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La fin des états-nations arabes
Shmuel Trigano
Article mis en ligne le 22 juin 2014

Le Nouveau Moyen Orient, qui est en train d’apparaître sous nos yeux, n’est pas exactement celui que l’utopie de Shimon Peres nous promettait. Des ruines de la structure géopolitique qui était née du retrait des pouvoirs coloniaux européens - qui, eux mêmes s’étaient substitués à un autre cadre impérial, celui de l’Empire ottoman -, est en train de se former un pouvoir monstrueux, celui de « l’Etat Islamique en Irak et au Levant », en fait une engeance d’El Qaida qui se nourrit de la décomposition de la Syrie et de l’Irak, tandis qu’au nord se constitue un Etat kurde qui va devenir le pivot de la région, et qui l’est déjà avec le succès de son armée de peshmergas capables de tenir à distance les djihadistes. La menace sur Bagdad est tout un symbole.

L’effondrement d’un monde

Cette situation est, quand on la regarde de plus près, le lot de tous les Etats arabes entre l’Algérie et l’Iran, deux pays qui, eux mêmes, connaissent une cassure certaine entre les régimes qui les dominent et leurs populations. La Libye a sombré dans le chaos et une partition de fait du pays est à l’œuvre, la Syrie et l’Irak n’existent plus dans la réalité. Le Liban va connaître le même sort : les lignes de fracture passent déjà dans ses rangs. La Jordanie est bien fragile dans ce maëlstrom, suscitant déjà l’envie de l’EEIL, tandis que les Etats de la péninsule arabique se retrouvent en très mauvaise posture, abandonnés de fait par les USA d’Obama et sous la menace des appétits de domination de l’Iran sur toute la région, déjà puissance dominante dans le sud de l’Irak (et peut-être alliée en sous main de l’EEIL, selon certaines sources). L’Egypte, quant à elle, s’accroche au bord de l’abîme pour ne pas tomber dans le néant. La Tunisie est branlante.

Entre le Maroc et l’Iran, il n’y a qu’un seul véritable Etat, stable et florissant, Israël et sans doute aussi, plus au nord, la Turquie, malgré la fragilité d’Erdogan mais l’irruption d’un Etat kurde aura sur elle (et l’Iran ) un fort retentissement parce qu’une partie du peuple kurde y vit et qu’il nourrit une certaine rebellion. Sacrifié dans le partage bureaucratique de ces territoires par les puissance coloniales, Grande Bretagne et France (accords Sykes-Picot), le surgissement d’un Etat kurde en devenir est le premier signe de la fin d’un ordre international séculaire.

L’islam derrière la nation

Ce que nous découvrons, en fait, c’est que ces Etats n’avaient pas de consistance intrinsèque : ils étaient le produit des calculs coloniaux. Ils rassemblaient des groupes tribaux, des religions et n’ont jamais créé de nation. Il n’y eut jamais d’expérience de l’Etat-nation capable de forger une unité nationale. Sans nation, sans Etat véritable sinon des dictatures militaires, ils furent incapables de créer une véritable citoyenneté, capable de fédérer ces populations différentes. L’expulsion ou l’exclusion, c’est selon, d’environ un million de Juifs, entre 1940 et 1970 en fut le premier témoignage. Aujourd’hui, la persécution et l’expulsion générale des chrétiens arabes comme la guerre intra-islamique entre confessions shiite et sunnite montrent qu’ils ne furent jamais les Etats nations que les Etats coloniaux avaient cru créer.

Et ce n’est pas un hasard que l’alternative à ce qui n’était qu’un décor creux soit l’islamisme, c’est à dire non pas le demos démocratique mais la massification de la Oumma. Contrairement aux attentes erronées des Occidentaux, le « printemps arabe » a vu, en effet, la levée en masse de la Oumma islamique qui balaya les structures étatiques, ce que montrait le fait étonnant que cette levée se produise en même temps dans des lieux fort éloignés.

Un conglomérat de tribus ne fait pas une nation. Les empires, ottoman puis européens, n’avaient pas dominé en effet des nations déjà établies mais les restes de pouvoirs impériaux islamiques. Leur retrait n’ouvrait de fait que sur un néant antérieur que seul l’islam pouvait gérer, sauf que l’islam est aussi en guerre avec lui même. Le retrait colonial créait donc des nations qui n’avaient jamais existé et qui aujourd’hui s’effritent comme dunes au vent. Derrière la façade institutionnelle, il n’y avait pas de nation ni de peuple, mais des peuples. Contrairement à ce que les journalistes croient, Bashar El Assad, par exemple, « ne tue pas son peuple », mais un autre peuple que le sien qui est le peuple alaouite. De même que les insurgés syriens sont moins des « patriotes » qu’un peuple en lutte contre un autre. L’Etat que les Assad incarnaient était l’Etat d’un clan, d’une religion et pas de tous les Syriens. Et c’est vrai pour tous les Etats arabes : la connotation tribale, religieuse ou ethnique du pouvoir est la règle.

