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Le rabbin Paul Rojtman, beauté d’un homme, beauté de Dieu
Raphael Cohen
Article mis en ligne le 29 août 2007

Parti hier, vers un là-bas inconnu, à Jérusalem, le mardi 21 août 2007. Comme Théo Dreyfus, il y a peu, lui aussi, témoin à mon mariage. Le 7 eloul, aux antipodes du 7 adar, lieu de la naissance et de la mort de Moché. Paul s’appelait Pinhas, nom égyptien rattaché à la grande kehouna, à Tahpanhes ville d’Egypte qui me rappelle ma propre naissance.

Paul n’était pas Cohen. Mais si je n’ai jamais été sensible à la valeur d’Aharon, fabriquant irresponsable du veau d’or, la beauté de ce Pinhas-là m’a toujours bouleversé et ému, tandis que j’ai pour lui un amour et une admiration, une estime que je voue aussi au Rav Kouk, dont il me parla pour la première fois, le jour lointain de notre première rencontre à Paris.

Paul me parla avec émotion de ce « géant de la pensée », et j’en ai été interloqué. Je ne pouvais accepter un être aussi difforme, même si les dix coudées de Moché ne m’ont pas beaucoup impressionné, avec les dix coudées de son saut et celles de son épée, par quoi il put couper la tête à Og, le Metatron chef des anges et rival des hommes, serpent de la Genèse et Eliezer serviteur d’Abraham.

J’entrevis en ce géant une sorte de cyclope, un être difforme de foire, sans aptitude à une intelligence quelconque ; Rigoulot montré dans un cirque, exhibé pour des qualités prétendues, avec ses membres noueux.

J’associe ce premier souvenir à Paul. Mais hier, si longtemps après, avant de savoir qu’il était mort, j’avais l’intention d’écrire cinq textes sur le Rav Kouk, que je fréquente avec reconnaissance. J’ai compris que le qualificatif *gigantesque* provenait d’un tout petit défaut de Paul, tellement admiratif envers les titres des diplômés des Grandes écoles d’ingénieur françaises, ayant subi avec succès le dressage qui devait leur ôter jusqu’à l’ombre de leur personnalité. Le défaut de Proust, tellement fier d’être invité dans les grandes familles de la noblesse et de la bourgeoisie françaises... Mais comme c’est peu de chose, ce snobisme après tout mignon, pour celui qui avait renoncé à ses études de médecine pour se vouer à un rabbinat peu conventionnel ! Paul avait une parole, il aimait les gens, il était ponctuel. Il n’oubliait jamais un visage, ni une personne, et se souvenait du contexte précis de la vie de chacun. Même si, à l’occasion d’un mariage de deux de ces disciples en action, il concluait avec son bel humour : « Perte sèche, deux ». Comme si le mariage, qui comprend son liquide avait quoi que ce soit de sec, sauf sans doute le passage à pied sec dans la mer rouge houleuse de la vie, calmée par la volonté et la décision de Yehouda et Biniamin, qui y pénétrèrent courageusement, s’y plongeant jusqu’au cou. Les marier, dit le Talmud, est plus difficile que le fait de fendre la mer. Naturellement, c’est la même chose.

Le Ramban explique qu’il y a deux sortes de Kehouna. Celle d’Aharon, qui unit cavod et tiferet, rayonnement et beauté, et celle de Pinhas, qui unit alliance et paix. La relation de Paul avec le cavod n’était que peu de chose, par rapport aux exploits indélébiles d’Aharon. Par contre, il était tout entier dans l’alliance, qui pour lui était impérieuse et allait de soi, et la paix, qu’il apporta à tous ces diplômés qui acceptèrent avec ravissement d’Å“uvrer avec lui dans le *sauvetage*, comme il le disait, de communauté décimées, avec des familles rescapées, comme des chats ébouriffés et indécis.

Place du Châtelet, le dimanche matin, ce beau monde ce retrouvait, écumant les boites aux lettres de banlieues, à la recherche de frères à rattacher à une communauté mythique, mais bien présente dans son sourire, son dévouement, son affection.

Je pense à deux autres Paul. Celui qui prétendit avoir étudié avec Raban Gamliel, mais qui déclara qu’il n’y avait ni Juif ni grec. Celui dans le sillage duquel saint Jean déclara que les Juifs sont « fils du diable ». Et aussi le pape Paul III, qui pardonna à son fils d’avoir violé un évêque, dans une grandeur d’âme qui est étonnante et suspecte. A Paris, à Notre-Dame, un Aharon, enfant rapté par les gentils, a eu droit, contrairement à Heine, mais à la porte, à un kadich de compensation et de perplexité. Itshak Méir évoque le lieu-même où, peut-être, le Talmud a été brûlé.

