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Le mirage d’un Etat palestinien
Luc Rosenzweig
Article mis en ligne le 28 décembre 2007

Après les réunions d’Annapolis et de Paris, en dépit des beaux discours et de la générosité de la communauté internationale, la perspective de l’instauration d’un Etat palestinien est plus éloignée que jamais.

En apparence, tous les protagonistes de l’interminable conflit israélo-arabe s’accordent sur un point : il n’existe pas d’autre issue que le partage du territoire de l’ancienne Palestine mandataire entre un Etat juif et un Etat arabe, aux frontières internationalement reconnues et ayant, pour le premier, Jérusalem-ouest pour capitale, et, pour le second, Al Qods (Jérusalem-est).

Ces principes, que l’on a aujourd’hui coutume de désigner sous le nom de « paramètres Clinton », en référence aux documents établis sous l’égide de l’ancien président américain, à la fin de l’année 2000, à Camp David et à Taba, fondent l’action diplomatique de la communauté internationale pour faire avancer un processus de paix en panne depuis près d’une décennie. Ils ont fini par être acceptés - grâce à Ariel Sharon - par l’écrasante majorité de la classe politique et de l’opinion publique israéliennes, constituent la doctrine de l’administration de George W. Bush sur ce problème, et ont été adoptés - cette fois-ci, semble-t-il, sans arrière-pensées - par la direction palestinienne, incarnée par Mahmoud Abbas et son premier ministre Salam Fayyad.

Si l’on ajoute à cela le soutien actif de l’Union européenne et de la Russie à la mise en oeuvre de cette solution, et celui, plus discret mais bien réel, des pays arabes dits modérés présents à Annapolis en novembre 2007, l’affaire pourrait sembler en bonne voie. Un scénario optimiste devrait alors s’imposer : remise en selle par le retour des subventions internationales et quelques gestes significatifs de la part d’Israël (gel des implantations, diminution des barrages routiers en Cisjordanie, etc.), la direction palestinienne pragmatique parvient à reconquérir le soutien populaire, y compris à Gaza, et à reprendre le dessus sur les extrémistes du Hamas. La communauté internationale, devenue vigilante, fait en sorte que les subsides alloués au Palestiniens ne s’évaporent pas dans la mal-gouvernance et la corruption, et que la partie israélienne remplisse scrupuleusement ses engagements de démantèlement des implantations dans les territoires qui seront dévolus, à l’issue d’une ultime négociation, au futur Etat palestinien.

De la franche et brutale hostilité, les relations israélo-palestiniennes passeraient alors à la méfiance sans affrontement, puis à l’indifférence, avant de se transformer en une amitié fondée sur une coopération transfrontalière profitable aux deux parties.

Ce scénario, adaptation moyen-orientale de la grande réconciliation intra-européenne de la seconde moitié du XXe siècle, n’a malheureusement qu’une chance minime, voire nulle, de se réaliser.

Aussi forts, déterminés et sincères que soient les promoteurs de ce compromis historique, ils se heurtent à une loi d’airain : n’accède au statut d’Etat-nation qu’un peuple qui est, jusque dans ses entrailles, décidé à le devenir, et qui est prêt, pour cela, à accepter tous les compromis nécessaires, même les plus douloureux, une fois qu’il est établi qu’il ne peut parvenir à ses fins par la seule force militaire.

C’est ce que nous enseigne l’histoire de l’Europe, y compris la plus récente. Or, si l’on observe les discours, les actes et le comportement de la société palestinienne dans toutes ses composantes, y compris ceux des Arabes d’Israël et des réfugiés dans les pays avoisinants, force est de constater que ce « désir d’Etat » reste, pour une très large part, de l’ordre de l’incantation.

