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Le bouclier de l’identité nationale
Shmuel Trigano
Article mis en ligne le 31 mai 2015

Depuis le 17è siècle, avec l’installation des Etats-nations, la guerre opposait des entités collectives clairement identififées. Du fait de la conscription obligatoire deux siècles plus tard, elle vit les nations se confronter en masse sur le champ de bataille. Le partage privé/public, le principe national avaient rejeté la figure de l’ennemi potentiel en dehors des frontières. La tentative de limiter les victimes civiles avec les Conventions de Genève reposa sur cette distinction, alors possible, entre civils et militaires.

C’était un tournant par rapport aux guerres antérieures quand les potentats s’affrontaient presque personnellement à travers des armées de mercenaires qui les représentaient spécifiquement. La guerre devenait totale mais cantonnée presque totalement au champ de bataille (jusqu’à la deuxième guerre mondiale).

Dans la guerre contemporaine, celle qui s’est installée avec le djihad mondial, l’attaquant n’est plus identifié clairement à une entité collective, même si les Etats réguliers s’acharnent à tenter de l’identifier à un groupe quelconque (voir, par exemple, la pitoyable formule des journalistes avec le « Groupe Etat Islamique »). En réalité, l’entité collective agressive existe toujours, et ne peut qu’exister car on n’a jamais vu des « individus » s’attaquer à une entité collective. Seulement, elle est cachée et son hostilité ne se manifeste qu’à travers des individus, les « terroristes », soldats non déclarés d’une entité non clairement déclarée. La collectivité cachée peut être réelle ou fantasmée : dans le cas du djihad, c’est la oumma dont les terroristes sont, de fait, des soldats. Et cette oumma a aujourd’hui une réalité concrète avec l’effondrement des Etats-nations arabes, de l’Irak à l’Afrique centrale. L’apparition d’un prétendant au califat est venu la concrétiser. Le calife incarne en effet un pouvoir planétaire - il est le représentant de Dieu - et il peut appeler, il appelle, tous les musulmans de la planète à se soulever.

L’écho de cet appel quand il parvient aux populations des Etats-nations, c’est-à-dire des Etats organisés et responsables, a le pouvoir de les démembrer et de les fragmenter. L’attaque sur l’identité collective assaillie est au cœur de cette attaque qui vise à le pulvériser avant même que l’agressé ne réagisse. Aujourd’hui des djihadistes peuvent ainsi se lever du dedans de la société agressée. Le partage dedans/dehors est alors contourné. L’ennemi peut être au dedans. C’est le double effet de ce type de combat. L’Etat agressé n’est pas agressé par une autre collectivité, mais c’est en fait la collectivité en lui qui est frappée, non du dehors mais du dedans, au point qu’il ne puisse pas identifier ses ennemis parmi ses citoyens, des individus anonymes parmi d’autres (mais l’avant-garde d’une collectivité peu formelle tout en étant bien réelle). C’est ce qui confère son caractère à l’agression : chronique, de longue durée, permanente, croupissante, languissante, informe. La collectivité attaquée est détruite avant l’attaque même. Elle s’autodétruit.

La seule façon pour elle d’y faire face est de se déclarer en état de guerre ou plutôt en état d’urgence. Bien que l’Etat s’acharne à localiser une base territoriale qu’il pourrait attaquer à la façon ancienne (par exemple ce fut l’Afghanistan, l’Irak pour les Américains, le Sahel pour la France aujourd’hui, Gaza pour Israël), il ne réduit pas la menace. De ce point de vue-là, la survivance d’un régime de liberté démocratique devient de plus en plus difficile, comme on l’a vu avec les récentes lois françaises sur le terrorisme : la collectivité n’est plus « au dedans » : l’ennemi, autrefois au dehors, est au dedans.
C’est le front intérieur qui pose problème. Comme l’attaque est le fait de non soldats, comme ces non soldats ne s’attaquent qu’à des cibles civiles, utilisent les civils comme boucliers humains, la collectivité attaquée, en pays « démocratique », est portée à se diviser : on y voit surgir un courant d’opinion qui critique la résistance quasi militaire de l’Etat agressé, sous prétexte qu’il met en œuvre des moyens guerriers contre des « civils ». Israël a subi cette critique de plein fouet au point de voir paralyser son armée sous la pression internationale en proie à ce stratagème fatal de l’ennemi. En somme, non seulement l’ennemi déguisé surgit du sein de la nation agressée mais en plus il obtient le soutien des « humanistes », de ceux que Lénine qualifiait d’« idiots utiles » qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Ils servent ainsi malgré eux l’objectif stratégique de ce type de guerre qui est de semer la dissenssion chez l’ennemi et d’affaiblir sa capacité à réagir. La figure de l’ennemi n’est alors plus identifiée. Dans cette arène, l’identité collective, son renforcement, son affirmation deviennent un enjeu de la bataille. Elle est en effet la ressource la plus grande du combat et la condition de la victoire, si tant est qu’une telle société recherche la victoire. Nous voyons bien que la guerre civile autour de l’identité collective, l’identité nationale, fait rage aujourd’hui. En France et bien sûr en Israël où elle atteint des proportions pathologiques.


  • A partir d’une tribune sur Actualité Juive, le29 mai, 2015


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