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Entretien avec Daniel Sibony : « L’islam est traversé par deux ondes »
Propos recueillis par Nathalie Szerman pour © ISRAEL MAGAZINE
Article mis en ligne le 25 octobre 2006

Daniel Sibony, philosophe et psychanalyste de renommée internationale, est fréquemment sollicité, ces derniers temps, pour des conférences sur la situation au Moyen-Orient. Victoire du Hamas aux élections palestiniennes, intransigeance iranienne sur la question nucléaire... Les mauvaises surprises s’additionnent pour ceux qui espéraient que le jeu démocratique placerait au pouvoir des dirigeants modérés et éclairés. Mais Daniel Sibony a une vision qui se démarque des propos convenus, de gauche comme de droite, remâchés et trop bien digérés. Né à Marrakech, ayant l’arabe pour langue maternelle, il propose une vision parfaitement originale de la situation : « C’est parce que je n’écoute rien, » plaisante-t-il. Il fait le point sur la situation, puisant dans la psychanalyse autant que dans la connaissance des grands enjeux politiques de la région.

« L’islam est traversé par deux ondes : l’onde radicale et l’onde conviviale, et ces deux ondes émettent en même temps »

  • Vous ne vous attendiez pas à la victoire du Hamas...



Daniel Sibony : Eh bien si. Il m’a toujours paru logique que la dimension fondamentale de l’islam puisse s’exprimer à ciel ouvert. Avant cette élection, j’ai rencontré des Palestiniens qui me disaient qu’ils en avaient assez de cette guerre, qu’il fallait faire la paix. « Même avec Israël ? » ai-je demandé.«  »Oui, même avec Israël.«  »Vous êtes prêts à le dire tout haut dans un café de Ramallah ?«  »Non.« La dimension fondamentale est très présente dans le milieu arabo-musulman. Et je ne sais pas s’il existe une différence tranchée entre les »modérés« et les »radicaux".

L’islam est traversé par deux ondes : l’onde radicale et l’onde conviviale, et ces deux ondes émettent en même temps. Quelquefois on entend l’une plus que l’autre, et surtout, on ne sait pas à l’avance, devant un interlocuteur musulman, quelle est l’onde qui le touche le plus en ce moment. Parce que vous pouvez vous trouver devant quelqu’un que vous avez classé « modéré », et puis il y a le World Trade Center, et vous sentez qu’il est un peu content... mais qu’il ne le dit pas. Puis vous avez affaire à un membre du Hamas, très violent. Et vous vous dites : « Celui-là, il ne veut que tuer. » Mais peut-être veut-il lui aussi arranger quelque chose...

  • L’élection du Hamas pourrait donc comporter un élément positif.

D.S. : Elle peut être partiellement positive. L’islam radical au pouvoir doit se heurter au vrai problème et se déterminer. Or on observe que depuis que le Hamas est au pouvoir, tantôt il reconnaît Israël, tantôt il ne le reconnaît pas. Il serait prêt à des pourparlers, et puis non...

« Quelquefois il faut que le radical s’exprime pour qu’autre chose puisse s’exprimer. Parfois, il y a un mal qui tourne bien, et parfois aussi un bien qui tourne mal... »

D.S. : J’ai créé un concept que j’ai nommé « l’entre-deux ». L’entre-deux ne vous dit pas seulement que vous vous trouvez entre le blanc et le noir. Parfois, on est dans le noir pour que le blanc soit possible. Quelquefois il faut que le radical s’exprime pour qu’autre chose puisse s’exprimer. Parfois, il y a un mal qui tourne bien, et parfois aussi un bien qui tourne mal... Ces dynamiques ne sont pas cartésiennes, mais elles ont leur rationalité, qui n’est pas toujours celle de la raison plate, au niveau du bon sens.

Il existe un lieu de l’esprit qui est radical. Et il fallait que ce lieu de radicalité s’exprime un jour ou l’autre. Du point de vue de la haine et de la violence, je crois que le Fatah n’est pas pire, ni meilleur, que le Hamas. En Algérie, la guerre a duré des années entre le gouvernement algérien et les intégristes islamiques. Franchement, je ne saurais pas vous dire qui ont été les plus violents et les plus chargés de haine. Mais l’histoire fait qu’ils ne sont battus et qu’ils ont ensuite décidés de s’arranger, de faire une amnistie.



« Toute identité comporte une faille. Mais toutes les identités n’acceptent pas l’idée de la faille. »

  • Vous évoquez la « faille identitaire » de l’islam...

D.S. : Toute identité humaine comporte une faille. Elle ressent un manque, une rupture. Voyez l’être humain. Il a des parents qui l’ont aimé et élevé. Mais à un moment, il s’élève contre eux. Et après avoir dit tout ce qu’il avait contre eux, il suit leur exemple : il se marie, il travaille, a des enfants...

