De retour à Kiriat Shmona, je constatai que de nouvelles salves s’y étaient abattues. Pendant que je prenais des photos, d’autres Katiouchas sont tombées sur la ville et alentour. N’y connaissant personne, je ne savais pas où se trouvaient les abris. Je me suis protégé dans un garage de pierre, « c’est mieux que rien », ai-je pensé.
Une berline modèle Passoire
Photo Charles-Emmanuel Guérin © Charles-Emmanuel Guérin
Je vous livre mes impressions telles quelles. Nétant pas photographe-reporter professionnel, vous me pardonnerez, je lespère, labsence dimages « croustillantes » et sanglantes. En fait, je nai pas eu le réflexe de déclencher mon obturateur lorsque jy fus confronté. Cela ne mempêche en aucune manière de témoigner de ce que jai vu et vécu sous les bombardements.
Le déséquilibre dans les médias est tel, que la plupart des Français nont pas réalisé à quel point il y avait aussi des morts et des dégâts en Israël. Dans la presse écrite et audiovisuelle, les reportages ont essentiellement exhibé les destructions au Liban et les souffrances, certes réelles, des Libanais. Il y eut bien quelques images furtives des bombardements en Israël et des dommages, mais rien ne fut équilibré. Ce traitement biaisé de linformation fut à nouveau choquant !
Le samedi 5 août, jarrive enfin à joindre Stéphane Juffa, qui mavise que linterdiction sera levée le lendemain. Le 6 août 2006, donc, jentre enfin dans Metula. Beaucoup de chars sont encore présents et il y a une grosse concentration de troupes. La chaussée est déformée par le passage des chenilles des blindés. Une partie de lartillerie sest installée sur les hauteurs de la petite ville, ce qui est à la fois logique et stratégique. A gauche devant moi : Kfar Kileh, lun des bastions du Hezbollah, très proche de Metula on voit très bien cette cité depuis les locaux de la Mena , à moins de 800 mètres, où des combats ont lieu le jour de ma venue.
Ce même jour, Juffa minforme que deux journalistes désirent venir lui rendre visite pour linterviewer. Il sagit de deux journalistes français de France Info. La matinée de ce dimanche est ponctuée dalertes. Il faut se rendre dans labri plusieurs fois dans la même heure. En fin de matinée, mon hôte décroche son téléphone. Ce sont les journalistes quil attend. Ils viennent de franchir Kiriat Shmona sous le feu des Katiouchas, et, en approchant de Metula, ils ont constaté que la situation était identique à celle que jai décrite : alertes et explosions assourdissantes. Ils avertissent Stéphane de leur intention de faire demi-tour. Mais comme le dit Madame Juffa, cest « la roulette russe de rouler sous les missiles ». Refaire le trajet jusquà Kiriat Shmona et traverser la ville était vraiment trop dangereux, aussi, le barreur de la Mena persuade ses collègues de la radio de poursuivre jusquà sa rédaction, et les calme en leur parlant continuellement sur leur téléphone cellulaire.
Mais soudain un autre tir, et cest le blocage, et ils refusent de bouger. Limmobilisation quil suscite les expose plus encore aux tirs du Hezbollah. Je propose alors, par lintermédiaire de Juffa, daller à leur rencontre. Rassurés, ils acceptent et se mettent à rouler jusquà lentrée de Metula où je les prends en charge.
Cest ainsi que jai fait la connaissance de Valérie et de Gilles. Celui-ci me dit que cela nest même pas comparable à lIrak, quil a pourtant déjà couvert, mais quici cest pire ! Quant à Valérie, cest son baptême du feu. Ils me suivent en voiture jusquà la Mena. Nous sommes attendus à lentrée de la résidence et des locaux par le boss, qui nous presse de rejoindre labri de lagence car une nouvelle alerte radar vient dêtre déclenchée. Valérie et Gilles ont eu, durant les quelques mètres à franchir jusquà lintérieur de la résidence, loccasion dentendre, pour la deuxième fois de leur journée, et en lespace de quelques minutes, le souffle et le sifflement particulier dune roquette Katioucha qui expose. Cette dernière ne nous a manqués que de quelques mètres. Nous nous retrouvons pris dans une zone de guerre, en plein duel dartillerie : Katiouchas dun côté et obus israéliens de lautre. Plusieurs fois, les journalistes ont posé la question de savoir comment il est possible de vivre dans ces conditions infernales aussi longtemps. La réponse de Stéphane Juffa fut simple « On shabitue » !
Les journalistes sont installés dans labri. Ils sont là depuis moins dune heure et, tandis quils questionnent Stéphane dans le cadre de leur interview, le téléphone sonne à nouveau. Cest pour Sarah, la maîtresse de maison. Son service vient de lappeler. Sarah est infirmière urgentiste dans le petit hôpital de Kiriat Shmona et cela ne fait que deux heures quelle a fini son quart de huit heures de médecine de guerre, et quelle a affronté les onze kilomètres de tous les dangers, qui séparent Kiriat Shmona de Metula, pour rentrer chez elle. Elle décide cependant quelle doit retourner travailler. Elle nous confie, avant de partir : « il y a beaucoup de blessés à lhôpital, et des morts ».
Son mari juge que le risque est trop important. Ils parlent en hébreu, langue que je ne comprends pas, mais je saisis au ton de sa voix quelle lui répond quelle DOIT y aller. Stéphane Juffa, occupé avec collègues, me demande si je veux bien la conduire. Bien sûr ! Sarah est prête, nous partons. Dehors, cest toujours les alertes et le bruit des bombes. Nous roulons vers la sortie de Metula. Plus de feu tricolore ni de stop, pas de sens interdit, pas de limitation de vitesse, la police elle a autre chose à faire en ces journées difficiles !
