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L’amnésie d’Amnesty

Par Anne Applebaum - washingtonpost.com (Adaptation française de Simon Pilczer ©, volontaire de l’IHC)

Parfois ces rapports étaient remarquablement détaillés, témoignant de l’extraordinaire capacité de prisonniers à faire sortir clandestinement leurs histoires. L’une d’elle comprenait l’observation mémorable que le 13 septembre 1979, le prisonnier Zhukauskas « trouva un ver blanc » dans sa soupe. Un rapport plus atroce délivré en 1987 racontait l’histoire de la grève de la faim et de la mort en prison de l’écrivain dissident Anatoly Marchenko. Sa veuve, refusant un certificat de décès ou des funérailles convenables, écrivit son nom avec un stylo à bille sur son tombeau improvisé.

Mais Amnesty publia aussi des informations plus générales sur le système politique soviétique, dont l’ensemble - les medias dirigés par l’Etat, les cours, la police secrète - était destiné à la suppression de toute opposition politique. C’était un travail important, essentiellement parce que la plupart des citoyens soviétiques étaient trop effrayés pour le faire. Après tout, du vivant de Staline, de mémoire encore récente, quelques vingt cinq millions de personnes avaient été arrêtés en Union soviétique, arbitrairement le plus souvent, et placés par milliers dans des camps de travail forcé et exilés dans des villages à travers tout le pays. Des millions sont morts de faim et d’épuisement au travail. Ce système de camps de prisonniers, connu comme le goulag, jetait une ombre si horrible que la population en était encore effrayée, 30 ans après la mort de Staline.

Amnesty’, en d’autres mots, est une organisation qui a su un jour la signification du mot “goulag”. ‘Amnesty’ a aussi connu un jour l’importance de la neutralité politique. Sur son site Web, l’organisation se décrit encore comme « indépendante de tout gouvernement, de toute idéologie politique, de tout intérêt économique, ou d’une religion ». Pendant le temps de la guerre froide, cette neutralité était importante, puisqu’elle prévenait les publications de l’organisation, qu’il s’agisse de la nourriture en prison ou des morts en prison, d’être considérée comme de la propagande en faveur d’un camp ou de l’autre

J’ignore quand ‘Amnesty’ cessa d’être neutre politiquement ou à quel point la vision de ses dirigeants lui donna une forme d’anti-américanisme ordinaire. Mais sûrement, le mauvais usage récent par ‘Amnesty’ du mot « goulag » marque un tournant. Il y a quelques jours, non seulement la secrétaire générale ’d’Amnesty’, Irène Khan, a désigné la prison américaine pour les combattants ennemis de Guantanamo Bay à Cuba, « le goulag de notre époque », mais aussi le directeur américain ‘d’Amnesty’, William Shulz, a marqué son accord sur le fait que les prisons américaines pour les combattants ennemis sont « similaires au moins par la réputation, si ce n’est par la dimension, à ce qui est arrivé au goulag ». Dans un entretien, Shulz a aussi déclaré que des gouvernements étrangers devraient poursuivre des officiels américains, comme s’ils étaient l’équivalent de la direction criminelle de l’Union soviétique.

Ainsi, Guantanamo est le goulag, le Président Bush est le généralissime Staline, les Etats-Unis, selon les mots de Khan, sont une « hyper-puissance » qui font un « pied de nez à la règle de la loi et aux Droits de l’Homme » exactement comme l’Union soviétique. J’ai trouvé cette comparaison exaspérante parce qu’en Union soviétique il aurait été impossible à la Cour Suprême d’ordonner à l’administration de changer de politique à Guantanamo Bay, comme elle l’a fait, ou pour Irène Khan de publier un rapport indépendant sur quoi que ce soit à ce sujet.

Comme Khan et Shulz, je suis scandalisée par les pratiques de détention administratives et la politique d’interrogatoire, par l’absence de mécanisme légal pour juger de la culpabilité des terroristes présumés, et par l’absence de toute enquête extérieure dans les rapports sur les abus en prison. Mais je déteste ces choses précisément parce que les Etats-Unis ne sont pas l’Union soviétique, parce que nos centres de détention ne sont pas consubstantiels à notre système politique, et parce qu’ils ne sont donc pas du tout « similaires en réputation » au goulag.

Par-dessus tout, Je les hais parce qu’elles sont contre-productives. Comme la ‘Guerre Froide’, la guerre contre le terrorisme est une guerre idéologique, celle que nous « gagnerons » quand nos opposants abandonneront et se joindront à nous, exactement comme les Allemands de l’Est affluèrent par-dessus le Mur de Berlin. Mais si les jeunes du monde arabe doivent rejeter l’islamisme radical et sauter ce mur, ils devront admirer ce qu’ils voient de l’autre côté. Nous n’avons pratiquement jamais eu si profondément besoin auparavant d’avocats des Droits de l’Homme neutres, crédibles, qui puissent enquêter sur la politique de détention américaine dans son contexte, en rappelant que nous vivons dans un système dont les Cours, la législation, et les médias peuvent tous affecter le changement.

Amnesty’, par abus de langage, par abandon de sa neutralité antérieure, et en donnant à l’administration une solution aisée pour repousser des accusations « ridicules », se prive elle-même de ce qui devrait être son meilleur allié. Les Etats-Unis, en tant que plus grande et plus puissante démocratie dans le monde, restent, malgré tous ses défauts, le meilleur espoir dans le monde pour la promotion des Droits de l’Homme. Si ‘Amnesty’ croit encore à sa mission déclarée, ses dirigeants devraient pousser les institutions démocratiques américaines pour influer la politique américaine dans le sens du bien dans le monde, et ne pas attaquer le gouvernement américain pour la simple satisfaction de leur propre faction politique.


Version en anglais : http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2005/06/07/AR2005060701497.html?referrer=email



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