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Pas de solution
Par Stéphane Juffa © Metula News Agency
Article mis en ligne le 12 octobre 2005
dernière modification le 11 octobre 2005

Dahlan : J’pourrais bien, mais j’veux pas !

A la Ména, la majorité des analystes, des journalistes et des reporters a beaucoup d'estime pour le président de l'Autorité Palestinienne Mahmoud Abbas. Il me suffit de rappeler aux oublieux que nous fûmes les premiers à annoncer qu'Abbas allait être choisi par Arafat pour être le premier premier ministre de l'AP et que nous nous en réjouîmes. C'était à une époque où les relations entre les deux hommes étaient à couteaux tirés - ce qui s'avéra comme une constante avec le recul dont nous disposons aujourd'hui -, et notre révélation nous avait valu un concert de ricanements auprès de ceux qui préfèrent se dessiner les événements du Moyen-Orient plutôt que de les observer. A la même période, nous fûmes aussi les seuls à faire état des déclarations de M. Abbas, lorsqu'il affirmait, au faîte des violences palestiniennes, la nécessité de mettre un terme à l'Intifada. Autant dire que nous n'avons jamais douté de la volonté d'Abou Mazen de faire cesser le terrorisme et de négocier, pacifiquement, le statut final de la région, avec, en point de mire, la solution des deux Etats distincts pour deux peuples différents.

 

En tant qu'observateurs pragmatiques de la situation, juifs et arabes, nous espérions - et nous espérons encore ! - le succès du président palestinien.

 

Aujourd'hui toutefois, il est de notre devoir, forts des informations dont nous disposons, d'avertir nos lecteurs que les augures sont fortement défavorables, pour ne pas écrire que les carottes de M. Abbas sont presque cuites, autant que l'avenir du système de gestion de la Palestine, tel qu'il a été mis en place à la Moukata de Ramallah. En quatre vocables : ça ne marche pas !

 

Je rédige cette synthèse pessimiste après avoir recueilli les avis des gens du terrain, ceux qui respirent, jour après jour et depuis des années, l'air qu'on respire à Gaza et dans les territoires palestiniens de Cisjordanie. Et je n'ai pas fait qu'écouter les points de vue de Sami El Soudi et des autres témoins de la Ména sur place, je puis vous l'assurer. J'ai consulté le panel le plus large possible d'opinions, ce, incluant celles de reporters étrangers couvrant la réalité palestinienne au quotidien, ainsi que celles des responsables sécuritaires et politiques israéliens et palestiniens. Leurs impressions convergent. Elles sont même identiques.

 

Et la synthèse de cette prise de température est la suivante : la capacité d'Abbas à établir son contrôle sur les territoires soumis à son autorité et sur ceux qui pourraient lui être transférés est inexistante. Il est impossible pour lui, et pour l'AP, à la fois de désarmer les intégristes et de mettre fin aux batailles intestines qui ensanglantent la communauté palestinienne. Ce n'est pas une question de nombre de fusils, ni de nombre d'hommes à disposition, c'est une affaire d'absence de leadership, de foisonnement d'intérêts claniques et de conquêtes de petits privilèges. Pour ne rien arranger aux affaires palestiniennes et régionales, Abbas ne dispose d'aucun appui significatif dans sa société archi-tribalisée. Il est seul. Seul au point d'être incapable d'assurer sa propre sécurité au sein même de la Moukata ou aux abords de son domicile.

 

La nouveauté contenue dans cette synthèse, c'est qu'il est illusoire d'attendre des choses qu'elles s'arrangent. En fait, pour suivre tous nos indicateurs, la situation est destinée à empirer ; elle déchoit vers l'anarchie absolue dans les territoires palestiniens. Le chaos. Déjà Mahmoud Abbas n'est qu'un général sans armée, ne serait-ce le respect qu'il m'inspire, j'écrirais une poupée de chiffons. Une poupée qui s'exprime, certes, et qui articule des propos pleins de bon sens. Mais ces propos, justement, sont à mille lieues de la réalité que tout observateur un peu exercé peut découvrir en regardant Gaza. A mille lieues de toute applicabilité.

 

Disons-le sans détours inutiles, la police palestinienne ne vaut rien ; elle est incapable d'effectuer la moindre opération offensive. Les bandes armées non plus, qui ne comptent parfois guère plus de 30 membres, d'autres, une centaine. Et elles pullulent. Et si elles ne sont pas à même non plus de mener des opérations offensives, elles peuvent cependant tout à fait se livrer à des coups de main et à des règlements de comptes, comme dans le cas de l'élimination de Moussa Arafat. Les Forces de sécurité ne disposent ni du commandement, ni de l'organisation, ni des ressources humaines nécessaires à empêcher ces actions qui sont largement plus mafieuses que politiques.

 

Dans les territoires on ne discute pas du tracé des futures frontières avec Israël mais du moyen de s'approprier le contrôle d'un camp de réfugiés, d'une rue, ou d'un peu d'influence.

 

Au centre de cette gabegie deux groupes armés tirent leur épingle du jeu : le Hamas et la Sécurité Préventive aux ordres de Mohammed Dahlan. Le Hamas dispose de deux avantages, celui de pouvoir compter sur des membres fanatisés et donc mobilisés en permanence, et celui d'être organisé et de posséder l'expérience du combat. Pour illustrer cette constatation, le reporter-correspondant  d'un media français qui a, à son actif, un an et demi de vie à Gaza, m'a gratifié hier de la formule suivante : "les types du Hamas qui n'étaient pas au point ont tous été liquidés par Israël. Ceux qui restent sont passés experts en camouflage et en méthodes de survie. Pendant qu'ils acquéraient leur expérience au combat, les policiers palestiniens séchaient en piges inutiles dans leurs Jeep au soleil".

