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Sur des diverses représentations de la Shoah
Richard Prasquier
Article mis en ligne le 6 mai 2022

Je ne sais pas pour vous, mais moi, avec ce Yom haShoah qui tombe en plein siège de Marioupol, je ne peux pas m’empêcher de penser au ghetto de Varsovie. Après tout, le nom complet de la commémoration, c’est Yom haZikaron laShoah velaGuevoura, et la guevoura, c’est l’héroïsme des combattants juifs des ghettos et des groupes de partisans à qui Ben Gourion voulait rendre hommage.
Honorer ces millions de Juifs dont on insinuait qu’ils « s’étaient laissés conduire comme des moutons à l’abattoir » risquait de démoraliser des jeunes sabras défenseurs d’un pays encore fragile.

Malgré la création de Yad Vashem, l’heure n’était pas encore aux victimes : la prise de conscience eut lieu plus tard, avec le procès Eichmann. Avant le vote de la Knesset en 1951 instituant le Yom haShoah, on avait eu le jour du 10 Tevet, prise en charge par le Rabbinat, date funeste dans l’histoire du siège du Temple de Jérusalem. D’ailleurs ce bizarre 27 Nissan, ce fut un compromis : on ne pouvait pas commémorer en plein Seder, précisément le jour choisi par les nazis pour pénétrer dans le ghetto en 1943 !

Oui je sais, les défenseurs du ghetto, jeunes gens sans formation militaire, avec leur misérable équipement, ne peuvent être comparés aux professionnels surarmés qui défendent l’usine d’Azovstal. Mais autour d’eux également survivent, dans des conditions terribles, des femmes, des blessés et des enfants à qui les Russes refusent l’évacuation.

Oui, je sais, ll est indécent de comparer les défenseurs juifs aux soldats du régiment Azov, qu’on a vus parader avec des insignes nazis. Ces éléments ont-ils été purgés dans une Ukraine qui a élu un Président juif et qui a donné à l’extrême droite nationaliste, nostalgique des bandéristes alliés aux nazis pendant la guerre, des scores minimes aux dernières élections législatives ? On l’écrit et je l’espère, mais ce n’est pas aux Russes de jouer aux justiciers anti-nazis par une agression caractérisée, d’une violence tous azimuts contre les populations civiles.

Oui, je sais aussi, la solitude extrême des combattants du ghetto de Varsovie, qui a entrainé à Londres le suicide en protestation du représentant du Bund, Samuel Zygielbojm, solitude dont le poème sur le Campo dei Fiori du Prix Nobel Czeslaw Milosz donne une image saisissante, contraste avec la fixation du monde sur Marioupol -tout au moins jusqu’au moment où la sarabande médiatique dirigera notre regard ailleurs..

Comment cela va-t-il se terminer ? Un assaut sanglant sur cette usine aux innombrables dédales souterrains ? Ou un siège à l’ancienne, comme celui de Leningrad, aux 800 000 morts, dont le souvenir a hanté l’enfance de Vladimir Poutine, avec le décès de son frère aîné et la survie rocambolesque de sa mère quasiment enterrée comme morte de faim…

En tous cas, les yeux des protagonistes sont rivés sur le 9 mai. Qu’est-ce que cette date, puisque les hasards du décalage horaire dans l’ex-URSS reportent d’une journée la capitulation de l’Allemagne nazie ? Pour l’Ukraine, comme pour l’ensemble de la planète, il s’agit de la fin de la « Deuxième Guerre Mondiale ». Mais jusqu’en 2015 ce pays utilisait la même dénomination que la Russie : fin de la « Grande Guerre patriotique ». La différence n’est pas anodine.

Pour les Russes, la partie importante de la guerre est limitée dans l’espace : il s’agit du soulèvement unanime du peuple russe (soviétique jusqu’en 1992) contre l’envahisseur nazi, analogue à la Guerre patriotique menée dans le passé contre Napoléon.

Elle est aussi limitée dans le temps : elle ne commence que le 22 juin 1941, début de l’opération Barberousse. Auparavant, le pacte germano-soviétique était purement défensif, l’occupation de territoires polonais ou baltes relevait d’une récupération historique, voire de la protection des populations. Lesquelles, on le sait, ne l’ont pas vécu ainsi….Voilà pour la limite « ante quem ». Mais pour la limite « post quem », le 9 mai n’a pas purgé le nazisme. Celui-ci, suivant la vulgate communiste remise aujourd’hui au goût du jour, contamine encore aujourd’hui la politique des Américains et de leurs alliés, laissant planer , dixit Lavrov, l’hypothèque d’une troisième guerre mondiale. Car les nazis ne se trouvent pas uniquement en Ukraine, ils sont présents chez tous les adversaires de la Russie injustement agressée.

Sur ces prémisses, le terme de « Guerre patriotique » prend tout son sens et l’ « Opération militaire spéciale » en Ukraine n’en est qu’une nouvelle péripétie.

Dans une compétition victimaire, la Shoah ne représente rien de spécifique et doit être enfouie sous les épreuves infligées -terrifiantes, d’ailleurs- par les nazis à l’URSS. S’y intéresser était l’indice d’une idéologie « bourgeoise ». Contrairement à Staline ou Khrouchtchev, antisémites profonds, Poutine n’a jamais manifesté d’aversion envers les Juifs, mais seule compte pour lui sa conception de la puissance de la Russie, aux dimensions de l’ex-URSS.

C’est là une politique historiquement constante, en dehors de la brève période de la Pérestroika. Un Livre Noir sur les exactions contre les Juifs avait été élaboré au décours de la guerre sur l’initiative du Comité anti-fasciste juif, dont la plupart des membres furent exécutés par Staline une fois qu’ils ne furent plus utiles à sa propagande. L’enquête avait été dirigée par les journalistes de guerre Ilya Ehrenbourg et Vassili Grossman mais le livre a évidemment été interdit.

Le caractère juif de l’épouvantable massacre de Babi Yar du 29 et 30 septembre 1941 a toujours été nié par les autorités et le ravin lui-même a été comblé. On sait comment à l’époque communiste la massive prédominance juive des victimes du camp d’Auschwitz Birkenau fut soigneusement occultée.

L’histoire en régime communiste n’était utile que pour confirmer la justesse de l’idéologie dominante : celle-ci était léniniste, elle est aujourd’hui nationaliste. Les fake news existaient bien avant Internet et les réseaux sociaux, et le négationnisme ne se limite pas à la Shoah….



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