les soldats ! » Les premières fois, tous se ruent vers la barrière de sécurité. Mais rien n’arrive, et tout le monde repart déçu. Les hommes continuent à prier. La religion est un solide appui pour cette vie consacrée au travail, à la famille, à l’amour et l’étude de la Torah. Dans combien de villages français de 700 habitants les gens parlent-ils plusieurs langues, étudient à l’étranger et font souvent partie d’unités d’élite ?

Je cherche à joindre les anciens camarades de mon unité de gardes-frontières. « On avait reçu l’ordre de sortir. Il a été annulé », me répond-on. L’armée est une longue attente, avec des périodes de rush. Ce sera sans doute pour demain, ou après-demain. Les soldats ont reçu des cours de psychologie pour procéder à l’évacuation. Exemple de question : « Vous entrez dans une maison, la famille dîne. Que faites-vous ? a) Vous les évacuez en laissant la nourriture sur la table. b) Vous les évacuez en emportant la nourriture. c) Vous mangez la nourriture et vous ne les évacuez qu’ensuite. d) Vous vous asseyez pour discuter en tentant de les convaincre. »

L’action était bien pour le surlendemain. A Kfar Darom, devant chaque maison était constituée une force d’une vingtaine d’hommes et de femmes issus de la police, des gardes-frontières et de l’armée. Après le refus des habitants de partir, les portes ont été ouvertes. Certains ont été persuadés de sortir, il a fallu extraire les autres.

Les scènes étaient tristes, mais pas tragiques. Les familles seront raisonnablement indemnisées, pas envoyées vers une destination dangereuse. Scandaleuses, les scènes où certains sortaient les bras en l’air, une étoile de David cousue sur la poitrine. Honte à ceux qui traitaient de nazis les soldats qui les ont si longtemps protégés et sans lesquels ils auraient été égorgés !

Quant aux fanatiques, ces jeunes qui avaient promis de combattre et peut-être de se donner la mort ou de mourir, regroupés sur le toit de la synagogue, ils ont été évacués sans la moindre perte et avec quelques blessés légers. L’armée et la police leur ont permis de ne pas perdre la face devant les journalistes. Il est probable que certaines règles avaient été négociées auparavant : ces jeunes s’abstenant d’user d’une violence excessive, les forces d’intervention leur permettant de se montrer et, elles aussi, s’abstenant de frapper.

Jamais les forces de l’ordre israéliennes ne se sont montrées aussi courtoises. Il est vrai, comme l’ont écrit certains journaux israéliens, que jamais elles ne se sont conduites avec une telle délicatesse dans leurs confrontations avec les Palestiniens. Mais les excités sur le toit de la synagogue se sont contentés de lancer de la peinture, des oeufs et des tranches de pastèque. Pas d’armes à feu, de couteaux, de cocktails Molotov, ni même de pierres.

Ce n’était pas un combat, mais une simulation active, une scène destinée aux télévisions, signifiant : « Aujourd’hui nous renonçons, mais pour la Judée-Samarie ce sera un vrai combat, car cette terre est sacrée. » Les récents attentats terroristes d’un colon juif et d’un soldat déserteur contre une population palestinienne civile innocente sont aussi un message de ces quelques irréductibles animés d’une vile passion antiarabe.

Je ne crois pas que la terre d’Israël ait été divinement promise. Pour ceux qui le croient, tout est facile. Ce n’est ni Dieu ni un messie qui sont parvenus à établir une indépendance politique juive en Palestine au XXe siècle, mais un mouvement séculaire. Les juifs y sont venus pour vivre en nation libre. Israël était le seul endroit où ils pouvaient établir leur indépendance : ils avaient là des droits non pas divins mais historiques et légaux.

Les Israéliens, dans leur grande majorité, sont prêts à revenir aux frontières de 1967. Des solutions d’échange de territoires peuvent être trouvées. Rien ne s’oppose à la création d’un Etat palestinien libre et indépendant, à condition que les Palestiniens renoncent à un droit de retour qui pourrait faire théoriquement des juifs une minorité dans leur propre Etat, et qu’ils renoncent au terrorisme. Arafat ne le voulait pas, Abou Mazen aura-t-il la force et le courage de l’imposer à son peuple ?

Personne ne sait comment tout cela se terminera. Ce n’est l’intérêt ni des leaders ni des médias de prévoir la paix à très long terme. Après tout, le conflit ne dure que depuis près d’un siècle. Celui qui oppose Anglais et Irlandais pour une même terre ne s’achève aujourd’hui qu’après quatre siècles de batailles.

Les menaces démographiques, stratégiques existent pour Israël. On peut se demander comment les dirigeants palestiniens pourraient proposer à leur peuple une solution qui leur apporterait moins que ce qu’ils auraient pu obtenir pacifiquement il y a bientôt soixante ans. Pourtant les deux peuples ont tant à gagner à s’entendre et tant à perdre à continuer le combat.

L’Allemagne et la France ont sacrifié des millions de leurs fils pour la guerre de 1914-1918 dont les petits Français et Allemands aujourd’hui seraient bien incapables de désigner les causes. Il est peut-être aussi inutile de chercher à prévoir l’avenir trop d’années à l’avance, et le peuple juif, qui a vécu aux temps des pyramides et du papyrus, est encore présent au temps des gratte-ciel et d’Internet.



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