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Affaire Ilan Halimi : place à la justice
David Ruzié, professeur émérite des universités, spécialiste de droit international
Article mis en ligne le 28 février 2006

Beaucoup de gens ont été choqués par les cris de vengeance qui ont été proférés au cours de la manifestation qui s’est déroulée, dimanche dernier, à Paris. de la République à Nation.

De fait, malgré l’horreur du crime commis, il y a lieu d’écarter toute réaction primaire, même face à des « barbares » (puisque c’est ainsi que leur chef les appelle).

Il appartient à la justice - en l’occurrence la justice française - de se prononcer, indépendamment des prises de position de partis politiques, pour une fois - sincèrement ou non - venus de tous bords.

Reste que le « cerveau » (sic - c’est lui qui le dit....) s’est enfui en Côte d’Ivoire et que, dans la société internationale policée, dans laquelle nous sommes sensés vivre, un Etat n’a pas le droit d’aller chercher, lui même, par la force s’il le faut, un présumé coupable.

Le retour en France de celui-ci, en dehors de son acceptation volontaire - apparemment exclue - repose donc sur la Côte d’Ivoire, où il s’est réfugié, bien que n’en ayant pas la nationalité.

A l’exemple de la Bolivie, en 1983, à propos de Klaus Barbie (bien que la régularité de cette mesure ait été contestée à l’époque), la Côte d’Ivoire aurait pu prendre une mesure d’expulsion à l’égard de l’intéressé

Mais, il n’y avait manifestement pas de raisons juridiquement valables pour prendre une telle mesure, qui risquait de passer pour une extradition déguisée (dans l’affaire Barbie, l’intéressé avait été déchu, de façon expéditive, de sa nationalité, qu’il avait acquise irrégulièrement).

Toutefois, la France sans qu’il y ait pour autant immixtion dans les affaires intérieures de la Côte d’Ivoire aurait pu bénéficier d’une telle mesure, quelle qu’en soit la légalité, comme ce fut précisément le cas dans l’affaire Barbie.

En effet, il est admis, en droit international, qu’un Etat a le droit de juger une personne qui se trouve sur son territoire, quelles que soient les conditions dans lesquelles elle y a été amenée, selon l’adage « male captus, bene detentus  » (v. la position de la Cour de Cassation dans l’affaire Argoud - cet officier français, membre de l’OAS, enlevé en territoire allemand, en 1964 et retrouvé ligoté dans un véhicule à Paris...).

Il est vrai, aussi, que prévenue plus tôt, la Côte d’Ivoire aurait prendre une mesure de refoulement, mesure qui consiste à refuser à un individu d’entrer à la frontière, en l’occurrence à l’aéroport d’Abidjan.

Mais, concrètement, l’individu recherché par la police française, peu de jours après la découverte du corps du malheureux Ilan Halimi, est entré tout à fait régulièrement sur le territoire ivoirien avec un passeport français.

De telle sorte qu’en dehors d’une demande de retour volontaire, évidemment exclu, la seule façon qui s’offre à la justice française c’est de demander l’extradition du présumé responsable de cette horrible tragédie, indépendamment du degré exact de sa responsabilité au regard du droit pénal.

Une demande d’extradition se présente comme une demande de livraison d’un individu qui, poursuivi sur le territoire de l’Etat réclamant se trouve sur le territoire de l’Etat requis.

Et de la même façon que nous nous sommes étonné, ici même, vendredi dernier, de l’ignorance du procureur de la République de Paris, au sujet de l’accord de coopération en matière de justice franco-ivoirien de 1961, de la même façon nous avons été surpris par certaines déclarations de responsables politiques qui ont parlé d’ « heures » à propos du délai prévisible avant d’obtenir l’extradition.

De fait, toute procédure d’extradition nécessite, en l’absence d’acceptation volontaire de l’intéressé, plusieurs semaines, voire plusieurs mois.

En effet, en Côte d’Ivoire, comme en France d’ailleurs, avant que le pouvoir exécutif décide de faire droit à la demande d’extradition, il y a une procédure d’examen devant les tribunaux.

Certes, selon le système des pays de droit continental (auquel se rattachent la Côte d’Ivoire et la France d’ailleurs) cet examen ne devrait être que purement formel et viser seulement à vérifier si les conditions de l’extradition sont réunies.

Cela ne devrait pas soulever de difficultés : l’individu en question n’a pas la nationalité ivoirienne - l’infraction commise n’est pas de nature politique - elle est punissable également en Côte d’Ivoire et n’a pas déjà fait l’objet d’une condamnation pour les mêmes faits.

Reste qu’en Côte d’Ivoire, il y a des voies de recours, dont l’intéressé ne peut être privé, quelle que soit la gravité de son crime.

Même présenté rapidement devant un juge, après avoir quitté les locaux de la police judiciaire ivoirienne, l’individu peut faire appel, voire saisir la juridiction suprême ivoirienne.

Et tout cela ne se fait pas en quelques jours, voire quelques semaines.

De là à dire, comme on a pu l’entendre sur certains médias, que la procédure « s’enlise », il y a une marge.

Il ne faut pas comparer cette affaire avec celle de l’extradition de Rachid Ramda, dont le procès vient seulement de s’ouvrir, alors que l’intéressé avait été arrêté en Grande-Bretagne dès 1995 et que la procédure d’extradition a effectivement duré 10 ans.

Car, précisément, dans le système judiciaire britannique la procédure d’examen d’une demande d’extradition n’est pas purement formelle.

Elle est un examen matériel qui s’attache au fond de l’affaire et qui contrôle les preuves afin de vérifier si les soupçons sont suffisamment fondés.

Et, effectivement, indépendamment des multiples recours engagés, la justice britannique a, pendant longtemps, émis des doutes sur les preuves rassemblées au sujet de l’implication de Rachid Ramda dans les attentats terroristes meurtriers de 1995.

On ne peut pas, davantage, établir une comparaison avec l’extradition de Michel Fourniret, accusé de plusieurs meurtres de jeunes filles en France et qui, arrêté en Belgique, en juin 2003 n’a été extradé qu’en janvier dernier, soit après plus de 2 ans et demi de procédure.

En effet, du fait que l’intéressé était également suspecté d’avoir commis des crimes en Belgique, la justice belge devait examiner la question de savoir s’il y avait lieu de le livrer d’abord à la justice française.

Il ne reste plus qu’à souhaiter que les prisons ivoiriennes ne pratiquent pas les « portes ouvertes » comme semble le faire la police judiciaire de ce pays, car les risques d’évasion seraient alors très grands.



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