Euro-Palestine ou la monnaie de sa pièce

Par Stéphane Juffa © Metula News Agency

mardi 22 juin 2004

Les medias français ont commencé à s’inquiéter de l’arrivée de la liste Euro-Palestine sur l’échiquier politique. Comme à leur habitude, cependant, il faut avoir en mains un lexique des termes alambiqués qu’ils utilisent afin d’essayer de comprendre l’origine de leurs craintes.


Le plus que les téléspectateurs et les lecteurs de quotidiens franciliens lambda auront saisi de ce charabia, c’est que la persistance d’Euro-Palestine pourrait créer « le danger d’un vote communautariste ».

Mais la liste s’appelle Euro-Palestine et l’entête de sa raison d’être déclarée ne consiste qu’à défendre le peuple palestinien devant l’agression raciste israélienne. C’est ce que la tête de liste, le chirurgien Christophe Oberlin, le clown Dieudonné et la pathétique Olivia Zemor ne cessent de répéter. Il n’y a d’ailleurs pas de raison de douter du choix de leur engagement, même si c’est bien la seule chose dans leur initiative qui ne soit pas entachée de doutes.

En quoi, dans ces conditions, ce mouvement faisant appel à la morale universelle afin de stigmatiser le sionisme, en quoi ce mouvement désireux de porter à Strasbourg la demande permanente de sanctionner Israël, enferme-t-il le risque d’un vote communautariste ?

Pour une fois, le moins inquiet dans cette histoire, c’est Israël, parce qu’il n’a rien à craindre de l’existence de cette organisation, ni de son emprise ultra marginale sur l’opinion européenne et française. Je dirai même plus, mon cher Dupont, Israël doit regretter qu’Euro-Palestine n’ait pas atteint le quorum et que les membres du parlement européen n’aient pas à subir les excès rhétoriques d’un ou deux de leurs députés. A entendre parler de la mainmise juive sur la presse et sur le show-biz planétaire et des génocides imaginaires que nous commettons tous les jours, les eurodéputés auraient vite eu la nausée de ces discours racistes et simplets et de la sympathie affichée d’Euro-Palestine pour tous les groupes terroristes dont le but recherché est l’éradication de mon pays.

La où les choses se corsent, c’est que même sous la pression de Madame Zemor, le parlement européen n’aurait pas consacré l’entièreté de ses séances à la question palestinienne. L’Europe étant ce qu’elle est, son assemblée continuera à s’occuper en priorité des affaires qui la touchent et c’est dans ces débats d’ordre général que la présence d’un parti fondé sur la défense d’une seule cause - non européenne de surcroît - serait devenue incongrue. Assurément, Oberlin, Zemor ou Dieudonné n’auraient pas quitté l’enceinte lorsqu’on y débattra des questions économiques, monétaires, politiques et sociales.

Or c’est bien plus la clientèle d’Euro-Palestine que ses candidats égarés qui effrayent l’oligarchie parisienne. Comme l’a dit Majid, un éducateur de banlieue, à François Capelani du Monde (in le Monde, livraison du 22 juin) : l’émergence d’Euro-Palestine a permis la « prise de conscience politique dans les quartiers » où, dit-il, « la question palestinienne est un dénominateur commun ».

Ca n’est donc pas le communautarisme qui est en jeu et qui fait peur à la classe politique française, mais bien la prise de conscience politique de leur force et de leur importance par les musulmans français. Autant dire les choses comme elles sont. Et Majid a tellement raison, lorsqu’il parle du « dénominateur commun » que constitue la question palestinienne, qu’il mériterait une médaille d’or au jeu de l’analyse stratégique. Ce qu’il veut dire, c’est que la force des musulmans européens et français est aujourd’hui diffuse et que tous les mahométans, loin s’en faut, ne fréquentent pas les mosquées islamistes. Lors, dans l’ombre de la Palestine outragée, se profile la résine de l’organisation et de l’union politique des cités, avec son cortège de ressentiments inexprimés.

Lorsque Capelani interroge Khaled, à la fête d’Euro-Palestine, ce dernier ne fait même pas allusion au « problème », il profite au contraire du sentiment d’être enfin entendu pour exprimer sa douleur : « On est français, mais on n’est pas au même niveau que tout le monde. (...) Il y a deux poids, deux mesures. »

Il ne manquait qu’un pan à cette trilogie : conscience - indignation - revendication et on en trouve témoignage, toujours dans le même reportage, décidément très instructif. C’est Ahmid qui le livre : Euro-Palestine « défend les vraies valeurs ! »

Vous l’aurez compris, ô lecteurs cultivés de la Ména, que ses créateurs l’aient eux-mêmes admis ou qu’ils l’ignorent encore, en se constituant en parti politique, Euro-Palestine est devenu, à son corps défendant peut-être car je ne vois pas en quoi Oberlin pourrait se reconnaître dans les « vraies valeurs » desquelles parle Ahmid, une bombe atomique prête à exploser à la figure des establishments français et européen. C’est que la clientèle potentielle d’EP est extraordinaire, elle atteint plus de six millions d’électeurs en France et plus de vingt millions en Europe ! Si ce mouvement est efficacement géré, il pourrait devenir, en l’espace de cinq à six ans, l’une des plus grandes formations siégeant sur les bords du Rhin.

