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Justice à Bagdad
Par Anne Applebaum - Washington Post - Adaptation française de Simon Pilczer, volontaire de l’IHC
Article mis en ligne le 20 octobre 2005

« Nous serons capables d’écarter la tyrannie intérieure et la violence et l’agression de ceux au pouvoir contre les droits de leur propre peuple uniquement si nous rendons tous les hommes responsables devant la loi ».(Juge Robert Jackson, lors de sa déclaration d’ouverture de procureur aux procès de Nuremberg en 1945).

La rhétorique était élevée, les objectifs formidables, les idéaux étaient vastes. Et pourtant selon les standards modernes des droits de l’homme et de la loi internationale, le Tribunal Militaire International qui a jugé et prononcé des sentences contre la direction nazie à Nuremberg aurait dû être un échec.

Dès le départ, les procès étaient clairement la justice des « vainqueurs ». La Grande-Bretagne, la France, les Etats-Unis et l’Union soviétique ont créé une cour sans réelle participation allemande ou « internationale ». Ils ont appelé leurs règles fondamentales une charte, non pas une loi, pour esquiver la question de la légalité douteuse de la cour. La liste des accusés, limitée à 20, était à peine détaillée. A un moment, les procureurs soviétiques ont accusé les nazis d’avoir massacré quelques 20.000 officiers polonais en 1940, crime que leur gouvernement savait parfaitement bien perpétré par l’Union soviétique elle-même.

Pourtant Nuremberg a été, rétrospectivement, un immense succès, et alors que le procès de Saddam Hussein commence aujourd’hui à Bagdad, cela vaut la peine de rappeler pourquoi. S’il n’avait rien réussi d’autre, Nuremberg a exposé aux yeux du peuple allemand, et au monde, la vraie nature du système nazi. Les survivants d’Auschwitz et les officiers SS ont témoigné. Des nazis de haut rang ont été soumis à une enquête recoupée. Les procureurs ont produit des documents, des actualités des camps de concentration libérés et des films des atrocités réalisés par les nazis eux-mêmes. Il y a eu des pendaisons à la fin, ainsi que des acquittements. Mais ce qui importait le plus, c’est que l’histoire du Troisième Reich ait été racontée, de façon mémorable et éloquente.

Parce qu’il survient pendant une insurrection, et parce qu’il est mené par des Irakiens, pas des étrangers, le Tribunal Spécial Irakien qui jugera Hussein et ses acolytes est potentiellement plus faible, et plus facilement manipulable que la cour de Nuremberg. Dès le début, des politiciens irakiens ont voulu utiliser le procès pour lancer une attaque politique contre les sunnites baathistes, alors que d’autres veulent mener cela rondement, justement pour protéger certains membres de la communauté sunnite. Inexplicablement, l’armée des USA qui contrôle toujours les dossiers saisis du gouvernement de Hussein, limitent encore leur accès aux Irakiens, et restreindront aussi l’accès à la salle d’audience. Même des Irakiens participant au tribunal se préoccupent de l’inexpérience des juges et des procureurs irakiens, dont certains déclarent en privé qu’ils sont encore effrayés par Hussein, même assis à bonne distance dans une salle d’audience.

En partie à cause de tout cela, et en partie d’abord parce qu’ils n’apprécient pas beaucoup l’invasion de l’Irak, les groupes internationaux de défense des droits de l’homme qui sont généralement enthousiastes pour les procès des dictateurs, font les délicats pour celui-là. « Human Rights Watch » a déclaré que le tribunal a un « niveau de preuve inapproprié », et il se soucie de ce que les accusés n’auront pas une défense adéquate. « The International Center for Transitional Justice » se plaint de problèmes « légaux, administratifs et de procédure ». Il y a beaucoup de grondements de haute réflexion sur la peine qui mort qui sera, sans doute, le résultat final.

Et pourtant - si la cour est capable d’établir un vrai ensemble d’événements, si les juges sont capables de présenter d’authentiques témoins, et si les porte-parole du tribunal sont capables de communiquer leurs données à la presse irakienne et internationale, tout cela importe peu. Le fait que la cour entame avec un plus petit incident, le massacre en 1982 de plus de 140 hommes shiites du village de Dujail est plus facile à raconter que ceux de crimes plus compliqués, comme la campagne génocidaire de Hussein contre les Kurdes ou les Shiites du sud, est bon signe. Au lieu de précipiter ou de politiser le procès, les audiences d’aujourd’hui seront probablement suivies d’un délai, de façon à rassembler plus de preuves.

En définitive, c’est sur la qualité de ces preuves, et la clarté avec laquelle elles sont transmises, que ce procès devra être jugé. Le résultat n’a pas d’importance. Très franchement, il importe peu que Saddam Hussein soit écartelé, exilé à Pyongyang, ou qu’il moisisse dans une prison de Bagdad. Aucune punition ne pourra compenser les milliers de victimes qu’il a tuées, ni la terreur qu’il a infligée à son pays.

Mais si ses compatriotes Sunnites apprennent ce qu’il a fait aux Shiites et aux Kurdes, si les Shiites et les Kurdes apprennent ce qu’il a fait aux Sunnites, si les Irakiens réalisent que son système de terreur totalitaire leur a porté tort à tous, et si d’autres au Moyen-Orient apprennent que des dictatures peuvent être renversées, alors le procès aura atteint son objectif. Cela, et non pas un niveau arbitraire de loi internationale, est l’aune à laquelle la réussite de ce tribunal inhabituel devrait être mesurée.


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