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Attentat-suicide ou le Coran manipulé
par Irshad Manji | Le Monde
Article mis en ligne le 13 janvier 2009

Il y a quelques années, je me suis rendue à Gaza pour une interview télévisée avec le leader politique du Djihad islamique, Mohammed Al-Hindi. Sous sa barbe bien taillée et ses manières courtoises, Al-Hindi est censé incarner l’homme musulman moderne, modéré. Son interprétation du Coran révèle pourtant une tout autre facette...

Je lui demande de me citer un verset coranique qui autorise à se suicider pour une noble cause. A ma connaissance, en effet, le Coran condamnerait plutôt le suicide. Par l’intermédiaire de son interprète, Al-Hindi m’assure que des versets encourageant les opérations-suicides se retrouvent « un peu partout » dans les écritures saintes. Je le mets donc au défi de m’indiquer au moins une de ces occurrences. Après avoir perdu un certain temps à feuilleter le Coran, à appeler des renforts sur son téléphone portable, à consulter des commentaires, il me fait savoir qu’étant très occupé il va devoir écourter notre entretien.

« J’espère que vous n’essayez pas de vous défiler... » Al-Hindi essuie mon impertinence avec un sourire, mais je reviens à la charge : « Donnez-moi une preuve de ce que vous avancez. » Al-Hindi convoque alors deux de ses assistants, tandis qu’il reprend une conversation téléphonique. L’interprète n’a pas l’air très à l’aise face à la caméra qui se tourne maintenant vers les assistants. Dos à nous, ceux-ci compulsent frénétiquement le Coran. Quelques minutes plus tard, ils finissent par produire un verset qui fait l’éloge de la guerre.

Mais toujours pas un mot à propos du suicide ! Je réitère donc ma demande auprès d’Al-Hindi. Selon lui, l’islam autorise l’agression défensive : « Si un voleur s’introduit chez vous pour voler votre argent, n’est-il pas légitime de se défendre ? » Décidément, je ne saisis pas bien le rapport entre protection de soi et suicide. Je tente une analogie : « Si mon patron supprime mon emploi et que je me suicide parce que j’ai été spoliée de ce qui m’appartenait, cela fait-il de moi une martyre ? »

Horrifié, l’interprète se récrie : « Non, non, vous ne pouvez pas formuler la question en ces termes. » « Pourquoi pas ? J’estime qu’il est important, pour un théologien, de se confronter à ce genre de problème. » C’est à ce moment précis que les piles de ma caméra décident de rendre l’âme. Comme le fait remarquer l’interprète, mieux vaut la caméra que moi. Al-Hindi n’aurait sûrement pas manqué de faire le nécessaire si je m’étais attardée dans son bureau une minute de plus. L’interprète et moi en profitons alors pour décamper.

Cette rencontre me revient en mémoire tandis que le monde assiste à une nouvelle crise au Moyen-Orient et que des musulmans libéraux, pris au piège du communautarisme, condamnent l’action des Israéliens et en viennent du même coup à justifier l’extrémisme islamique. Pour les Palestiniens, et pour nous tous, ne serait-il pas préférable que les musulmans se posent enfin les vraies questions ? Voilà trop longtemps que nous nous en remettons à des « autorités » autoproclamées qui interprètent l’islam à notre place. Nous leur avons laissé le champ libre pour détourner des citations et abuser du pouvoir. Les musulmans semblent avoir oublié la tradition islamique de pensée critique : l’ijtihad.

Pendant des siècles, la pratique courante de l’islam a été soumise à une triple équation. Si les rituels peuvent varier d’une secte à l’autre, cette mathématique, en revanche, reste infaillible. Premièrement : unité égale uniformité. Pour être forts, les membres de l’Oumma, la communauté musulmane internationale, doivent tous penser de la même façon. Deuxièmement : débat égale division. Loin d’être perçue comme un hommage à la majesté divine, la diversité d’interprétations menace l’unité que les musulmans doivent opposer à leurs adversaires. Troisièmement : division égale hérésie. Puisque la division empêche l’uniformité, tout ce qui nous divise doit être liquidé. Ainsi, il faut résister à toute forme d’innovation et en finir avec l’ijtihad.

Ce schéma a perduré jusqu’à nos jours. Tout récemment, à Vancouver, ma mère entendait son imam prêcher que je suis une « criminelle » bien plus dangereuse qu’Oussama Ben Laden, dans la mesure où mes positions sur la réforme religieuse ont suscité davantage de « divisions » parmi les musulmans que ne l’a fait le terrorisme d’Al-Qaida. A l’en croire, le débat serait encore pire que le terrorisme ! En imputant leurs divisions à la libre expression, plutôt qu’à l’usage de la violence, cet imam mène les musulmans à leur perte. Aujourd’hui plus que jamais, il est urgent de diffuser l’esprit d’ijtihad.

Assurément, la plupart d’entre nous - je ne parle pas seulement des musulmans - auraient bien besoin d’apprendre à penser par eux-mêmes. Revenons un instant dans le bureau de Mohammed Al-Hindi, à Gaza : tandis que nous en sortions, je demandai à l’interprète pourquoi Al-Hindi avait accepté de m’accorder une interview filmée, sachant qu’il serait bien en peine de me citer le moindre verset pour étayer son affirmation selon laquelle le Coran justifie des opérations-suicides. Réponse de l’interprète : « Il pensait qu’il aurait affaire, une fois de plus, à un de ces journalistes occidentaux débiles. » Jamais aucun reporter occidental ne songe en effet à poser à ce terroriste patenté la question élémentaire : qu’est-ce qui prouve que vous agissez au nom de Dieu ? Sans doute est-il temps que les médias eux aussi, comme les musulmans, se convertissent à l’ijtihad. Je me ferai un plaisir d’y initier les volontaires.

Traduit de l’anglais par Myriam Dennehy



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