24 charrettes de Talmud, brûlées sur ordre du pape, place du Châtelet, sur ordre du pape, de l’endroit où partaient, en maigrelettes voitures, les divisions blindées de Paul. Rabi Yehiel de Paris, méchamment asticoté par les prêtres, en présence de Blanche de Castille, qui avait d’ailleurs du sang juif. Mais ce n’est pas pour cela qu’elle réagit d’une manière convenable. Elle interrompit les tortionnaires : « Qu’avez-vous à l’accuser ? Vous voyez bien que c’est un saint homme » ! Malgré l’opposition de Blanche et de son fils Louis, les deux serviteurs de l’Eglise durent s’incliner, et le Talmud fut brûlé. Mais toujours le même Talmud, qui ne compte pas beaucoup, chacun étant interchangeable avec n’importe quel autre, tandis que la valeur est imputrescible, personnelle, toute différente de toutes les autres.

Quand Rabi Hanina ben Teradion fut brûlé, il déclara, alors que les Romains avaient cherché à prolonger sa crémation, si proche de notre temps : « Le parchemin brûle, mais les lettres s’envolent ».

Notre Paul était différent des deux comparses. Et d’ailleurs, si Heine avait tristement déclaré qu’après sa conversion d’opportunité « sur ma tombe, on ne dira pas kadich », un groupe de personnes, à Jérusalem, insoucieux de ses restes au cimetière de Montmartre, dirent kadich pour lui. Sur la petite place de Jérusalem qui porte son nom, tout près de la tombe d’Hérodiade dont, dans Atta Troll, il prétendait être amoureux.

Paul savait convaincre de se dévouer. Il excellait, dans sa conscription, à illustrer le « venatnou » du Gaon de Vilna, à propos de la terouma, qui peut se lire dans les deux sens. Quand tu donnes, tu reçois aussi bien. Tu découvres le secret de ton être, en même temps que tu apportes à quelqu’un, d’une manière désintéressée, ce dont il a tellement besoin, et que tu peux lui offrir, alors même que tu ne le possèdes toi-même pas.

Certaines des recrues des Ecoles apprenaient le samedi soir ce qu’ils dégurgitaient aux banlieusards juifs esseulés, dans la plus pure catéchisation non dogmatique de ceux qui avaient surtout besoin de découvrir une présence chaleureuse, dans un pays qu’ils ne connaissaient pas encore.

Dans la grande synagogue d’Alexandrie, explique le Talmud, les gens s’asseyaient par métier. Si l’un d’entre eux arrivait dans la ville sans travail, quand il quittait la synagogue, il en avait. L’édifice était tellement grand que l’on n’entendait pas le hazan. Pour savoir où il en était de la prière, on usait de drapeaux et de sémaphores. Signes de ralliement, bannière de Tora ve Tsion, de Tikvatenou, de Tora be Tsion.

Toute cette Å“uvre, de la part du... Consistoire. Un organisme fantomatique, avec des notables déjudaïsés, assez peu convaincus de la valeur ce qui était offert en leur nom. Apollinaire, bien informé, déclare que si un homme dit qu’il est « rabbin français », on peut être sûr que c’est un ignorant. Les rabbins détestèrent l’Å“uvre de Paul, qui leur « gâchait le métier », qui mettait en évidence leur apathie et leur indolence, leur désintérêt quant à la chose juive, eux qui, en général, méprisaient l’enseignement de la Tora. Leur irresponsabilité aharonique. « Aharon aharon haviv », disent-ils volontiers dans leurs homélies : Celui qui est le dernier des derniers, on l’aime, on l’encense.

Et les Sefardim détestaient Paul encore plus, parce que gravement complexés. Ulcérés de voir Paul s’occuper de leurs propres « terrains de chasse », évangélisant, à la juive, comme Thaddée et Barthélemy en Arménie, les cohortes qui leur appartenaient en toute propriété atavique. Au lieu d’apprécier l’Å“uvre de Paul, ils la décriaient, dans la mesure même où ils le jalousaient. Effectivement, Pinhas descend de Yossef, jalousé et haï jusqu’à la mort. Ce qu’il fait de bien est mauvais, de même que ce qu’il fait de mal. C’est la loi des médiocres qui peuplent, en majorité, l’univers, en le peuple Israël comme ailleurs.

Une action double, qui ensemençait l’être de tous les délaissés, les appauvris.

