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Pour le philosophe palestinien et président de l’université Al-Qods, la résistance a été monopolisée par les groupes militaires
« Nous jouons le jeu de Sharon »
Sari Nusseibeh - Le Figaro
Article mis en ligne le 29 septembre 2003

Sari Nusseibeh, 54 ans, président de l’université Al-Qods de Jérusalem-Est, professeur de philosophie diplômé d’Oxford et de Harvard, a toujours marché de son propre pas. Ce patricien de Jérusalem, organisateur actif de la première intifada, a choqué une partie des Palestiniens en recommandant l’abandon du principe du droit au retour des réfugiés de 1948 en Israël. Il a publié un plan de paix avec l’Israélien Ami Ayalon, ancien chef du Shin Beth, les services de sécurité intérieure.

LE FIGARO. - Quel est votre jugement sur l’intifada ?
Sari NUSSEIBEH.
- Je l’ai toujours appelée « la prétendue intifada ». J’ai toujours pensé que le mouvement n’était pas clair, qu’il était sans stratégie, sans implication de la population. Sauf pendant les trois premières semaines, où les gens sont sortis dans la rue. La résistance a été ensuite monopolisée par les groupes militaires, coupés de la population. Pour moi, toute résistance doit être civile et partir de la base. La militarisation, la mise à l’écart du peuple, le pouvoir de décision concentré dans les mains de quelques-uns, voilà ce que ça donne : nous jouons le jeu de Sharon. Nous lui avons donné une excuse pour aller de l’avant et construire le mur de séparation. Il ne l’aurait pas fait s’il n’avait pas pu dire à George Bush : « Regardez, nos enfants meurent dans les explosions de nos bus et de nos écoles. » De notre point de vue, ces trois années sont désastreuses.

Comment voyez-vous le rôle de Yasser Arafat ?
On l’a déclaré « hors jeu ». Il a prouvé qu’il ne l’était pas. Mais pour moi, le problème, c’est moins Yasser Arafat que les gens qui l’entourent. Où est la direction ? Pourquoi ne disent-ils pas ce qu’ils veulent ? Ce qui nous a manqué, c’est une stratégie claire, précise, articulée avec courage, honnêteté et transparence. Ce qui nous a manqué, c’est d’avoir compris l’essentiel : notre véritable partenaire, notre partenaire stratégique, c’est l’ennemi. Et c’est sur cet ennemi que nous aurions dû et que nous devrions nous concentrer pour arriver à un accord avec lui. Au lieu de cela, nous avons continué à chercher des solutions à l’extérieur. Alors que la solution est chez nous, chez les Palestiniens et chez les Israéliens.

Vous avez mentionné la « clôture de sécurité » qui, selon le gouvernement israélien, doit empêcher les attentats. Que lui reprochez-vous ?
Je peux comprendre qu’avec un mur, les Israéliens se sentent plus en sécurité, au moins du point de vue psychologique. Mais dans ce cas, le mur devrait entourer les Israéliens. Or, c’est le contraire : le mur enferme les Palestiniens dans de petits centres urbains. Nous pouvons prévoir l’avenir en regardant ce qu’il se passe à Qalqiliya. Il s’agit de nous mettre dans des cages dotées de portails et de nous permettre de passer d’une cage à l’autre, mais seulement à condition d’avoir un permis. Tout cela se passera sur 47% de notre territoire. Les Israéliens garderont le contrôle total des zones les moins habitées de la Cisjordanie : tout le couloir de la vallée du Jourdain, le couloir de Jérusalem, et d’autres couloirs à travers toute la Cisjordanie.

Si le projet va à son terme, quelles pourraient en être les conséquences ?
Je ne crois pas que le mur apportera aux Israéliens la sécurité dont ils ont besoin. Le pays est fait de telle façon qu’il y aura quand même beaucoup d’Arabes à l’intérieur du mur et des Juifs à l’extérieur. Ceux qui ont l’intention de tuer des gens le feront, qu’ils se trouvent d’un côté du mur ou de l’autre. Prenez le mur à Tsur Baher, près de Bethléem : il passe en plein milieu du village. Il y aura donc des Arabes de chaque côté. Cela veut-il dire que d’un côté du mur, il y aura des Arabes potentiellement « mauvais » et de l’autre des Arabes potentiellement « bons » ? Cela n’a aucun sens.

Et les conséquences politiques ?
Imaginons que les Israéliens continuent à construire des colonies et à contrôler les territoires palestiniens. Le temps viendra, dans deux, trois, quatre, cinq ans, où beaucoup de Palestiniens commenceront à dire : « Nous vivons dans des cages, dans un système d’apartheid, alors nous voulons un seul Etat et l’égalité des droits pour tous ceux qui y vivent. » Cela nous fera entrer dans une nouvelle ère du conflit. Elle durera vingt, trente, cinquante ans. Ce sera horrible.

Vous n’êtes pas en faveur de cette solution ?
Je le dis depuis quinze ans : je préfère qu’Israël nous annexe et que nous ayons l’égalité des droits. Mais pas dans l’immédiat. Je suis en faveur d’une solution qui convienne aux deux peuples. Si la majorité, des deux côtés, disait aujourd’hui : « Nous voulons un seul Etat », je les suivrais. Mais ce n’est pas le cas. Et si on créait un Etat unique aujourd’hui, ce serait malgré la volonté des deux peuples. Il faut d’abord avoir chacun notre Etat et alors peut-être, si chacun est chez soi et se sent en sécurité, nous pourrons, dans dix ou cinquante ans, envisager l’option d’un seul Etat. Mais nous devons le faire dans la paix.

Pensez-vous que la création d’un Etat palestinien est encore possible ?
Je pense que ça l’est « maintenant ». Mais que veut dire « maintenant » ? Tout le monde sent que nous sommes à un tournant, mais sans savoir où nous allons



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