La restructuration de toute une région

Une restructuration géopolitique considérable est ainsi à l’œuvre qui verra naître de nouveaux Etats et de nouveaux centres de pouvoir, peut être des formes impériales. L’Iran est le grand candidat à un destin impérial. La Turquie « ottomane » d’Erdogan est sur les rangs. Que fera-t-elle face à la décomposition de la Syrie et sans doute du Liban ? La décomposition de la Libye entraîne avec elle la décomposition de l’Afrique sub-saharienne et l’expansion du djihad en Afrique noire musulmane. Le lien de ces régions avec l’Egypte, le Soudan et la Somalie est évident.

Nul ne sait encore sur quoi ouvrira la décomposition du monde arabo-musulman. Parmi les raisons de cet effondrement à la manière d’un chateau de cartes, il faut sans aucun doute compter les erreurs occidentales. Le projet naïf des conservateurs américains d’instaurer à marche forcée la « démocratie », la naïveté perverse de choisir le camp des islamistes pour maitriser la situation de la supposée « démocratie » des printemps arabes, le renversement des alliances autant de l’Europe que des USA par rapport aux anciens alliés de l’Occident (Israël autant que l’Arabie saoudite), la politique défaitiste d’Obama sur tous les plans et notamment le nucléaire iranien, sont autant de causes efficientes de cet effondrement. Et qui sait si demain, par un suprême renversement d’alliances, les USA ne se retrouveront pas aux côtés de l’Iran dans l’affaire irakienne ? Il ne faut pas non plus négliger le poids délétère que pèse l’UE sur les régions alentour d’autant que ses frontières semblent ne pas être définitives (accession à l’Union de la Turquie, du Maroc, de l’Ukraine, de la Biélorussie ?...) et notamment avec ses ambitions en Méditerranée. La dynamique (éventée) du Traité de Barcelone visant à l’harmonisation du fonctionnement des pays riverains de la Méditerranée, à l’unisson des normes européennes, n’a-t-elle pas été une forme d’intrusion intempestive dans ces pays ?

La nouvelle donne dans le conflit du monde arabe et d’Israël

Cette nouvelle donne change complètement la réalité du conflit arabo-israélien. Le cadre dans lequel les Accords d’Oslo ont été pensés et mis en œuvre s’est irrémédiablement effondré. Sa finalité devient caduque. Que signifierait, en effet, de contribuer à créer un Etat-nation palestinien alors que les Etats nations arabes s’effondrent de toutes parts ? Le « peuple » palestinien est lui même une invention récente, effet d’un tournant stratégique de l’OLP des années 1970. Dans, les faits il n’existe pas : les Palestiniens sont traversés par des fractures tribales importantes et leur partage entre Gaza et la Cisjordanie, leurs revendications irrédentistes sur les Arabes d’Israël et les Palestiniens de Jordanie promettent un avenir de troubles régionaux sans fin. L’alliance du Fatah et du Hamas montre également que le Hamas est le fond du paysage palestinien, son décor-cadre. Si, demain, un accord était passé avec l’Autorité Palestinienne, Israël se retrouverait inéluctablement face au Hamas, réduisant à néant toute promesse contractuelle : un cas de figure déjà vu en Algérie avec les accords d’Evian passés avec le GPRA mais jamais respectés avec le FLN qui l’a suivi. Ce serait bien l’expression, dans le cadre palestinien cette fois ci, de ce qui se passe actuellement dans le monde arabe où l’on voit l’islamisme poindre derrière ce que l’on croyait être les Etats-nations arabes. Le conflit redevient ce qu’il a toujours été, malgré l’illusion « nationale » palestinienne : un conflit mu par l’hostilité du fondamentalisme islamique envers la souveraineté d’un peuple qui, selon lui, a vocation à être dominé (dhimmi).

C’est un bouleversement considérable de la situation et les pacifistes israéliens, les Etats occidentaux doivent revoir leur slogan de« deux peuples, deux Etats ». Il n’a plus aucun sens et les choses ne se jouent plus dans cette arène.

Du point de vue d’Israël, la mutation dramatique du monde arabe est très positive. L’apparition d’un Etat kurde est une très bonne nouvelle, jusqu’à nouvel ordre. La décomposition de la Syrie et de l’Irak allège la menace à l’est et promet d’être un facteur de trouble en Turquie et d’échec pour le bloc sunnite arabique (Arabie et émirats). Les Palestiniens quant à eux ont tout intérêt à rester dans la dépendance d’Israël dans un monde aussi incertain et où eux mêmes appartiennent à un passé révolu (nationalisme arabe, entité forgée avec l’aide de l’URSS...). Le maillon le plus important maintenant est la Jordanie qui pourrait sauter...

Reste à surveiller l’Iran, à moins que son régime ne subisse aussi le coup d’une révolution de la société civile contre la dictature islamique. C’est un vieux principe de la prophétie biblique « Du nord s’étendra le mal » (Jr 1, 14). L’assaut contre l’Etat d’Israël antique est presque toujours venu des empires de l’est, Assyrie et Perse, d’ailleurs des empires au destin extrêmement mouvant. C’est le sort géopolitique de la Mésopotamie.



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