Paul n’était pas un intellectuel, un savant. Nourri d’histoires hassidiques, sa connaissance de la Tora était assez mince, du moins par rapport à celle d’un talmid hakham normal, à supposer que ce genre de personne existe. Souvent, à l’état de traces, l’érudition faisant illusion, et donnant l’impression d’une sagesse. Paul vivait, dans son instinct et son élan d’enthousiasme, la demande du Rav Kouk :

Ne prononcez pas des paroles aux 70 visages ; cherchez seulement la bonté pour la brebis dispersée.

(Kevatsim ; Rabi Abraham Itshak ha Kohen Kouk )

Ne vous laissez pas aller à la subtilité dialectique d’analyses qui se veulent pénétrantes et exhaustives.

Souciez-vous au contraire de la vérité de toute première nécessité.

De la bonté nécessaire pour donner à boire à la brebis hagarde, Israël désemparé dans une histoire qu’il n’a jamais comprise.

Au lieu de la connaissance, la sollicitude.

Au lieu de l’érudition, la gentillesse.

La reconnaissance de l’importance essentielle des besoins de chacun, de son être tant problématique.

J’ai écrit ces lignes il y a quelques jours, alors que Paul était encore vivant. Je mesure à quel point elles s’appliquent à lui, à son inspiration.

Une histoire de Paul.

Un chien se trouve parmi les chats, qui se font menaçants, à cause de haines traditionnelles. Il s’écrie : « Miaou » !

Et il leur échappe.

Il raconte à ses collègues, chiens : « C’est bien utile de connaître les langues étrangères » !

Paul parlait toutes ces langues. Il parlait ta langue. S’intéressait à toi. Entrait dans tes propres soucis. T’apportait le réconfort de sa compréhension et de sa bonté, de provenance humaine mais divine.

Ben Zoma

« Chacun, dans le Sanhédrin, doit parfaitement connaître une langue. Mais pour que ce soit un Sanhédrin convenable, il faut aussi que, dans ce Sanhédrin, il y ait trois ou quatre sages qui connaissent les 70 langues ».

Paul m’a montré qu’il est facile de parler les 70 langues.

Talmud « Il est plus urgent d’accueillir un être humain que d’accueillir la présence divine. »

Une autre histoire de Paul.

Un homme riche dit à un maître :

« Vous allez être content de moi ; je ne mange que tu pain, tandis que je ne bois que de l’eau. »

Le maître

« Au contraire, tu dois manger des mets succulents et chers ! Si tu ne prends que du pain et de l’eau, tu croiras que le pauvre peut se contenter de pierres » !

Non, l’ascétisme n’est pas vraiment la bonne voie.

Le Rav Kouk « Les sages d’Israël aiment la vie. »

Paul aimait la vie.

Un autre enseignement de Paul.

Dix miracles à Jérusalem, selon le Pirke avot.

Parmi eux :

« Quand ils se tenaient debout, ils étaient à l’étroit ; mais quand ils se prosternaient, ils étaient au large. »

Paul

C’est assez paradoxal.

Mais quand tu restes sur tes positions, tu es à l’étroit ;

Quand tu te prosternes à celles d’autrui, tu es au large.

Paul ne faisait pas cela.

Concilier, unir, des institutions juives dont certaines ne lui plaisaient pas, c’était « manger à deux râteliers », ce que ne faisait pas l’ânesse de Rabi Pinhas ben Yaïr, qui ne mangeait de fourrage que si la terouma avait été prélevée.

Dans le lieu de prière de la rue Martel, à Paris, ce petit appartement une ferveur qui voyait les prières monter jusqu’à Dieu.

Une amitié et une sincérité naturelle, précieuse, qui voyait anges et personnes monter et descendre dans le bonheur et la ferveur.

Prière si belle de Paul, son chant qui provenait de dynasties presque oubliées de maîtres hassidiques, enchantement et beauté.

Quand Paul lisait la Meguila d’Ester, à Pourim, chez lui rue de Hauteville, il était fier de sa performance, qui le voyait lire le parchemin en... 17 minutes.

Est-ce vraiment un défaut, que cette petite gloriole attendrissante ?

Paul agit beaucoup en France, dans énormément de communautés.

Dans ce pays où, dit-il, on ne l’avait remercié que deux fois. A Lisbonne, et aussi dans un autre bled. Il parlait de Montauban. Des enclaves pauliques dans les Grandes écoles.

René Lenoir, ancien directeur de l’ENA, fit une conférence à laquelle j’assistai. Pour des notables du village irréductible.

Un grand homme, cet éminent dirigeant. Il fut même Inspecteur Général des Finances.

Et Ministre.