 

Il s'agit d'une image précise de la situation, la police palestinienne, en dépit de son surnombre, n'est pas de taille à désarmer les miliciens intégristes, il faut s'en faire une raison.

 

Quant à la Sécurité Préventive, elle est la mieux armée, la plus disciplinée et la mieux encadrée de toutes les formations sécuritaires palestiniennes. Sur l'ordre de Dahlan, elle pourrait - certes au prix de violents affrontements - s'emparer du contrôle des territoires palestiniens. Assurément, mais la Sécurité Préventive et ses mille cinq cents hommes reste complètement à l'écart du tumulte ; elle laisse faire. Ses membres passent leurs après-midi et leurs soirées à d'interminables parties de poker, tandis que les officiers fréquentent le centre équestre, soignent leurs uniformes et abordent les filles de l'élite économique palestinienne.

 

Dahlan ne joue que sa carte, expliquent tous les observateurs sur place, il attend son heure. Il aspire à bien plus qu'à un titre raccommodé de ministre de second rang, poursuivent les reporters, il attend que l'Autorité Palestinienne s'écroule sur ses dirigeants ou que, juste avant que cela ne survienne, on l'appelle - de Ramallah, mais aussi de Washington et de Jérusalem - pour sauver la baraque en jouant monsieur providence.

 

"Mais cela signifierait la fin de l'Autorité Palestinienne à vocation démocratique, telle qu'on la saisit aujourd'hui", prévient Sami El Soudi, "si Dahlan intervient, ce sera avec les méthodes Dahlan, quelque chose qui ressemblera à la répression de Septembre noir, menée sans grande parcimonie par les bédouins du roi Hussein. Ce ne sera pas pour remettre les clés d'un Etat pacifié aux politiciens de Ramallah qu'il méprise, mais pour les garder. Ce sera une autocratie paramilitaire de type dictature arabe et rien d'autre", ponctue notre confrère, qui sait habituellement de quoi il parle.

 

A Jérusalem, on a bien compris la gravité de la situation et, pour le comité restreint des conseillers stratégiques de Sharon, qui siègent presque en permanence, l'enjeu est simple et précis et il s'intitule : "Comment sauver Abbas ?"

 

J'ai eu ce matin une intense conversation avec l'un de ces collègues analystes stratégiques. Autant dire qu'ils n'ont pas trouvé la solution miracle et qu'ils doutent qu'elle existe. Ce gouvernement est prêt à transférer à Mahmoud Abbas la totalité des agglomérations palestiniennes de Judée-Samarie pour autant qu'il puisse y maintenir l'ordre et à engager avec lui la négociation sur la résolution finale du conflit, dans les mêmes conditions. Mais on est très loin du compte, m'a confié mon interlocuteur.

 

Ces derniers jours, se sont déroulées plusieurs rencontres avec Saëb Erekat, le ministre palestinien chargé des contacts avec Israël. Erekat est venu présenter aux Israéliens une liste de requêtes censées "donner de l'air à Abbas". Au cours de l'une des discussions, l'un des négociateurs de Sharon a proposé, en signe de sérieux et de bonne volonté, de remettre à l'AP "en une fois, toutes les villes palestiniennes de Cisjordanie". Erekat a souri : "et que voulez-vous qu'on en fasse", aurait-il rétorqué, "nous n'avons pas le début de la capacité d'en assurer le contrôle, accepter serait suicidaire".

 

L'heure est très grave. Les Israéliens, Shimon Pérès en a parlé ce matin, sont en train de considérer la requête d'Abbas de libérer vingt terroristes, dont la plupart a du sang sur les mains, selon la formule consacrée. En situation normale, Jérusalem aurait rejeté cette demande sans même l'examiner mais nous ne sommes pas "en situation normale". Les conseillers ne sont toutefois pas persuadés de l'opportunité de relâcher ces criminels, ils doutent que cela renforcerait Abbas, considérant que, dans la dialectique des intégristes palestiniens, ce geste pourrait être exploité comme une justification de l'Intifada et comme un signe de la faiblesse d'Israël. Cela pourrait donner un bol d'air au Hamas plutôt qu'à Abou Mazen, explique mon confrère.

 

Oui mais que faire ? Faute d'agir, Mahmoud Abbas va s'enfoncer et tous ici savent qu'intellectuellement et conceptuellement, il est l'interlocuteur palestinien valable et honorable dont Israël attendait l'émergence depuis des décennies.

 

En tous cas, dans l'entourage de Sharon et dans celui de Bush - qui va recevoir le président de l'AP très prochainement - on a compris que rien ne sert d'exiger de sa part qu'il neutralise les organisations terroristes. Il voudrait bien, mais il est loin d'en avoir les moyens. Certes, l'exigence provisionnée dans la Road Map de ce que les Palestiniens désarment les terroristes, demeure comme préambule à l'ouverture des négociations sur le statut définitif. Car, stratégiquement, il inutile et même périlleux de négocier avec un partenaire qui ne se trouve pas en situation de réaliser sa part du contrat.

 

On saisit ici tout l'espace qui peut exister dans la réalité entre la nécessité de s'en tenir à une doctrine stratégique juste et celle, beaucoup plus urgente, de sauver la tête de son interlocuteur. Faute d'interlocuteur, une doctrine, aussi bonne soit-elle, ne sert plus à rien...



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