Dans mon ouvrage sur les trois monothéismes, je dis que les Juifs ont apporté un Dieu. Mais ce livre par lequel ils apportent ce Dieu dit du mal d’eux - des Juifs - une page sur deux, et même deux pages sur trois ! C’est quand même étrange qu’un peuple ait pour carte d’identité un livre qui dise du mal de lui ! Chaque identité comporte un élément « autre » ; aucune identité n’est pure. Cette chose « autre », c’est ce que j’appelle la « faille ». C’est comme une tache. Vous essayez de laver, elle ne part pas. Le problème, c’est de savoir si cette identité supporte la faille ou si elle déteste l’idée d’une faille. Si elle la supporte - ce qui est, je cois, le cas de l’identité juive, elle fait avec. Mais si elle ne la supporte pas, quand la faille se révèle, elle accuse les autres.

L’identité allemande des années 30 subissait la faille de tous les côtés : la crise, la défaite. Mais il lui était insupportable de se remettre en cause. La faille devait venir des autres : les Juifs étaient tout désignés. Certaines identités acceptent la faille et essaient de la transformer, sachant qu’elles ne pourront jamais véritablement s’en défaire, mais d’autres ne la tolèrent pas et se trouvent un responsable.

  • Vous évoquez dans l’un de vos billets * la tendance de l’histoire à englober le monde arabo-musulman. Cette idée se démarque du concept de conflit de civilisations.

D.S. : L’idée naïve du conflit des civilisations n’est pas dans le conflit. Les conflits, il y en a partout et toujours : entre les hommes et les femmes, les jeunes et les vieux, telle culture et telle autre. L’idée naïve consiste à imaginer que le conflit pourra se terminer par la victoire de l’un ou de l’autre. Une civilisation peut se transformer. L’islam peut éventuellement se moderniser. Mais en se modernisant, il maintiendra tout de même un élément fondamental. Ce côté fondamental, c’est la promesse de réparer la faille.

C’est parce que l’intégration de l’islam est en cours que des problèmes surgissent.

D.S. : Depuis le 11 septembre, on voit que le monde bouge : la Chine, l’Inde, le Mexique, pour ne citer que quelques exemples... Mais il y a des pays qui ne bougent pas, ou à peine, même avec de l’argent : l’Arabie Saoudite, la Syrie... le monde islamique, en fait. C’est comme si l’histoire était une assemblée qui déclarait qu’il n’est pas possible de continuer avec un si grand nombre de personnes hors jeu. C’est une image, bien sûr. L’histoire n’est pas une assemblée. L’histoire produit des événements qui posent la question de l’intégration des personnes. Les Chinois s’intègrent, ce qui génère un certain désordre : leur intégration suscite une augmentation du prix du pétrole et de l’or...

Le monde arabo-musulman ne s’intègre pas facilement à cause de cette onde fondamentale dont je vous parlais. Il ne faut pas considérer l’intégration du monde musulman comme celle d’un ensemble de personnes composé d’une avant-garde de gens avancés, et de fondamentaux que l’on pourrait convaincre de se rallier aux gens avancés. Pas du tout. L’islam est tout entier traversé par l’onde fondamentale et par l’onde conviviale - qui pousse les musulmans à vouloir vivre avec vous.

  • Quand l’intégration de l’islam aura-t-elle donc lieu ?

D.S. : C’est parce qu’elle est en cours qu’il y a des problèmes.

  • Les attentats seraient un signe d’intégration ?!

D.S. : Oui. Si en France, par exemple, les musulmans vivaient entièrement en vase clos, il n’y aurait pas de problème. C’est parce que les musulmanes veulent aller à l’école - mais avec le foulard -, c’est parce que les musulmans veulent aller à l’école - mais y respecter le Ramadan- que des problèmes surgissent et que l’on cherche des solutions : Comment faire ? Quelle loi adopter ?

Remarquez que les terroristes du 11 septembre étaient occidentalisés, mais ressentaient une violente jalousie à l’égard de l’Occident. Ne pouvant le vaincre, ils ont décidé de frapper l’Occident, de lui faire mal. Pour rien, et sans que cela n’aboutisse à quoi que ce soit. C’est une réaction mortifère : « Je n’aurai pas cela, mais tu ne l’auras pas non plus. Je ne serai pas tranquille, mais toi non plus. » C’est la logique du terrorisme. On ne peut toutefois pas se satisfaire d’une situation où un milliard trois cent millions de personnes ne sont pas intégrées. Le problème de l’intégration doit être résolu, même si c’est difficile. C’est un problème incontournable. 



* Voir le site de Daniel Sibony http://www.danielsibony.com/



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