Pour le philosophe, il faut résolument opposer aux partisans du voile intégral et de la burqa la culture française, fondée sur la mixité et l’égalité des sexes.
La burqa et le voile intégral ne sont pas seulement des prisons, ce sont, comme l’a justement souligné Fadela Amara, des cercueils.
Nul accommodement n’est de mise. On ne peut pas transiger avec ces vêtements de mort dont le nombre est en augmentation constante.
Qui on ? J’aimerais pouvoir dire : l’humanité. J’aimerais pouvoir invoquer l’universalité des droits de l’homme.
Mais le temps est révolu où l’Occident se croyait autorisé à rassembler le monde entier sous le glorieux étendard des Lumières. L’expérience coloniale nous a enseigné la modestie.
Nos anthropologues, nos sociologues, nos philosophes nous ont appris à respecter l’autre en temps qu’autre et à nous méfier, sous le nom d’ethnocentrisme, de notre tendance à éradiquer les différences culturelles.
Nous avons perdu notre mandat. Nous ne sommes plus des missionnaires. Notre modèle n’est plus catholique mais dialogique. Il s’agit moins tant aujourd’hui de convertir la terre habitée aux valeurs de notre civilisation que de reconnaître l’égale dignité des êtres humains, des croyances qu’ils professent, des identités qu’ils revendiquent, des cultures dont ils sont porteurs.
Force est aussi de constater que les défenseurs du voile intégral argumentent en se référant plus volontiers à la liberté et à l’égalité, c’est-à -dire aux droits de l’homme qu’à la loi de Dieu. Il en va désormais de l’idiome des droits de l’homme comme de la langue antiraciste.
Tout le monde l’utilise.
Tout le monde s’en réclame avec la même ardeur, sinon avec la même sincérité.
Il faut donc sortir du dialogue de sourds et, pour se faire entendre, commencer à parler autrement. Plutôt que d’opposer leurs droits à celles qui revendiquent fièrement le droit au niqab, opposons-leur nos mÅ“urs ou, comme on dit aujourd’hui, notre culture.
Est-ce ainsi que les femmes vivent ? Non. Du moins pas en France. En France règne la mixité. En France, il n’y a pas pour un régime de coexistence des sexes fondé sur la surveillance et l’enfermement.
Ailleurs aussi ce régime est contesté. Et il est douloureusement paradoxal de voir ici dénoncer la stigmatisation de l’islam quand on parle d’interdire le voile intégral et la burqa, au moment où les SMS du « printemps de Téhéran » font circuler cette blague : « Pourquoi Ahmadinejad se coiffe-t-il avec une raie au milieu ? Pour mieux séparer les poux mâles et femelles ».
Mais l’Europe ne conduit plus le monde. La France ne mène plus la danse. Il lui revient simplement de s’appliquer à elle-même le proverbe que les Anglais ont tiré du droit romain : « in Rome, do as the Romans do  ». À Rome, on vit à la romaine. En France, on ne négocie la mixité.
En France, on n’abandonne pas à leur destin de « pute » les femmes qui refusent la ségrégation vestimentaire. En France, on répond par La Journée de la jupe à la séparation des sexes.
Ce « vivre-ensemble » implique bien sà »r la liberté religieuse. Mais il indique aussi que la France n’est pas une auberge espagnole. Ce pays ne se réduit pas à la diversité de ses composantes actuelles. Il a une histoire, il a une substance, il est davantage qu’un ensemble de procédures visant à régler la coexistence des communautés.
Le multiculturalisme a ceci de singulier qu’il légitime et célèbre toutes les cultures sauf celle du pays hôte, invitée, afin de faire la place, à se dissoudre. Mais l’hospitalité ne consiste pas à cesser d’être ce que nous sommes pour mieux nous ouvrir à tous les vents de l’altérité.
L’hospitalité consiste à offrir à tous ceux qui vivent sur notre sol l’essentiel de notre tradition.
L’essentiel, en l’occurrence, l’essentiel pour nous, le non-négociable, c’est la présence plénière des femmes.