En ce qui concerne le Hamas - vainqueur, rappelons-le, des dernières élections dans les Territoires -, la question est réglée, explicitement : ce mouvement rejette la formule « deux Etats pour deux peuples », et ne se réfère qu’à la notion d« oumma », de communauté des croyants pour revendiquer la souveraineté de l’islam (et non d’une future entité étatique palestinienne) sur l’ensemble du territoire, y compris Israël. Ce faisant, il rejette la perspective d’un Etat arabe en Palestine au jour où serait anéantie « l’entité sioniste ».

Les Palestiniens réfugiés au Liban, en Syrie et en Jordanie, et dont l’influence au sein de l’OLP (instance suprême du mouvement national) n’est pas négligeable (on l’a vu lors des discussions de Camp David), ne céderont pas d’un pouce sur leur « droit au retour » dans les localités d’où ils ont dû partir en 1948, ce qui est considéré comme totalement inacceptable par Israël.

Les Arabes israéliens, qui constituent 20% de la population de l’Etat juif, ont fait savoir, de manière très ferme, qu’ils n’entendaient pas être « échangés » dans le cadre d’un accord où leurs villes et villages proches de la « ligne verte » seraient transférés à l’Etat palestinien. Ils veulent rester israéliens pour d’évidentes raisons économiques, et de plus en plus nombreux sont les intellectuels et militants des droits de l’homme de cette communauté qui se prononcent pour la constitution d’un Etat unique démocratique et binational entre la Méditerranée et le Jourdain. Ils demandent à Israël de renoncer au caractère juif de l’Etat au profit d’une formule qui ferait d’Israël « L’Etat de tous ses citoyens ». Ces prises de positions rencontrent un écho certain dans la frange d’extrême gauche israélienne, dite post-sioniste.

Lorsque l’on discute avec les « Palestiniens de base », les commerçants, enseignants, étudiants de Cisjordanie, une fois que s’est instauré un climat de confiance qui les dispense de la protectrice langue de bois, on entend des propos politiquement fort incorrects. Leur rêve ? Une sorte de « remake » de l’émancipation sud-africaine, où le rôle des Blancs dépossédés de l’exclusivité du pouvoir politique, mais conservant la maîtrise de la vie économique, serait joué par les Juifs d’Israël. Les mêmes, après avoir vérifié qu’aucune oreille indiscrète ne les écoute, n’hésitent pas à vanter les mérites de l’administration militaire israélienne dans les Territoires, jugée moins corrompue que l’Autorité palestinienne du temps de Yasser Arafat. Ils évoquent également avec nostalgie le temps, avant la première Intifada de 1987, où la liberté de circulation des Palestiniens en Israël permettait à ces derniers de travailler, étudier, se soigner dans des conditions infiniment meilleures que celles qu’ils subissent aujourd’hui. Quant aux chrétiens de Palestine, les plus intéressés à la mise en place d’un Etat laïc depuis la montée en puissance du Hamas, ils « votent avec leurs pieds », trouvant, dès qu’ils en ont la possibilité et les moyens, des cieux plus cléments aux Etats-Unis ou au Canada. Une méfiance, généralisée et durable, règne, dans la population, envers l’appareil politico-sécuritaire du Fatah, qui accapare une rente essentiellement issue de l’aide internationale. Cela se traduit soit par un recours des plus démunis au Hamas, dispensateur de secours aux humbles, et l’émigration vers les pays du Golfe, ou en Occident, des élites économiques et scientifiques. Alors, comment et avec qui bâtir un Etat « viable », c’est-à-dire capable d’apporter à une population l’assistance et l’encadrement nécessaires à la mise sur pied d’une économie performante et d’une démocratie réelle ? Il est exceptionnel que ces faits et ces discours soient relayés par les médias occidentaux : ce propos, dérangeant pour les idées reçues, vaudrait à celui - journaliste ou chercheur en sciences politique - qui s’en ferait le truchement une interdiction de fait de poursuivre ses investigations en Cisjordanie et à Gaza.

