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Tariq Ramadan dans un numéro de haute voltige
Par Gérard Huber, correspondant permanent à Paris © Metula News Agency
Article mis en ligne le 2 novembre 2003

L’article du philosophe et islamologue Tariq Ramadan (in Le Monde du 29 octobre 2003) est une habile tentative de justifier l’idée qu’il existe une question juive.

Soixante ans après la Shoah, plus personne n’ose, en effet, reprendre cette expression à son compte. Si donc l’on veut en justifier le retour, rien ne vaut la démonstration qui consiste, à partir de l’exposé de la question antisémite, en occupant d’ailleurs la place de celui qui sincèrement condamne l’antisémitisme, à la déplier de telle sorte qu’elle mène inexorablement à comprendre que la vraie question est la question juive.

Cet article tourne autour de l’axe dissymétrique suivant : d’un côté, il existe une nécessité pour les Juifs de « revendiquer leur identité juive afin de mieux la dépasser dans l’expression de la citoyenneté française », de l’autre, une nécessité pour les « Français » d’origine immigrée « et/ou musulmans » de sortir des « ghettos, à la double condition d’une réforme profonde de la politique économique, sociale, urbaine et éducative, en même temps que d’une reconnaissance du fait qu’il existe un réel problème en France vis-à-vis de l’islam, toujours considéré comme une religion étrangère ».

Pour celui qui sait lire, cela signifie que « l’identité juive » doit se transformer pour mieux correspondre à la citoyenneté française, alors que c’est à la citoyenneté française de se transformer pour accueillir les « Français » d’origine immigrée et/ou musulmans « . Le premier progrès à faire est identitaire : l’identité juive doit mieux faire, si elle veut être pleinement française. Le second progrès est socio-éducatif : ce n’est pas aux » Français « d’origine immigrée et/ou musulmans », mais à la société française de mieux faire, c’est à elle de reconnaître l’islam comme une religion pleinement française. L’effort de l’identité juive est de l’ordre du « dépassement », celui des « acteurs musulmans » est de l’ordre de l’accès, sans « se renier » à une « citoyenneté fondée sur les valeurs communes ».

Mais l’artifice ne s’arrête pas là. L’auteur explique que le dépassement de l’une et l’accès sans reniement de l’autre culminent dans des « promesses universalistes » qui ont nom la religion + l’altermondialisation.

Certes, Ramadan n’explique nulle part en quoi l’ouverture de l’identité religieuse (musulmane) à la lutte globale contre la mondialisation néolibérale, les multiples formes d’injustices et l’oppression des femmes sont riches de « promesses universalistes ». Il sait trop bien que l’Universel est aujourd’hui en crise, et que nul ne sait plus le définir, si ce n’est comme un Universalisable. Mais le mot sonne bien, d’autant mieux, d’ailleurs, qu’il permet de pointer l’idée que la religion musulmane serait plus proche de l’Universel que l’identité juive. En effet, dans cette approche de l’Universel, l’identité juive aurait un effort interne à faire, elle devrait se dépasser, tandis que la religion musulmane, elle, n’aurait rien à changer.

En fin d’article, Ramadan reproduit son parallèle entre les deux « autres voix », la juive et l’arabe et/ou musulmane, non sans fixer les tâches principales de l’une et de l’autre. Pour la première, se dépasser signifierait libérer la critique d’Israël. Pour la seconde, ce serait faire respecter l’islam et oser la critique des dictatures et des extrémismes islamiques. A quoi il ajoute la tâche de l’Universel altermondialiste (illustré en la matière par le Forum Social Européen / FSE) qui serait de refuser la judéophobie et l’islamophobie et de dénoncer les injustices.

Et de souligner que « le FSE ne doit être, en soi, ni pro palestinien ni anti-israélien ».

Malheureusement pour l’auteur, cette neutralité n’est qu’apparente. En effet, si au moment de dénoncer les autorités politiques où sévissent les injustices, Ramadan cite la Russie, la Chine et l’Arabie Saoudite, il tient à citer également Israël, écartant délibérément l’Autorité Palestinienne de sa liste. La fin de son article est donc bel et bien pro palestinienne…

A partir du moment où l’on se rend compte que cet article vise à dédouaner l’Autorité Palestinienne de toute responsabilité d’injustice, on se met à le lire à rebours.

Tout à coup apparaissent les nombreux glissements de sens et d’expressions qui indiquent un manque évident de rigueur, pour ne pas dire une manipulation de la pensée.

Chacun sait, par exemple, qu’en France existe un « Colloque des intellectuels juifs de langue française ». Il est donc totalement aberrant de mentionner que « l’on ne peut parler d’intellectuels juifs » sans risquer de prêter le flanc au soupçon d’antisémitisme « . La ficelle est un peu grosse. A moins que, lorsqu’on utilise cette expression, c’est pour dire quelque chose de spécifiquement péjoratif sur ces intellectuels, par exemple qu’ils défendent un particularisme incompatible avec cette » France qui a changé " (sous-entendu, la récente immigration arabe et/ou musulmane permet à la France de découvrir que le particularisme juif pose problème).

Chacun sait également que « intellectuel juif » n’est pas synonyme de « intellectuel pro israélien ». Mais l’utilisation du glissement de l’un à l’autre a une fonction spécifique dans l’article de Ramadan : passer de la question de l’antisémitisme à celle de l’anti-sionisme, sous le prétexte qu’être pro israélien serait nécessairement pousser au repli communautaire juif et à la séparation avec la citoyenneté française.

Ce glissement n’a vraiment aucun sens. Il érige le point de vue personnel (et, au-delà du Quai d’Orsay) sur la politique israélienne en critère d’appartenance identitaire et en critère de division entre Juifs qui seraient français d’abord, juifs ensuite, Juifs qui seraient français d’abord et qui pour s’affirmer juifs devraient critiquer Israël, et Juifs, qui ne critiquant pas Israël, pourraient être soupçonnés d’être des Juifs infidèles à la France.

A moins que ce glissement ne vise, au-delà de la confusion, à donner à croire que le but des « intellectuels pro israéliens » est de définir l’identité française par le parti pris pro israélien, bref de la dissoudre dans une sorte d’identité pro israélienne, moyennant quoi ceux qui s’y refuseraient, d’abord les Juifs qui ne soutiennent pas Israël, puis les autres Français, tous les autres, commenceraient par être pris en otage.

Ce qui est intéressant, dans un tel article, c’est de voir comment les reproches « classiques » faits aux Juifs sont reformulés par un philosophe islamologue aujourd’hui. Les questions (totalement incompatibles avec l’universalisme) : Qu’est-ce qu’un bon Juif ? La bipatridie est-elle tolérable et à quelles conditions ? sont de retour.

Que certains Juifs tombent dans le panneau de ces questions ne prouve pas qu’elles sont sensées. Le plus difficile est de se soustraire à la détermination de l’identité juive par des critères extérieurs. En appui sur « l’Autre voix juive », Tariq Ramadan se paie le luxe de proposer ses critères. Il est surprenant, pour ne pas dire plus, que son discours ne soit pas ramené à sa juste mesure : l’équilibrisme d’un intellectuel qui veut faire progresser l’islam en projetant sur l’identité juive les problèmes que, du fait de sa propre décision, cette religion doit résoudre.



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