Dans sa conférence sur l’ENA, René Lenoir se plaignait : « Ils sont incapables d’initiative, d ‘une attitude personnelle ». Il ne dit pas, ne l’osant pas sans doute, « de responsabilité ».

Je lui demandai :

« Vous avez dirigé cette école pendant 30 ans ; pourquoi n’avez-vous cherché à infléchir cette formation et ses intentions » ?

L’homme me regarda, les yeux vides.

Il n’avait pas compris.

Ne pouvait pas comprendre.

S’il avait pu comprendre, il aurait été, effectivement, directeur de l’ENA.

Au lieu de se contenter de décerner des diplômes à des incapables, sinon à des illettrés.

Au contraire, même si Paul admirait les anciens de l’ENA, il transformait, lui, les gens. D’une manière perceptible, visible, définitive.

Quand tu aimes quelqu’un, il sent ta présence intime, et elle change complètement sa vie.

Paul revint chez lui, après son long périple d’exil.

Des notables de l’Agence juive vinrent, dans des discours plutôt ampoulés, vanter le travail de géant démesuré qui fut le sien en France.

Un des pontes de l’organisme, Sokhnout, qui dérive de la chaufferette, Avichag, qui réchauffait le corps transi et inréchauffable de David, de Sakana, le danger et de miskenout, la misère, vanta avec enthousiasme tout ce que Paul avait réalisé.

Je me suis approché de lui, après son vibrant discours.

Je lui ai dit :

« Maintenant, je vais voir ce que vous allez faire pour lui ».

Les institutions juives sont dans la misère.

Celle de l’exil.

Celui-ci ne la provoquent pas.

Mais la causent.

Aharon, dont le nom, selon le Ari, est tout proche de celui de Haran, frère d’Abraham, est l’indécis opportuniste.

Quand on lui demande s’il est pour le totalitarisme de Nemrod, le premier empereur de l’univers, ou pour Abraham son frère, il déclare qu’il attend, qu’il réfléchit.

Quand il voit qu’Abraham sort indemne de la fournaise nemrodique, il déclare alors, comme les Anglais, avec leur hypocrite de facto et de jure, qu’il se situe résolument, comme il l’a toujours fait, aux côtés d’Abraham.

On le jette dans la fournaise, et... il brûle.

Son fils Lot est un singe, dont le nom a la valeur, 45, de Adam.

Sans cesse, toute sa vie durant, il singe Abraham.

Mais son traditionalisme n’a vraiment rien à voir avec celui d’Abraham, son oncle et son beau-frère.

Abraham, révolutionnaire.

Ses descendants, avec une nette propension au conformisme.

Paul a vécu dangereusement une existence de marginal.

Le rabbin Trzaskala, venu de Pologne à Paris, m’a dit que tous les rabbins, quand il allait dans leur synagogue, se méfiaient de lui.

Ils avaient peur d’être avantageusement remplacés un maître qui était, lui, instruit de la Tora, et ne se contentant pas de ses rudiments.

Mais il ajouta, avec une grande reconnaissance :

« Rak Rojtman kirev oti. »

« Seul Paul m’a rapproché. »

Seul Paul se sentait, se voulait, était, proche de chacun.

Ami inconditionnel.

Malgré sa piété, ou indépendamment d’elle.

Avec cette affection que contenait chacune de ses paroles.

Une vie, une beauté.

Non le surhomme de Nietzsche : Un homme, c’est encore mieux.

Paul, ami et proche de chacun.

Dans une grande école, on l’appela « l’abbé Rojtman ».

Il en rit.

Il avait gardé le *j* de son nom, par coquetterie se souciant d’authenticité.

Dans un dévouement qui console de beaucoup d’anonymats, de ce que le Rav Kouk déplore chez des halakhistes desséchés et cruels.

Traité Chabat

« Tu aimeras Dieu ton Dieu... »

« Agis de telle manière qu’en voyant ta manière d’agir on aime Dieu. »

Ce n’était pas le but de Paul.

Il aimait, naturellement.

Parce qu’il était bon.

Le Talmud enseigne, à propos de l’attitude de Dieu, désemparé.

On peut être désampari à Paris, comme on peut être désemjéru à Jéru.

Dieu a vu qu’il y avait peu de justes.

Il les a répartis entre les générations.

Afin que chacun puisse avoir la chance d’en rencontrer un.

Dans sa jeunesse, son âge mûr, sa vieillesse.

Paul a illuminé, par son rayonnement, beaucoup d’êtres.

Par lui, la notion de juste apparaît comme une réalité.

Non une abstraction fictive.

Kadich pour Paul, hier.

C’est une chance pour moi d’avoir connu, dans ma vie, cet homme.

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