L’existence, indéniable d’une conscience nationale arabe palestinienne, qui s’est forgée en réaction à la réussite, à tous égard exceptionnelle, du projet national juif en Palestine, n’implique pas, ipso facto, l’adhésion de ce peuple au modèle étatique qui lui est proposé par la communauté internationale et une partie de sa classe dirigeante. On s’accorde, faute de mieux, pour mettre sur le compte d’Israël, de l’occupation, de la colonisation des Territoires, la situation lamentable dans laquelle se trouve la grande majorité de la population. Mais, à chaque fois que se dessine, de manière tangible, la perspective de l’établissement d’une Palestine souveraine et indépendante on fait en sorte de la faire échouer. Le dernier avatar de cette machine à repousser cet aboutissement aux calendes est l’exigence d’un « Etat palestinien viable », sous-entendu établi sur la totalité des territoires conquis par Israël en 1967, avec, en plus, un lien terrestre entre Gaza et la Cisjordanie. Il n’est pas précisé ce qui ferait obstacle à la « viabilité » d’une Palestine dont les frontières tiendraient compte des réalités établies sur le terrain depuis quarante ans, notamment des rectifications et échanges permettant d’englober les blocs d’implantations contigus à la « ligne verte ». La fin de l’occupation et le démantèlement des colonies isolées au coeur des Territoires constituent des exigences légitimes et indispensables à la naissance de cet Etat. Mais l’obstacle majeur à la viabilité d’un Etat palestinien, c’est la méfiance qu’il inspire à des Israéliens, qui ne sauraient en aucune manière accepter l’existence et le renforcement d’une entité hostile, à quelques encablures de leurs centres vitaux.

Un Etat viable, ce n’est pas seulement la souveraineté d’un peuple sur un territoire, c’est aussi la confiance placée par ce peuple dans les institutions, les pratiques politiques et le projet collectif que lui proposent ses dirigeants. Un Etat viable, c’est d’abord un projet émancipateur d’une société civile encore imprégnée de tribalisme et de clientélisme : jusqu’à ce jour, ce projet n’existe que dans le discours de la bureaucratie palestinienne à l’usage des naïfs d’Occident. Sur le terrain, l’emprise des clans prédateurs, qu’ils se réclament de l’intégrisme religieux ou des familles élargies traditionnelles, limitent singulièrement l’impact des tentatives réformatrices et modernisatrices des « pragmatiques » du Fatah.

La société israélienne a, en majorité, choisi la modernité mondialisée et l’hédonisme individualiste comme mode de vie, de pensée et d’action. Elle a su tenir en lisière ses intégristes religieux, confinés dans leurs quartiers et leur pauvreté subventionnée, et a fini par isoler dans leur rêve insensé les tenants du Grand Israël biblique. David Ben Gourion et Vladimir Jabotinski se sont réconciliés post mortem dans le réalisme lucide du dernier Ariel Sharon.

Qu’il existe ou non un Etat palestinien n’est plus le problème des Israéliens, pour autant que son existence ne vienne pas perturber leur bonheur quotidien par des tirs de roquettes ou des attentats-suicide. « Si la communauté internationale exige un Etat pour les Arabes d’à côté, va pour un Etat.. », soupire-t-on dans les beaux quartiers de Tel Aviv, où l’on se sent plus proche de Los Angeles que de Tulkarem, distante de vingt kilomètres. La mondialisation a donné un coup d’accélérateur à la disparition du « levantinisme » de l’Etat juif, pour qui l’inclusion régionale n’est plus une condition sine qua non de survie et de prospérité. Le travail des Asiatiques, Turcs et Roumains a remplacé le travail arabe dans les secteurs de l’agriculture et du bâtiment, à la suite de l’Intifada Al Aqsa : les liens interpersonnels entre employeurs juifs et travailleurs palestiniens, qui s’étaient tissés au cours de la période 1967-1987, sont irrémédiablement rompus.

Il reste pourtant une chance (ou un risque ?), pour les Palestiniens, de se voir attribuer un territoire pourvu de tous les attributs de la souveraineté : il n’existe pas de plan B.

© Luc Rosenzweig



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