la Loi doit régner si l’humanité veut survivre
Simon Wiesenthal aurait pu être un survivant de la Shoah parmi dautres, mais il a été plus que cela. Il a réalisé, alors quil était encore interné et promis à une mort atroce, quil devait survivre à tout prix, précisément pour témoigner de la mort atroce de six millions dautres, pour clamer quun tel crime ne pouvait supposer ni pardon ni oubli, afin que cela ne puisse jamais recommencer. Il a donc fait preuve dune force morale et dune détermination extraordinaires : sa première liste de criminels nazis, il la établie dans le camp même de Mauthausen où il était interné, et, dès le jour de sa libération, le 9 mai 1945, il la remise à larmée américaine.
Pourtant, la volonté morale et lopiniâtreté de Simon Wiesenthal ont été très vite soumises à rude épreuve, lorsque la guerre froide sest enclenchée peu après la Seconde Guerre Mondiale. La « realpolitik » a pris le dessus en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. En Allemagne, à lOuest, on a voulu « tourner la page » pour faire face à la nouvelle menace. Le chasseur de nazis est apparu alors comme un empêcheur de tourner en rond, quelquun qui refusait de « laisser les morts enterrer les morts » et de voir recyclés les anciens nazis. Par son acharnement, il a donné aux tenants de la « realpolitik » une leçon qui vaut encore aujourdhui : léthique ne peut être exclue de la décision politique si celle-ci veut avoir une valeur.
Wiesenthal a introduit limpératif catégorique moral dans la politique et la placé au-dessus de cette dernière, ce qui lui a été reproché à lépoque. Cest dailleurs aussi ce qui est reproché aujourdhui à ceux qui pensent comme lui. Wiesenthal a créé un précédent historique. Si on avait compris plus tôt ce que je nomme le « précédent Wiesenthal », bien des erreurs et des errances de la seconde moitié du vingtième siècle et du début du vingt-et-unième nauraient pas eu lieu et nul naurait eu lopportunité de protéger des « salauds » sous le prétexte que « ce sont les nôtres ».
Simon Wiesenthal a remporté sa victoire majeure et essentielle en contribuant à larrestation dAdolf Eichmann. Il a montré ainsi quaucun « salaud » nétait à labri nulle part, même après des décennies. Il a démontré que léthique peut justifier un droit et un devoir dingérence. Il a permis quait lieu lun des actes fondateurs dIsraël, une douzaine dannées après sa naissance. LEtat dIsraël a été créé pour que les Juifs retrouvent leur identité et leur terre et pour quils disposent dun ultime refuge face à la plus vieille et à la plus féroce haine de lhistoire de lhumanité. LEtat dIsraël a aussi été créé pour que nul noublie lInnommable et pour que la justice triomphe. Si Israël navait pas existé, Eichmann naurait été ni arrêté, ni jugé, ni condamné. Grâce au procès Eichmann, des milliers dapprentis Eichmann ont retenu la leçon, dautres nazis ont tremblé jusquà la fin de leurs jours. Les minutes du procès Eichmann restent un témoignage irremplaçable de labjection ordinaire. Israël est apparu comme le pays de ceux qui ont réellement dit « plus jamais ça » et qui ont mis leurs paroles en uvre.
Après le procès Eichmann, Simon Wiesenthal est devenu un homme avec qui il a fallu compter. Jusquà voici deux ans, lorsquil a pris sa retraite, bien après lâge de 90 ans, il a contribué à larrestation de plus de 1100 autres criminels contre lhumanité du Troisième Reich. Il a contribué à montrer plus que tout autre que la haine anti-juive nétait pas une haine comme les autres puisquelle avait conduit au crime absolu, mais aussi que toute haine raciste enclenchait un engrenage qui pouvait conduire au pire. Il a été une sentinelle de clarté à laquelle nous sommes tous redevables, juifs et non juifs. Il a créé des émules et des disciples. Serge Klarsfeld est de ceux-là.
Bien quinsulté et menacé en Autriche, la terre où sa famille, presque totalement décimée par les nazis, avait planté ses racines, Simon Wiesenthal avait tenu à rester en Autriche. Ce que je comprends et que jadmire. Ne jamais céder, ne jamais baisser les yeux était pour lui un principe de vie. A ceux qui lui parlaient de vengeance, il répondait : « non, pas la vengeance : la justice, tout simplement la justice ». La Loi, le droit naturel. Ce qui sépare lhumanité de linhumain. Face au relativisme, Wiesenthal aura été jusquau bout un exemple de droiture et le rappel que la Loi doit régner si lhumanité veut survivre. Il aura été bien davantage quun grand homme : lun des géants du vingtième siècle, lun de ceux dont laction et les principes devront encore impérativement nous guider dans les siècles à venir.
Quil repose en paix !