Où est le problème, demandent les plus optimistes, qu’une partie significative de la population soit enfin représentée politiquement ? Moi, de répondre, que ce problème n’est en tous cas pas le mien, en Israël les musulmans sont fort correctement représentés, même si c’est par des formations qui pour la plupart haïssent notre organisation politique, mais que j’imagine sans difficulté qu’il peut donner la migraine à certains ministres.

Je n’ai pas de raison de me réjouir des misères des autres, même si le pouvoir français et les journaleux à sa botte les ont pour le moins cherchées. A coups des impostures quotidiennes de l’AFP, des télévisions, des radios, des Cypel, Plenel, Nahum, Enderlin et des prises de positions du Quai d’Orsay, le pouvoir tricolore a construit une statue du Commandeur Sharon, dont l’ombre était censée cacher à la fois la ghettoïsation des citoyens issus de l’émigration et les cicatrices ouvertes des crimes de la France contre ces émigrés et contre leurs pays d’origine. Pour la troisième fois dans l’histoire moderne, par une sorte de nécessité instrumentale, l’intelligentsia française a attrapé la peste antijuive. La première fois, c’était lors de l’affaire Dreyfus, la seconde, en emboîtant le pas des nazis après la défaite de 40 et la troisième, c’est maintenant.

Et chaque fois, le pouvoir bourgeois a instrumenté les juifs, qui ne lui posaient pas le moindre problème objectif. Chaque fois, il les a affublés des crimes de race les plus stupides et mensongers, qui ne perçaient la conscience populaire qu’à la force d’un martèlement permanent. Les mêmes thèmes qualifiant leur dégénérescence morale apparaissent à chacun de ces épisodes, chaque fois, avec des illustrations journalistiques inattaquables à l’appui. Ainsi, on viole les fillettes, on est à ce point fourbe qu’on trahit les pays où l’on vit et ceux qui nous soutiennent et puis, on tue les enfants, parce qu’ils sont encore plus faiblesque nous et parce que nous sommes « méprisants et que nous prenons du plaisir à humilier ».

Adolf Hitler a utilisé le prétexte d’une menace juive inexistante pour accéder au pouvoir, tandis que l’oligarchie petite-bourgeoise française, issue du système des grandes écoles, nous a fabriqué une image de monstres pour s’y maintenir et pour apaiser les revendications de sa plus grande minorité qu’elle ghettoïse.

Sous Pétain, les ennemis s’appelaient les « Judéo-bolcheviques », et toujours, dans un même souffle, de Radio Paris à RFI on parlait et on parle, comme si, dans le cas des juifs les plus grandes contradictions devenaient naturelles, de la mainmise des juifs sur la finance, la presse et les gouvernements de la planète. De ces juifs qui « envoient les autres faire la guerre à leur place », comme Pétain parlait de « De Gaulle, la marionnette des banquiers juifs à Londres ».

Mais gare à la mystification à terme, les juifs n’ont toujours rien à faire dans ces histoires ! Dans les caves des cités crasseuses, il n’y a ni feujs ni shadoks. Quand on se tire une bouffée d’hélium, qu’on se tourne une tassepé, il y a encore moins de Barthez et de Lizarazu que dans l’équipe de France… La France d’aujourd’hui, c’est : « Ecoutez ce que je dis mais n’imitez surtout pas ce que je fais ! » Jusqu’à l’AFP, grande productrice des fables sur notre inhumanité mais qui paie les employés de son bureau de Jérusalem très largement mieux que son personnel arabe.

Et puisque j’ai parlé de football, rappelez vous France-Algérie, les sifflets sur la Marseillaise. Et demandez-vous enfin pourquoi les émigrés auraient-ils oublié, à l’instar des bons Français, qu’en 1961 leur police jetait, véritablement cette fois, des centaines d’entre eux par-dessus les ponts, à mourir dans la Seine glacée et en étranglait d’autres dans les cours des commissariats de Paris. Pourquoi voudriez-vous qu’ils vous aiment ?

La statue du Commandeur bientôt ne fera plus du tout d’ombre. Depuis la création de notre pays, en quatre conflits armés et deux Intifadas, on n’a toujours pas trouvé le moindre Sétif, le plus petit massacre authentique à nous coller sur le dos. Israël ne peut, dans ces conditions, que servir d’alibi très temporaire.

Aux dernières nouvelles, Euro-Palestine n’aurait pas encore décidé s’il continuait sa carrière politique. La France joue gros sur cette décision. Elle pourrait avoir à s’occuper sérieusement de l’intégration de ses banlieues, d’intégrer, chez eux, huit millions de personnes qui ont de bonnes raisons de ne pas aimer la France.


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