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 Galileo ou la conquête de l’inutile 
www.stephane.info
Article mis en ligne le 29 décembre 2005
dernière modification le 31 décembre 2005

Dans la nuit de mardi à mercredi, le satellite Giove a été placé sur orbite après un tir de fusée depuis le site de Baïkonour. Ce lancement est une étape importante dans le programme Galileo. Mais qu’est-ce que Galileo, et surtout, pourquoi ce programme existe-t-il ? Derrière l’exploit technique se profilent d’inquiétantes questions.

L'ambition de Galileo étant de supplanter le GPS, attardons-nous un peu plus sur ce dernier pour comprendre de quoi il s'agit.

Le GPS (Global Positioning System) est un système de positionnement par satellite. En se servant des fréquences régulièrement émises par une matrice de 24 émetteurs placés en orbite, un navigateur GPS est capable de déterminer sa position sur la surface du globe avec une grande précision. Savoir exactement où on se trouve semble bien dérisoire, et pourtant les applications sont innombrables: qu'il s'agisse de transport aérien, de recherche d'itinéraire en automobile ou de simple randonnée, les navigateurs GPS sont de plus en plus fréquents. D'autres services sont conçus par des utilisateurs imaginatifs. Ainsi, des viticulteurs se sont servi en France du positionnement par satellite pour tracer les lignes de leurs pieds de vignes sur leurs parcelles! Avec une exactitude inégalée, cela va sans dire...

Le GPS est un service gratuit, efficace, et disponible dans le monde entier. Pourtant, il souffre de deux défauts rédhibitoires aux yeux de l'Union Européenne:

Il est américain;

Il est d'origine militaire.

C'est en effet le fameux DoD (Department of Defense) américain qui est à l'origine d'un programme initialement prévu pour les opérations militaires, et qui concernait d'abord la navigation maritime. Car il faut savoir qu'en tant que technologie militaire, les émissions des satellites GPS sont cryptées; la clef de ce cryptage est un des secrets les mieux gardés au monde. Les Américains n'ont rendu public l'accès aux coordonnées GPS qu'en 1992, et encore, avec une précision amoindrie - l'échelle était de 100 mètres - et refusaient de fournir au public des algorithmes de décodage permettant une lecture plus précise, craignant que cette technologie ne soit employée par des adversaires du pays. Depuis, ils ont relâché leur politique en permettant un accès de plus en plus complet. En fait, il semble que les algorithmes de cryptage aient fait des progrès en parallèle.

Car c'est bien le souci qui agite tous les pays qui sont en froid avec les Américains: selon toute vraisemblance, les généraux du Pentagone peuvent probablement changer les paramètres des satellites pour rendre inopérant tous les GPS du monde hormis ceux des militaires américains, ou diminuer leur précision, ou désactiver le service sur une zone géographique précise. Difficile de dire jusqu'où s'étend le contrôle du gouvernement sur un système de navigation conçu par ses services de défense, mais on peut supposer qu'il est vaste. Comme le monde n'est pas moins dangereux en 2005 que lorsque le programme a été mis en place, quoique différemment, on peut imaginer que l'accès public amélioré à ce service est arrivé en même temps que des possibilités accrues sur son contrôle.

Utiliser le GPS est donc, quelque part, une décision politique. Or, l'indépendance stratégique d'un système de navigation est au coeur de la motivation du programme Galileo.

Pendant quelques années, lorsque les Américains proposaient une précision de 100 mètres en accès public, l'Union Européenne envisageait de lancer une matrice "complémentaire" de satellites destinée à augmenter la précision du signal américain pour atteindre le mètre. C'était l'objectif initial du programme Galileo. Ce programme fut repoussé pour cause d'obsolescence lorsque les Etats-Unis accordèrent la précision de l'ordre du mètre: il n'avait plus aucun intérêt.

Et il continue à n'avoir aucun intérêt aujourd'hui. Sauf sur le plan politique.

En effet, l'argument technique de la précision ne tient pas. Pour le résumer, Galileo serait destiné à être précis d'un mètre tandis que le GPS n'est que de 3 mètres, d'où une justification de l'aventure européenne. Mais c'est oublier bien vite que la version militaire américaine est déjà plus précise d'une part, comme quoi les Américains en sont capables avec leur réseau satellite existant, et d'autre part que pour le prix du programme, les Européens, s'ils avaient choisi la voie de la coopération internationale, auraient pu renforcer ou prendre une collaboration active dans le programme GPS pour acquérir la précision accrue qu'ils affirment rechercher.

Qu'est-ce qui peut pousser l'Union Européenne à dépenser plus de trois milliards d'euros pour créer à double un service qu'un allié géopolitique propose gratuitement?

Je ne vois qu'une seule réponse: l'Union Européenne prévoit à moyen terme de ne plus être alliée avec les Etats-Unis. Au point de se fâcher suffisamment avec eux pour risquer de ne plus bénéficier de leur service de positionnement par satellite. Et de prendre les devants une dizaine d'années à l'avance pour ne pas souffrir de désagréments lorsque ce sera le cas. Ces messieurs de Bruxelles calculent loin dans l'avenir! Mais la trajectoire qu'ils entendent donner au continent devrait davantage inquiéter l'Européen moyen que le lancement inutile mais prestigieux d'une vingtaine de satellites en orbite d'ici 2010.

Pourquoi dépenser tant d'argent alors qu'avec une fraction de cette somme aurait sans doute pu servir à l'entretien du système GPS américain en échange d'un accès garanti et amélioré au service qu'il offre? L'Union Européenne a délibérément refusé la voie de la collaboration transatlantique sur ce dossier, pour faire cavalier seul et concevoir son propre système parallèle. Enfin, "cavalier seul" est une façon de parler: parmi les partenaires de Galileo hors Union Européenne, on trouve la Chine, l'Inde, le Maroc et l'Arabie saoudite. Les nouveaux compagnons géopolitiques sur le long terme, sans aucun doute.

Que des milliards d'euros soient dépensés pour garantir l'indépendance européenne vis-à-vis de régions du monde plus ou moins instables aurait eu un sens. Par exemple, l'Union Européenne aurait pu, dans son style, subventionner la recherche pour des carburants alternatifs afin de limiter sa dépendance pétrolière avec les pays du golfe persique - et on en fait des choses à coup de milliards d'euros. Mais qu'une telle somme soit dépensée pour se créer sur un intervalle de plusieurs décennies une indépendance d'avec un de ses propres alliés - un pays libre et démocratique qui plus est - a quelque chose d'extrêmement préoccupant.

De toute évidence, le projet Galileo est une étape importante dans la rupture que l'Union Européenne projette avec les Etats-Unis. Il n'est donc pas surprenant que la réussite affichée par le projet jusqu'ici trouve tant d'échos enthousiastes dans la presse; et tant pis si l'ensemble n'est qu'une vaste conquête inutile.



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