Sarah me demande daccélérer, car à lhôpital, ils lattendent. Nous approchons de Kiriat Shmona. Tout le trajet est accompagné de détonations, partout, nimporte où et en même temps. Cest stressant. On parvient à toute vitesse aux abords de Kiriat Shmona mais avant de voir la ville, la route est envahie par la fumée. Les roquettes tombent dans les bois. Il fait chaud en cette période et tout est sec. Les pins brûlent, la route fume, Kiriat Shmona étouffe. Pas de voitures, nous sommes seuls sur la chaussée.
Un barrage de police et de militaires interdit le passage. Sarah sort sa carte, son badge durgentiste. Le militaire ne nous regarde même pas. Il nous dit de partir, que les roquettes tombent sur la ville et quil y a des morts. Il espère nous dissuader de poursuivre. Cest mal connaître Sarah qui donne de la voix. Le militaire regarde une fois encore la carte collée au pare-brise de la voiture et nous lance « Ok ». Nous entrons dans la ville prise entre le feu des roquettes, lagitation des ambulances et le brouhaha des sirènes. Des feux sévissent en plusieurs endroits, à lintérieur des murs. Sarah me guide jusquà lentrée des urgences, que nous atteignons après quelques détours. Il y a des ambulances, des infirmiers et des médecins qui sagitent dans la salle principale. Dehors, des secouristes du Magen David Adom lavent lintérieur des voitures et les brancards.
Ma passagère menjoint de laccompagner à lintérieur car je ne peux pas repartir. Les Katiouchas pleuvent plus que jamais. Tout le monde bouge, tout va très vite, il y a du bruit, des pleurs, des hommes crient des directives, et, subitement, je réalise ce qui se passe. Je vois des hommes, des blessés sur les tables et je vois le sol. Le personnel soignant est couvert de sang, les tables, les draps sont couverts de sang et sur le sol, il y a des flaques de sang. Des mares des sang. Javais déjà vu des blessés, des morts, mais là, jai vu une salle durgence qui vient de recevoir les blessés de Kiriat Shmona et les soldats de Kfar Giladi. Parmi eux, un des militaires est mort non loin de moi. Sarah Juffa mannonce quil avait à peine vingt ans. Il a reçu un éclat de Katioucha sous le bras droit. Un éclat dau moins 20 centimètres qui est entré dans son poumon. Une blessure qui lempêchait de respirer. Il est mort, là !
Ce militaire campait à lentrée du Kibboutz de Kfar Giladi. Une roquette a explosé sur un stock de munitions israéliennes, tuant sur le coup 10 soldats. Les autres ont été transportés à lhôpital de Kiriat Shmona puis transférés à Haïfa, comme la plupart des blessés graves. Dans la salle des urgences et dans les couloirs, outre des militaires intoxiqués par la fumée des incendies, jai aussi vu un bébé en état de choc, trempé de peur et de pleurs dans les bras de sa mère.
Je suis resté immobile, regardant autour de moi, et une fois que jeus repris le contrôle de mes émotions, jai vu des professionnels, des professionnels humains, compétents et gentils. On ma demandé si jallais bien, si je voulais un verre deau. Je suis resté à peu près deux heures dans lhôpital. Pour éviter que je ne gêne les soignants dans leur travail, un médecin ma installé dans une salle avec télévision, eau, café et jai mangé un sandwich. Je suis parti quand lalerte est tombée et jai regagné Metula.
Quand je suis revenu à lagence, les journalistes et Stéphane étaient encore dans labri. Jai juste poussé un peu la porte et Stéphane a instantanément compris que je venais de voir des choses. On na pas envie de parler après ça. Boire une bière oui, mais parler non. Le soir, à la télévision, France 2 na pas même fait état de ce drame.
Fragment de Katioucha récupéré sur un site à Tsfat (8 cm de long sur 5 cm sur de large).
On constate que cet éclat est constitué de métal pré-fragmenté par quadrillage, ce qui augmente leffet de dispersion et donc de létalité
Photo Charles-Emmanuel Guérin © Charles-Emmanuel Guérin
Pas de politique dans ce récit. Seulement un témoignage du quotidien de la guerre. Mais je ne peux mempêcher dexprimer mon écurement face au déséquilibre de linformation par nos médias durant ce conflit. La France et lEurope ne réalisent pas à quel point nous sommes redevables à Israël de lutter contre lhégémonisme islamiste. Lautocensure et la désinformation promettent encore de beaux jours au terrorisme islamiste. Grâce à nos médias, la victimisation des terroristes et lamalgame entre le mort civil et le combattant terroriste, encouragent le Hezbollah, le Hamas, Bechar Al Assad et Ahmadinejad à sacrifier les leurs pour culpabiliser lOccident.
Diverses brigades de Tsahal avaient installé leur Q.G dans les maisons délaissées autour de la Ména. Les soldats volaient, chaque fois que cétait possible, quelques précieuses minutes de sommeil
Photo Sébastien Machiels © Menapress
Et Israël va encore devoir se défendre.
Post scriptum : Un très grand merci à Sarah et à Stéphane Juffa pour leur accueil.
Et aussi toute ma considération et mon admiration pour leur courage. A Sarah pour aller travailler sous les roquettes et à Stéphane pour être resté à Metula, et pour avoir couvert le conflit depuis les locaux de la Mena, au front et sous les Katiouchas, lorsque ça nétait pas en reportage sur le terrain.
Chapeau bas !